mardi 8 décembre 2015

Des référendums pour de saines finances locales ?

par Jean-Philippe Feldman
> L’ABSENCE DE TRADITION FRANCAISE EN MATIERE REFERENDAIRE
> DE LA BONNE ET DE LA MAUVAISE UTILISATION DES REFERENDUMS
> Dans le contexte des élections régionales, il n’est pas inintéressant de se demander si une proposition de loi constitutionnelle ne pourrait pas être émise aux fins d’instaurer un mécanisme de démocratie semi-directe au plan local
Pour reprendre la définition d’un constitutionnaliste, le terme de référendum désigne, au sens le plus large, toute procédure par laquelle le corps électoral se prononce sur un projet de loi, que celui-ci émane du chef d’Etat, du Parlement, de collectivités territoriales ou de citoyens[1]. Quant au référendum d’initiative populaire, il se définit comme une procédure qui permet à un nombre
déterminé de citoyens de déclencher un référendum portant sur l’adoption ou l’invalidation d’un acte législatif.[2]
Etymologiquement, la démocratie peut être envisagée comme le pouvoir du plus grand nombre. Au sens strict, elle n’est ni plus ni moins que le respect de la majorité numérique. De manière moderne et contemporaine, la démocratie représentative est la forme si évidente de la démocratie que d’aucuns en tirent pour conséquence que l’expression est pléonastique. Classiquement, elle s’oppose à l’ancestrale notion de démocratie directe dans laquelle le peuple exerce directement le pouvoir, donc sans passer par des intermédiaires ou des délégués. Le peuple légifère lui-même, étant précisé que la fonction exécutive échappe inévitablement à la démocratie directe.
De manière récurrente, les hommes politiques, surtout lorsqu’ils se trouvent dans l’opposition, réclament à corps et à cris des référendums sur les sujets les plus divers. D’autres souhaitent la mise en place de mécanisme de démocratie semi-directe qui permet aux citoyens de participer à l’élaboration des lois soit en en prenant l’initiative soit en s’opposant à leur promulgation ou à leur maintien en vigueur. En ce sens, ces mécanismes s’inscrivent dans le cadre de la « démocratie participative » qui entend, comme son nom l’indique, faire participer à la prise de décision l’ensemble de ceux qu’elle est susceptible d’affecter.[3]
Tout récemment encore, plusieurs hommes politiques français ont appelé de leurs vœux une extension du domaine référendaire, parfois pour faire prévaloir la parole du « peuple » au détriment d’une représentation nationale qui ne « représenterait » plus grand-chose… L’actualité des prochaines élections régionales, d’une part, et l’état de délabrement avancé des finances publiques en générale et des finances locales en particulier, d’autre part, incitent à se demander si l’extension du recours aux procédures référendaires serait ou non opportun.
Il est clair qu’il n’existe pas de tradition française en matière référendaire (I). Toutefois, les leçons du droit comparé apparaissent instructives (II) et elles tendent à démontrer l’utilité des référendums, à condition qu’ils soient précisément encadrés (III). C’est seulement alors qu’une proposition de réforme destinée aux collectivités locales pourra être formulée (IV).

I – L’ABSENCE DE TRADITION FRANCAISE EN MATIERE REFERENDAIRE

Il ressort de l’histoire constitutionnelle française que les référendums sont peu fréquents (A). La raison tient au poids de la démocratie représentative (B).

A – Des référendums peu fréquents.

Il convient de distinguer le plan national (1°) du plan local (2°).
1°) Au plan national
De 1871 à nos jours, seuls 14 référendums ont été mis en place au plan national, soit un tous les dix ans en moyenne. En réalité, la fréquence est un petit peu plus grande dans la mesure où la plupart des référendums ont été organisés à partir de 1945. Il n’en demeure pas moins que les mécanismes de démocratie semi-directe sont rarement utilisés au niveau national.
2°) Au plan local
La France a connu deux séries de référendums locaux. Tout d’abord, à fin du XIXe siècle et au début du XXe, ensuite dans le cours de la Vème République.
C’est en vain qu’il fut proposé dans les années 1880 d’instaurer un référendum municipal d’initiative populaire.[4] Il y eu cependant plusieurs centaines de référendums locaux entre les années 1880 et les années 1900. La jurisprudence du Conseil d’Etat y mit fin par ses décisions de la seconde moitié des années 1900.
Il fallut attendre la loi du 16 juillet 1971 sur les fusions de communes pour voir instituer une procédure de référendum local décisionnel. Puis, Raymond Barre, alors Premier Ministre, proposa dans le programme dit de Blois la possibilité d’une initiative populaire, mais en vain. Les années 1990-2000 s’analysent comme celles du retour aux référendums locaux. D’abord, la loi du 6 février 1992 permit les consultations au niveau communal. Ensuite, celle du 4 février 1995 étendit les consultations aux établissements publics de coopération intercommunale pour les opérations d’aménagement. Au niveau constitutionnel cette fois, l’article 72-1 introduit par la révision du 28 mars 2003 fixa les conditions dans lesquelles les électeurs de chaque collectivité territoriale pouvaient, par l’exercice du droit de pétition, demander l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de cette collectivité, d’une question relevant de sa compétence. De nouveau au niveau législatif, furent intégrées le 1er août 2003 dans le Code général des collectivités territoriales les dispositions relatives au référendum local décisionnel et à son application à l’ensemble des collectivités ; enfin la loi du 13 août 2004 érigea un nouveau dispositif consacré aux consultations locales pour l’ensemble des collectivités.[5]
Les statistiques ne sont peut être pas totalement fiables, mais on a pu comptabiliser entre 1971 et 1993 plus de 200 référendums communaux, ce qui reste très faible : moins de 10 par an, alors même qu’il existe environ 37 000 communes en France. Toutefois, le nombre de consultations a pu s’accélérer dans la période suivante puisque, entre 1995 et 2004, près de 200 référendums locaux ont été répertoriés, mais, selon le ministère de l’Intérieur, à peine 2,5 % provenaient d’une initiative populaire. Toutefois, les statistiques les plus récentes ne démontrent pas l’accélération du phénomène puisque, entre 2005 et 2009, seuls 26 référendums communaux auraient été organisés. Au 20 janvier 2015, la Direction générale des collectivités locales avait recensé 41 consultations issues de la loi du 6 février 1992, dont seulement 10 positives.

