L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 « pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation (sic) de l’emploi et des parcours professionnels des salariés » a été célébré comme un accord historique ou, à tout le moins, prometteur. En effet, il satisfait, dit-on, les deux parties opposées que seraient les employeurs d’une part et les salariés d’autre part : ceux-ci gagneraient de nouveaux « droits (sic) », tandis que ceux-là bénéficieraient d’une plus grande « flexibilité ». Ce serait ainsi la consécration en France de la « fléxisécurité » qui aurait donné d’admirables résultats dans d’autres pays, à commencer par le Danemark.
Pourtant, cet accord ne saurait être considéré comme satisfaisant, ce qui au demeurant n’est pas pour surprendre.
Dans la méthode d’abord. Qui a conclu cet accord ? Les « partenaires sociaux », à savoir des syndicats d’employeurs, parfois divisés, qui sont loin de faire l’unanimité, et des syndicats de salariés qui représentent une partie infime de ces derniers (plusieurs d’entre eux ayant au surplus refusé de signer le document final…). Plus fondamentalement, il y aurait opposition, irrémédiable ou presque, entre deux catégories socioprofessionnelles, entre deux « classes » selon d’aucuns, selon l’idée surannée d’un contrat de travail léonin, inévitablement favorable aux exploiteurs que seraient les patrons.
De plus, la méthode législative apparaît fort contestable. Il faut rappeler qu’en 2006, le Président Sarkozy a souhaité placer les « partenaires sociaux » au cœur de la conception des réformes en droit du travail grâce à une concertation toute à la fois meilleure et préalable à l’adoption de la législation. De là, la loi n° 2007-130 du 31 janvier 2007 sur la modernisation du dialogue social, qui crée une procédure de négociation avant la présentation de tout projet (mais non pas d’une proposition) de loi au Parlement. Le 55ème engagement pour la France du candidat Hollande énonce que tout texte de loi qui concerne les « partenaires sociaux » doit être précédé d’une concertation en vertu d’un principe à insérer dans la Constitution pour garantir la « démocratie sociale ».
Comme on l’observe une nouvelle fois, la droite et la gauche partagent des conceptions qui, pour être proches, n’en sont pas moins erronées. Il est étrange de faire intervenir obligatoirement les syndicats avant les parlementaires dans un processus réglé par la loi ou la Constitution. En effet, de deux choses l’une : soit le droit du travail est considéré comme du ressort de l’État, à tout le moins pour en déterminer les principes fondamentaux conformément à l’article 34 de la Constitution de la Vème République, et il n’y a aucune légitimité à faire intervenir les syndicats, sauf à verser dans le corporatisme le plus éculé ; soit le droit du travail ne rentre pas dans les attributions de l’État et il y a encore moins de légitimité à prévoir une grande messe syndicale au plan national.
Au demeurant, la notion de « démocratie sociale » est un non sens. N’en déplaise aux conservateurs ou aux sociaux-démocrates, une entreprise, caractérisée comme un nœud de contrats, n’est pas comparable à un État démocratique, fondé sur une « séparation des pouvoirs », et qui doit être soumis à des freins et contrepoids pour ne pas dégénérer en abus.
Sur le fond, l’accord conclu en 28 articles et autant de pages se présente comme un compromis boiteux qui, en lui-même, ne sera pas de nature à résoudre le problème du chômage. Certaines de ses dispositions peuvent même l’aggraver, à commencer par la sur-taxation des contrats à durée déterminée, en vertu de l’idée absurde selon laquelle un contrat doit par principe être à durée indéterminée, ou la durée minimale de 24 heures hebdomadaires pour les contrats à temps partiel, facteurs de rigidités supplémentaires même si de nombreuses exceptions sont à chaque fois prévues.
Certes, entre autres dispositions, la règlementation des licenciements économiques se veut plus simple et la question d’une forme, étrangement sœur jumelle de la servitude en cette matière, se trouve posée tant le droit du travail est marqué du sceau de la complexité. Mais, le praticien s’interroge déjà sur l’efficacité de certains articles : la limitation, en elle-même discutable, des dommages et intérêts par accord devant le bureau de conciliation du Conseil de Prud’hommes incitera-t-elle le salarié licencié à le conclure ? Rien n’est moins sûr tant les minima et maxima apparaissent faibles. Cela ne rehaussera sans doute pas l’efficacité de la procédure de conciliation, que d’aucuns souhaitent depuis longtemps voir supprimer, et les avocats continueront à rédiger au nom de leurs clients respectifs des protocoles d’accord transactionnels en dehors des bureaux de conciliations…. Quant à la règle selon laquelle toute demande portée devant le Conseil de Prud’hommes serait inscrite au rôle du bureau de conciliation dans les deux mois de son dépôt au greffe, elle fera sourire les praticiens en regard de l’embourbement de certaines juridictions. Les avocats spécialisés rappelleront que le Code du travail a pu prévoir à plusieurs reprises des délais que les Conseils de Prud’hommes n’ont jamais pu respecter… Manifestation bien française d’obligations inscrites dans la loi et violées dans les faits.
Au-delà de ces points de détails, il y a bien plus fondamental : cet accord ne vient en rien remettre en cause ce qu’est aujourd’hui le droit du travail, c'est-à-dire en réalité une matière qui a peu avoir avec le Droit. Les employeurs et les salariés seront en pratique toujours aussi brimés, et même pis encore, par un syndicalisme plus pesant et une emprise plus prégnante des « partenaires sociaux ». La liberté contractuelle en droit du travail n’existera pas plus qu’auparavant, compte tenu d’un Code du travail pléthorique et en l’absence de respect du principe de subsidiarité, que les contrats soient régis par des lois votées directement par les parlementaires, en fait sur ordre gouvernemental, autrement dit présidentiel, ou par des règlementations concoctées par les « partenaires sociaux ». La création d’emplois en sera tout autant découragée.
C’est par conséquent dans le sens de la liberté contractuelle que l’on doit aller, tout en n’oubliant pas que le droit du travail ne peut être qu’un rouage de la libération des énergies. Les réformes s’imbriquent les unes dans les autres : la création de richesses ne saurait surgir d’une réforme limitée au droit du travail. Celle-ci ne peut donc s’insérer que dans un ensemble bien plus large, qu’il s’agisse d’une baisse drastique de la fiscalité, de la privatisation de la Sécurité Sociale ou encore de la décroissance profonde des dépenses de l’État.
Jean-Philippe FELDMAN
Professeur agrégé des facultés de droit
Maître de Conférence à SciencesPo
Avocat à la Cour de Paris
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