B – Le poids de la démocratie représentative

La faiblesse des chiffres, tant au plan national qu’au plan local, s’explique aisément par le poids de la démocratie représentative, là encore tant au plan national (1°) qu’au plan local (2°).
1°) Au plan national
Rivarol disait plaisamment qu’il y a deux principes en politique : que le peuple est titulaire de la souveraineté, qu’il ne doit jamais l’exercer… Le gouvernement représentatif se définit comme celui dans lequel la volonté d’un organe représentatif est tenue pour celle de la Nation. Historiquement, deux arguments principaux ont permis de justifier cette théorie. Le premier est l’impossibilité d’assembler, dans le monde moderne et contemporain, l’ensemble des citoyens en un lieu unique. Le second, bien plus subtil, est une application de la division du travail au politique. Avec Sieyès d’abord, puis avec Benjamin Constant, la théorie économique de la division du travail se trouve appliquée à l’organisation du gouvernement. Ainsi que l’a relevé avec finesse un auteur, si la démocratie directe avait été dans le monde antique la réponse improvisée à un excès de temps libre, la démocratie représentative dans le monde moderne est la réponse trouvée à la rareté du temps. La représentation permet simultanément d’inclure les citoyens dans la vie politique et les libérer de celle-ci.[6]
Aux yeux des constitutionnalistes de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe, la « démocratie » s’entend de la démocratie directe à l’athénienne, c’est-à-dire d’un système primitif dans lequel le pouvoir se trouve confié à une vile multitude, déraisonnable et passionnée. En contrepoint, le gouvernement représentatif se trouve confié à une élite, directement soumise aux décisions prises, et dès lors moins à même de menacer les libertés, à commencer par la propriété. Le gouvernement représentatif peut être ainsi lié au suffrage censitaire ou encore au suffrage capacitaire, et non pas au suffrage universel.
Le poids de la démocratie représentative s’est fait lourdement sentir lors de la révision constitutionnelle en 2008 de l’article 11. En effet, dans sa lettre à Edouard Balladur du 18 juillet 2007 le Président Sarkozy demandait d’étudier les moyens d’instiller « plus de démocratie directe » dans le gouvernement « sous la forme, le cas échéant, d’un droit d’initiative populaire ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que les débats du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République n’ont guère été favorables à une extension des mécanismes de démocratie semi-directe. Son rapport, dit rapport Balladur, énonce que les consultations référendaires sont souvent perturbées par les circonstances politiques du moment et que les mécanismes des référendums abrogatifs qui existent dans certains pays donnent bien souvent des résultats peu satisfaisants. Le rapport ajoute un argument assez surprenant selon lequel la reconnaissance d’un droit d’initiative populaire aux citoyens peu ou mal encadré ne serait pas dépourvue de risques surtout à une époque où les moyens technologies rendent vaines les garanties relatives au nombre de signatures nécessaire pour déposer une initiative. Enfin, le Comité relève les inconvénients qui pourraient résulter du choix de certains sujets de sociétés. Il en conclut qu’il est indispensable d’associer les parlementaires, et ce dès son origine, à une procédure nouvelle.[7] Les débats parlementaires ont, eux aussi, été révélateurs du poids de la démocratie représentative puisqu’ils ont égrainé une litanie d’arguments pour s’opposer au référendum d’initiative populaire, instrument politicien qui assurerait le triomphe de la démagogie, du populisme et de l’extrémisme, qui aboutirait à contester toute décision prise par la représentation nationale en s’offrant comme une procédure de recours contre les désaccords survenus entre la majorité et l’opposition, etc.. Une sénatrice écologiste mit même en garde contre toute remise en cause des « acquis » en matière de protection des droits et liberté… et par exemple des « droits sociaux ».
Finalement, selon l’article 11 modifié de la Constitution, un référendum portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions, peut être organisé à l’initiative de 1/5ème des membres du Parlement, soutenue par 1/10ème des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et elle ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. Si la proposition n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum. Lorsque la proposition n’est pas adoptée par le peuple, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l’expiration d’un délai de deux années suivant la date du scrutin.
La nouvelle version de l’article 11 a été présentée comme l’instauration en droit français d’un référendum d’initiative populaire, mais de manière abusive. En effet, il ne s’agit que d’un référendum d’initiative partagée qui associe la représentation nationale et les citoyens. De plus, les conditions posées sont tellement drastiques qu’elles n’ont à peu près aucune chance d’aboutir à la tenue effective d’un référendum, ce qui était, manifestement, l’objectif souhaité.
2°) Au plan local
Au plan local également, le poids de la démocratie représentative s’est fait sentir de manière constante. Ainsi qu’il a déjà été relevé, les propositions d’instauration d’un référendum municipal d’initiative populaire ont échoué à la fin du XIXe siècle. Cela n’a pas empêché la tenue de différents référendums locaux, mais la tentative a fait long feu du fait de l’hostilité de la représentation nationale, de la position du ministère de l’Intérieur et de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Après environ six décennies de mise entre parenthèses, les référendums ont fait leur retour au plan local, mais là encore avec force prévention de la part du législateur. Certes, la loi du 16 juillet 1971 institue une procédure de référendum local décisionnel sur les fusions de communes… mais à l’initiative des conseils municipaux intéressés ou, en cas de carence des élus, du préfet. Le programme de Blois de Raymond Barre, Premier Ministre, prévoyait à la veille des élections législatives de 1978 une initiative populaire, mais là encore encadrée puisqu’elle ne concernait que les communes d’une taille suffisante, et ce avec le quorum d’un quart des électeurs. Le projet de loi relatif au développement des responsabilités locales oublia l’initiative populaire, avant que l’élection de François Mitterrand aboutisse à un abandon de la discussion. La loi de décentralisation de 1982 qui suivit, ne mit pas en place d’instrument référendaire. Il fallut attendre les décennies 1990-2000 pour que les référendums fissent leur apparition effective au plan local. Nonobstant, une nouvelle fois, les réserves de la représentation nationale furent nombreuses.
La loi du 6 février 1992 prévit la possibilité de référendums communaux, mais il s’agissait uniquement d’une consultation, au surplus à l’initiative exclusive des élus. La loi du 4 février 1995 apparaît un peu plus audacieuse puisqu’elle concerne également les établissements publics de coopération intercommunale dans le domaine des opérations d’aménagement et qu’elle reconnaît l’initiative populaire.[8] Toutefois, l’initiative populaire est réservée à 1/5ème des électeurs inscrits sur les listes électorales, l’objet de la consultation est limité et son organisation est facultative, au bon vouloir du conseil municipal. Et ce sans compter différentes limites temporelles, le fait que les modalités relatives à l’organisation de l’information sur le référendum relèvent uniquement du conseil municipal ou encore que les instances locales sont libres d’apprécier les résultats du scrutin ![9]
La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 démontre elle aussi les préventions de la représentation nationale. On peut noter toute de suite que la révision a été adoptée par le Congrès réuni à Versailles et non pas par la voie référendaire qui avait pourtant été promise par le Président de la République au cours de sa campagne présidentielle ! En effet, Jacques Chirac avait déclaré le 10 avril 2002 : « Les Français devront naturellement être consultés par référendum sur cette réforme essentielle »…[10] Selon l’article 72-1 de la Constitution, la loi fixe les conditions dans lesquelles les électeurs de chaque collectivité territoriale peuvent, par l’exercice du droit de pétition, demander l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de cette collectivité, d’une question relevant de sa compétence. Or, dans sa rédaction initiale, le projet de loi constitutionnelle tendait à permettre aux électeurs d’obtenir cette inscription à l’ordre du jour, et non pas simplement de la demander. Quant au Conseil d’Etat, il avait émis le 10 octobre 2002 un avis négatif au sujet du principe d’un référendum décisionnel sur les actes relevant de la compétence des collectivités territoriales. Il argüait qu’un droit décisionnel reconnu aux citoyens rompait avec la « tradition républicaine » de la démocratie représentative. Aux termes de l’article 72-1, les projets de délibération ou d’actes relevant de la compétence d’une collectivité territoriale peuvent à son initiative être soumis par la voie du référendum à la décision des électeurs de cette collectivité. Dans son discours précité du 10 avril 2002, Jacques Chirac s’était effectivement exclamé : « La Constitution doit renforcer le rôle des citoyens en prévoyant l’institution du référendum local. Il est normal et souhaitable que les citoyens, à l’initiative de leurs élus, puissent faire directement, eux-mêmes, les grands choix qui commandent l’évolution de leur cadre de vie, les infrastructures, les aménagements et les politiques locales ». L’insistance sur l’initiative des élus a donc été constante. En définitive, la révision constitutionnelle de 2003 a étendu la faculté d’organiser un référendum aux diverses collectivités territoriales et elle a donné valeur décisionnelle à ces instruments de démocratie semi-directe.
L’article 72-1 de la Constitution renvoyait à la loi organique. Sur ce point comme sur les autres, les discussions du projet de loi organique relatif au référendum local, que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée nationale, prouvent les profondes réserves de la représentation nationale. Le rapport sénatorial insiste sur le fait que le développement des mécanismes de démocratie semi-directe ne doit pas entraîner un affaiblissement de l’autorité des élus et un blocage de leurs décisions, et que ces derniers « ont besoin d’encouragements et non de freins à l’action qu’ils mènent dans l’intérêt général »… C’est la raison pour laquelle la commission des lois constitutionnelles du Sénat a réaffirmé la responsabilité première des élus locaux dans la gestion des affaires locales, encadré le recours aux référendums décisionnels locaux et aux procédures prévues par le projet de loi organique. Autre passage frappant du rapport : il est indiqué que le recours au référendum ne doit pas conduire à déresponsabiliser les élus locaux et à affaiblir leur autorité, à briser ou à raréfier les autres formes d’association des habitants aux décisions, ou encore à créer des clivages délétères…[11] Le rapport de la Commission des lois constitutionnelles de l’Assemblée nationale est un copier-coller du rapport sénatorial qui insiste sur le fait qu’il est factice d’opposer démocratie représentative et démocratie participative, tout en insistant sur le fait que « les élus ont beaucoup à gagner de l’utilisation de ces dispositifs, dans la mesure où ils peuvent espérer acquérir une forme de légitimité nouvelle »…[12] Il a pu être relevé que la loi organique n° 2003-705 du 1er août 2003 relative au référendum local s’apparente à un usage gaullien du référendum au niveau national puisque ce sont les élus qui décident de consulter leurs électeurs, qui choisissent la procédure, qui déterminent son calendrier et qui formulent la question posée ![13] En effet, selon la loi organique, l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale peut soumettre à référendum local tout projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de cette collectivité. L’exécutif d’une collectivité territoriale peut seul proposer à l’assemblée délibérante de cette collectivité de soumettre à un référendum local tout projet d’acte relevant des attributions qu’il exerce au nom de la collectivité, à l’exception des projets d’acte individuel. Une collectivité territoriale ne peut pas organiser de référendum local à certaines périodes, par exemple dans les six mois précédant le renouvellement général ou le renouvellement d’une série des membres de son assemblée délibérante. Le projet soumis est adopté si la moitié au moins des électeurs inscrits a pris part au scrutin et s’il réunit la majorité des suffrages exprimés. Enfin, seuls peuvent participer au scrutin les électeurs de nationalité française et, pour un référendum local décidé par une commune, les ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne. Quant à la loi du 13 août 2004, elle étendit le champ de l’initiative populaire à toutes les affaires relevant de la décision de l’assemblée de la collectivité ou de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale.[14] Mais l’initiative populaire se voyait maintenue pour les seules consultations.

II – LES LEÇONS DU DROIT COMPARE EN MATIERE REFERENDAIRE

Existe-t-il une « exception française » en matière référendaire ? Il est difficile de le prétendre si l’on compare la situation de la France à celle des autres pays de l’Union européenne (A). En revanche, plusieurs pays, à commencer par les Etats-Unis et la Suisse, font une large utilisation des mécanismes de démocratie semi-directe (B).

A – Des exemples peu probants

Il n’est pas aisé de soutenir que la France se trouverait « en retard » par rapport aux autre pays de l’Union européenne, particulièrement au regard de l’initiative populaire (1°), dans la mesure où il existe des limites traditionnelles à son utilisation sur l’ensemble du continent (2°).
1°) La pratique de l’initiative populaire
Un rapport du Conseil de l’Europe du 20 octobre 1993 affirme que les ministres sont unanimement convenus que « les référendums locaux peuvent constituer un moyen de favoriser ou de raviver l’intérêt et la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques et compléter utilement les mécanismes de la démocratie représentative au niveau local ». Il ajoute cependant que leur utilisation présente un certain nombre de risques qu’il importe d’éviter. Il est vrai que de nombreux pays de l’Union européenne prévoient l’initiative populaire. Ainsi, en Allemagne, en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas ou encore au Portugal, les habitants d’une commune peuvent obtenir l’organisation d’un référendum. Cependant, les référendums communaux n’ont qu’une valeur consultative, à l’exception de l’Allemagne et du Portugal. De plus, certaines conditions doivent être remplies, à commencer par un pourcentage minimum des électeurs inscrits, pour la validité de la votation.
2°) Les limites traditionnelles
Les différents pays de l’Union européenne qui pratiquent les mécanismes de démocratie semi-directe en général, et l’initiative populaire en particulier, prévoient des limites aux questions susceptibles de faire l’objet de délibérations des conseils municipaux. Surtout, les questions budgétaires ou financières sont traditionnellement écartées de ces mécanismes. Ainsi, le Danemark exclut du domaine du référendum entre autres les lois de finances, les lois relatives au traitement ou à la pension des fonctionnaires ou encore celles qui établissent des impôts directs ou indirects. L’Italie exclut des lois fiscales et budgétaires. Ainsi se trouvent généralement exclues des procédures référendaires les questions relatives aux finances locales.[15]

B – Des exceptions plutôt probantes

Tant les Etats-Unis (1°) que la Suisse (2°) constituent des exemples de systèmes dans lesquels les mécanismes de démocratie semi-directe sont très largement prévus et utilisés.
1°) Les Etats-Unis
Les Etats-Unis présentent un contraste saisissant entre le niveau fédéral et le niveau fédéré. En effet, il n’existe pas de mécanisme de démocratie semi-directe au niveau fédéral. Cela semble logique puisque les Pères fondateurs à la fin du XVIIIe siècle exécraient la « démocratie », c’est-à-dire la démocratie directe au profit d’une république fédérative uniquement de nature représentative.[16]
En revanche, les mécanismes de démocratie semi-directe ont été développés de manière très ample au niveau local à partir de la fin du XIXe siècle et ils témoignent de la prégnance de la tradition antifédéraliste à ce niveau. C’est à partir de la toute fin du XIXe siècle que plusieurs états de l’Ouest des Etats-Unis ont instauré des mécanismes de nature référendaire et l’initiative populaire. Pour ne prendre qu’un seul exemple, il existe en Californie trois types de procédures référendaires : des initiatives qui permettent l’amendement de la Constitution de l’Etat, qui proposent l’adoption d’une loi ou encore qui représentent des validations des lois votées par l’assemblée législative.[17] C’est ainsi que, depuis 1976, plus d’un millier de référendums d’initiative populaire a été soumis au vote des Californiens avec un taux de réussite supérieur à 40 %.[18] La votation la plus célèbre a été la « proposition 13 », adoptée en 1978, qui a permis le plafonnement des taxes foncière à 1 % de la valeur des biens et qui a eu pour conséquence une baisse de 57 % de leur rendement.
Classiquement, la protection des corps législatifs des Etats a été assurée par une restriction du champ du référendum, à commencer par les matières budgétaires et financières. Or, à la suite de révisons constitutionnelles, le champ des mécanismes de démocratie semi-directe a pu s’étendre ces dernières décennies. Certes, l’ensemble de la matière fiscale se trouve interdit de référendum populaire dans l’Etat de l’Ohio.[19] Mais les référendums ont pu être rendus obligatoires à raison des matières concernées. C’est ainsi qu’aujourd’hui plus d’une dizaine d’Etats exige un référendum pour toute augmentation du plafond de la dette.[20] C’est ainsi, pour ne prendre qu’une illustration, qu’en 1994 des référendums ont été organisés au sujet de l’augmentation des impôts dans le Missouri, le Montana, le Nevada ou encore l’Oregon.[21]
2°) La Suisse
La Suisse a connu beaucoup de changements, tant au niveau fédéral que cantonal, depuis le milieu du XIXe siècle en matière de mécanismes de démocratie semi-directe. La Constitution de 1848 a établi une démocratie de nature essentiellement représentative. Les référendums se limitaient alors aux référendums obligatoires de révision constitutionnelle et à l’initiative populaire relative à la révision totale de la Constitution. Un peu à l’image des Etats-Unis, c’est d’abord au niveau local que ces mécanismes se sont développés mais, à la différence de l’Amérique, les mécanismes locaux ont ensuite migré au niveau fédéral.[22]
La Suisse constitue, avec les Etats fédérés des Etats-Unis, une sorte de laboratoire en matière référendaire : les mécanismes de démocratie semi-directe sont les plus amples qui soient. Il est vrai que l’initiative populaire n’existe qu’en matière constitutionnelle au niveau fédéral, mais l’initiative se trouve couramment utilisée à des fins législatives. En bref, les Suisses peuvent, le plus largement qui soit, demander à leurs représentants de rédiger une proposition sur un sujet donné, ils peuvent eux-mêmes exiger l’organisation d’un référendum sur une initiative formulée, ils peuvent réviser partiellement ou totalement leur constitution, ils peuvent aboutir à l’abrogation d’une loi. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que des centaines de votations aient pu être organisées depuis le milieu du XIXe siècle. Il faut cependant noter que de 1891 à 1986, seuls 25 % des projets constitutionnels qui émanaient du Parlement ont été rejetés, alors qu’une majorité d’initiatives populaires ne se trouve pas entérinée par les votants.[23] De plus, l’initiative populaire ne se trouve pas limitée dans son champ d’application. Elle peut donc porter sur tous les sujets, que ce soit au niveau local ou national. C’est ainsi que, dans le canton d’Obwald, ont été adoptées en décembre 2005 par 86 % des voix des baisses d’impôt, à savoir une réduction de l’impôt sur la fortune d’au moins 30 %, la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés et une réforme de l’impôt sur le revenu.

III – L’UTILITE DES REFERENDUMS

Il est difficilement contestable aujourd’hui que la démocratie représentative soit à bien des égards un échec (A). Il n’en demeure pas moins que la procédure référendaire doit éviter bien des écueils (B).

A – L’ECHEC DE LA DEMOCRATIE REPRESENTATIVE

L’échec de la démocratie représentative se manifeste en France tant au plan national (1°) qu’au plan local (2°).
1°) Au plan national
Hayek a pu relever que la « séparation des pouvoirs » n’avait jamais joué dans les différentes démocraties occidentales parce que, dès l’origine, les fonctions de législation et d’exécution furent réunies dans les mêmes mains.[24] Il constate que les gouvernements représentatifs se sont transformés à la suite du passage du suffrage censitaire au suffrage universel. Ceux qui ont voté ou fait voter les lois n’ont alors plus forcément été ceux qui y ont été soumis. Par le biais de ce qui peut être nommé un « marché politique », les représentants se sont mués en « fabricants de lois » et les hommes politiques sont devenus des distributeurs de prébendes et d’avantages divers par le truchement d’une « corne d’abondance » en apparence inépuisable.[25] Ainsi, non seulement la Constitution a cessé d’être ce qu’elle devait être, à savoir une protection contre l’arbitraire du gouvernement et une sauvegarde pour la liberté, mais encore est-elle devenue l’une des causes de l’accroissement de la sphère étatique.
L’échec de la démocratie représentative est inscrit, selon Bruno Leoni, dans les gènes des systèmes représentatifs puisqu’ils sont incompatibles avec la liberté individuelle au sens de celle de choisir, d’approuver et d’instruire un représentant.[26] La dictature de l’électeur médian s’est imposée, si bien que les décisions prises par la démocratie représentative n’apparaissent plus que comme le reflet lointain des idées portées par les électeurs non-médians.[27]
2°) Au plan local
Il y eut au tournant des XIXe et XXe siècle une tentative de socialisme municipal qui fut plus ou moins encadrée par les juridictions administratives en général et le Conseil d’Etat en particulier. La loi de 1884 sur les communes ne prévoyait pas de disposition dans le domaine économique et la haute juridiction administrative a pour l’essentiel fait prévaloir le principe de la liberté du commerce et de l’industrie.[28] Il n’en demeure pas moins qu’à la veille de l’alternance de 1981, il existait un net décalage entre l’interventionnisme croissant des collectivités locales et la règlementation qui l’encadrait de manière drastique. Pour reprendre l’expression du doyen Vedel, on a décentralisé de manière centralisée. La décentralisation de 1982 n’a pas été entendue comme un accroissement de l’autonomie locale sur fond de concurrence entre les diverses collectivités, mais comme un renforcement du pouvoir des élus locaux dont se sont, au demeurant, fort bien accommodés les élus de l’opposition nationale. Gaston Defferre expliqua sans fard pour quelle raison la législation avait entendu d’abord transférer de nouveaux pouvoirs aux élus : « Je savais qu’une fois que les élus détiendraient le pouvoir, ils demanderaient tout le reste ; et c’est exactement ce qui s’est passé ! »[29] Les élus locaux se sont trouvés dotés d’une légitimité accrue et d’une liberté d’action absolue, sans autre limite que le respect de la loi. Nul ne saura donc surpris de la croissance vertigineuse des dépenses des collectivités locales : 650 milliards de Francs en 1990 contre seulement 284 en 1981, ou encore de celle des aides directes et indirectes des diverses collectivités territoriales qui ont cru de 4,4 milliards de Francs en 1984 à 10,8 en 1989.

B – DE LA BONNE UTILISATION DES REFERENDUMS

Contrairement à ce que d’aucuns plaident, les mécanismes de démocratie semi-directe ne sont pas dénués de danger (1°). Ils peuvent cependant constituer des instruments opportuns en matière budgétaire et fiscale (2°).
1°) Les dangers à éviter
Parmi les thuriféraires de la démocratie directe, Yvan Blot estime que « les résultats des référendums et les initiatives reflètent l’opinion majoritaire réelle de l’époque » et il cite une étude selon laquelle « les droits politiques directs des citoyens corrigent les décisions politiques dans la direction des préférences des citoyens ». Selon lui, « La démocratie directe permet de faire prévaloir l’intérêt général défini par le suffrage universel des citoyens non organisés mais majoritaires face aux intérêts particuliers organisés ». Au total, il prône la transformation de la France en une « démocratie directe » avec toutes les formes des mécanismes de démocratie semi-directe et sans aucun contrôle de constitutionnalité au nom de la « souveraineté du peuple ».[30]
Une intéressante étude d’un constitutionnaliste permet de conforter pareille opinion. Il est tout d’abord rappelé que les projets présentés par des groupes extrémistes sont généralement rejetés par l’électorat, notamment aux Etats-Unis, mais encore faut-il préciser qu’il existe un contrôle strict de la fonction judiciaire qui empêche les initiatives de porter atteinte à des droits constitutionnellement garantis. Ensuite, une enquête et surtout un sondage sont mobilisés au soutien des mécanismes de démocratie semi-directe. Ainsi, en Suisse, une enquête établie sur une quarantaine de référendums organisés au niveau fédéral dans la deuxième moitié des années 1970 a démontré que si moins d’un quart des électeurs maîtrisait tout à fait bien les sujets traités, 80 % en avaient une connaissance à tout le moins raisonnable. Surtout, un sondage a été effectué au Danemark à la suite du référendum de 1992 sur le traité de Maastricht, à un échantillon, d’une part d’électeurs, d’autre part de parlementaires non spécialisés dans les affaires communautaires. En moyenne, les premiers avaient une meilleure connaissance du traité que les seconds ![31]
Malgré tout, l’idée selon laquelle la « souveraineté du peuple », c’est-à-dire finalement la démocratie, doit prévaloir par le truchement des mécanismes de démocratie semi-directe, est loin d’emporter la conviction. En effet, qui dit référendum dit consécration de la loi du nombre, sans parler des risques inhérents à un mécanisme qui peut provoquer, au choix, conservatisme, démagogie ou populisme. L’institution de mécanisme de démocratie semi-directe, que ce soit au plan national ou au plan local, n’est pas une panacée. En effet, l’important n’est pas tant l’autorité qui prend une décision, qu’il s’agisse des représentants ou du « peuple » directement, que la matière concernée. Peu importe qu’une loi soit adoptée par un parlement ou, pour reprendre l’expression du général de Gaulle, par les législateurs d’un jour que sont les citoyens, l’essentiel tient au contenu de ce qui est adopté. Le problème n’est donc pas d’opposer la démocratie directe à la démocratie représentative, mais de brider les tendances pernicieuses de la démocratie, c’est-à-dire de la loi du nombre, quelle qu’en soit l’expression. Autrement dit, il faut que la règle majoritaire ne viole pas les droits de la minorité, à commencer par la plus petite minorité qui soit : l’individu. Le problème n’est pas de participer au processus de la décision politique, selon les tenants plus ou moins démagogiques de la « démocratie participative », mais de mettre des barrières au politique, plus encore de dépolitiser. Les mécanismes de démocratie semi-directe en général, et les référendums en particulier, ne doivent donc pas aboutir à l’extension de l’action de l’Etat, mais à y mettre un frein.
Par surcroît, il y a dans la promotion inconsidérée de la procédure référendaire une manifestation d’un climat anti-élitiste qui n’est pas moins dangereuse que les dérives de la démocratie représentative. Pour les extrémistes, de gauche comme de droite, face aux élites déconsidérées devrait se dresser le majestueux « peuple » français qui, à l’image de la terre sous Vichy, ne mentirait pas… Il y aurait face au misérable « pays légal » le magnifique « pays réel »… Il y a là aussi une manifestation des excès de la démocratie que Tocqueville avait puissamment anticipés : tous les avis se valant, il n’y a plus de supériorité intellectuelle, l’opinion publique finit par prévaloir sur fond de despotisme doux et tutélaire.
2°) Une adaptation judicieuse au domaine budgétaire et fiscal
Si les mécanismes de démocratie semi-directe recèlent bien des dangers, leur adaptation au domaine budgétaire et fiscal pourrait s’effectuer de manière convenable. Aujourd’hui, et depuis de longues décennies, le consentement de l’impôt est devenu évanescent pour la simple et bonne raison que le consentement à l’impôt n’existe plus, si tant est qu’il ait jamais véritablement existé… Est-il acceptable que la création d’un impôt nouveau soit prévue sans que les principaux intéressés se prononcent directement ? Est-il acceptable que le plafond de la dette publique augmente sans aucun contrôle véritable ? L’utilisation judicieuse des mécanismes de démocratie semi-directe permettrait enfin que le consentement à l’impôt, vieille revendication des Parlements sous l’Ancien Régime, soit enfin satisfaite.
Par surcroît, les mécanismes de démocratie semi-directe sont susceptibles de mener à une fiscalité plus clémente et à des finances moins déséquilibrées. N’en déplaise aux inconditionnels de ces mécanismes, les multiples études conduites sont certes loin d’être toujours probantes, mais il semble exister une corrélation récente entre référendum de nature financière et dette publique modérée.

IV – UNE PROPOSITION DE REFORME POUR LES COLLECTIVITES LOCALES

Dans le contexte des élections régionales, il n’est pas inintéressant de se demander si une proposition de loi constitutionnelle ne pourrait pas être émise aux fins d’instaurer un mécanisme de démocratie semi-directe au plan local, mécanisme supplémentaire mais enfin efficace (B). Plusieurs propositions de loi constitutionnelle déposées depuis les années 1980 donneraient des indications précieuses à cet égard, même si elles sont morts-nées (A).

A – LES PROPOSITIONS PARLEMENTAIRES POUR EXEMPLE

Une première proposition a été émise en 1983 par Charles Pasqua et par les membres du groupe RPR du Sénat (1°). Puis, à la suite d’une proposition de Yvan Blot à l’Assemblée nationale le 11 juin 1987, une proposition de loi constitutionnelle a été déposée par Christian Vanneste le 13 avril 2011 (2°).
1°) La proposition Pasqua
Le 22 juin 1983, Charles Pasqua et les membres du groupe RPR du Sénat ont déposé une proposition de loi constitutionnelle tendant à instituer un référendum d’initiative populaire au niveau national. Ils se limitaient en réalité à compléter l’article 11 de la Constitution pour instaurer un référendum législatif d’abrogation… mais avec un strict encadrement : demande de 500 000 électeurs plus 500 élus territoriaux, contrôle du Conseil constitutionnel, impossibilité de modifier notamment les lois de finances, quorum d’un quart des électeurs inscrits pour le vote, impossibilité de présentation d’une proposition à certaines périodes, etc..[32]
2°) Les propositions Blot et Vanneste
A la suite d’une proposition de Yvan Blot à l’Assemblée nationale du 11 juin 1987, la proposition de loi constitutionnelle déposée par Christian Vanneste souhaitait la modification de l’article 11 avec l’obligation pour le Président de la République de soumettre à référendum dans les trois mois une loi votée par le Parlement sur la requête exprimée par pétition de 500 000 citoyens. De plus, un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa de l’article 11 pouvait être organisé à l’initiative d’une pétition de 800 000 électeurs adressée au Président de la République, initiative populaire prenant la forme d’une proposition de loi. Dans un délai de trois ans, le chef de l’Etat soumettait à référendum cette proposition et l’éventuel contre projet proposé par le Parlement.
Contrairement à la proposition Pasqua de 1983, la proposition Vanneste ne se limitait pas à prévoir des mécanismes de démocratie semi-directe au niveau national. En effet, elle modifiait l’article 72 de la Constitution de la manière suivante : les collectivités territoriales devaient s’administrer librement par des conseils élus et par des référendums d’initiative populaire dans des conditions prévues par la loi, une loi organique fixant les règles du référendum veto et de l’initiative populaire au niveau de la région, du département et de la commune.[33]

B – LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Une réforme constitutionnelle serait nécessaire (1°). La question est de savoir si elle serait possible (2°).
1°) La nécessité d’une réforme constitutionnelle
Les mécanismes de démocratie semi-directe en général et des référendums en particulier, au plan local, permettent de combattre le « marché politique », et c’est la raison pour laquelle les représentants y sont le plus souvent réticents, voire opposés. Malheureusement, l’instauration de nouveaux mécanismes décisionnels de démocratie semi-directe nécessiterait la révision de la Constitution. Certes l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à la formation de la loi. Certes l’article 3 de la Constitution de la Ve République énonce que la souveraineté nationale appartient au peuple qu’il exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Mais l’article 72 dit que les collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus. Prévoir une initiative populaire ou des référendums abrogatifs au niveau local nécessiterait une modification de la Constitution. Dès lors, il conviendrait de préciser à l’article 72 que les collectivités territoriales s’administrent librement au moyen de référendums prévus par une loi organique qui instaurerait des référendums automatiques en cas d’augmentation des impôts ou du plafond de la dette des différentes collectivités locales.
2°) La possibilité d’une réforme constitutionnelle
La Constitution a été considérée pendant plusieurs décennies comme l’œuvre sacrée du Général de Gaulle et de ses proches. Il n’était donc pas question d’y toucher, sauf dans des circonstances exceptionnelles ou, s’une main tremblante, à la marge. Le verrou a sauté dans les années 1990 à la faveur de la conclusion des différents traités communautaires. S’en est suivie une multitude de révisions de la Constitution, pour les motifs les plus divers, jusqu’à la réforme sarkozienne de 2008. Depuis lors, compte tenu de l’impossibilité pratique de réunir un Congrès à majorité socialiste, la Constitution est restée immaculée.
N’est-il donc pas utopique de penser que la Constitution puisse faire l’objet d’une modification, particulièrement pour juguler le « marché politique » au plan local ? Pourtant, dans son 54ème engagement pour la France en 2012, François Hollande avait indiqué qu’il ferait voter une loi sur le renforcement de la démocratie et des libertés locales. Surtout, lors de la discussion de la loi organique relative au référendum local en 2003, le rapporteur de la Commission des lois à l’Assemblée nationale avait indiqué qu’il était inconstitutionnel d’aller au-delà du cadre organisant les modalités d’une initiative populaire et que la Commission avait en conséquence rejeté un amendement de Jean-Pierre Blazy autorisant les référendums décisionnels d’initiative populaire. Regrettant que la décision de recourir à un référendum local fût réservée à l’assemblée délibérante de la collectivité et que l’initiative des citoyens fût bridée par les conditions assortissant l’exercice du droit de pétition, le député socialiste avait indiqué que son groupe déposerait des amendements ayant pour objet de prévoir l’organisation de référendum d’initiative populaire. Les socialistes étant maintenant au pouvoir, occasion leur est donnée de consacrer une décennie après les vœux qu’ils avaient formés…
Jean-Philippe Feldman
Professeur agrégé des facultés de droit
Maître de conférences à sciencesPo
Avocat à la Cour de Paris

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