vendredi 15 avril 2016

« Des putes et des hommes » de Pierre-André Taguieff

Par Lucien SA Oulahbib 
Il y a tout d'abord cette loi désormais ratifiée criminalisant "le" client (y-a-t-il des client-e-s?…). Mais n'est-ce pas là un effet "Tartuffe" se demande Taguieff au sens où cette rigidité juridique cache mal toutes ces "promotions canapé" qui font de la prostitution un cas particulier de " l'échange économico-sexuel " observe-t-il dans son livre (p.21) ; du moins lorsque l'on ne fait pas l'amalgame avec l'esclavage sexuel qui en effet s'appuie sur de la coercition au sens strict du terme comme on le voit dans les réseaux mafieux et dans ce revival mis en scène par Daesh.
Sauf que ce "pas d'amalgame", si dénoncé ailleurs, est allègrement effectué par tous ceux, et, en particulier, toutes celles qui en définitive cherchent moins à défendre "les" prostituées qu'à s'en prendre au "client" nécessairement mâle et donc "dominant" ; ce qui revient à dire pour Pierre-André Taguieff que se profile, en arrière fond de cet amalgame, de fait, la volonté de certaines "féministes" d'élever un étendard à l'encontre de ce qui sous-tend pour elles la prostitution en général : cette "hétérosexualité normative" qu'il s'agirait de "déstabiliser" comme l'énonce l'une de leurs théoriciennes, Judith Butler dans "Trouble dans le genre"(2005, 2010, La Découverte/poche, pp.30, 241).

C'est là l'un des points forts du livre de Taguieff (par exemple p.83). La loi sur la criminalisation du client n'est au fond qu'un cache-sexe un cheval de Troie visant plutôt à déployer ce qui ferait office de "subversion" comme le clame Eric Fassin préfaçant le livre de Butler (p.16), là est le maître mot également partagé par cette dernière : il s'agirait moins en effet de combattre "le" pouvoir oppressif des hommes via la lutte contre la prostitution que d'admettre la réalité transversale du pouvoir, ce "rapport de forces permanent" émet encore Foucault dans son livre sur la sexualité (mais réduisant le pouvoir à la puissance alors qu'il est aussi prestige et recherche de richesses pour Weber) "pouvoir" qu'il faudrait cependant "subvertir" afin de créer une érotique du vertige pour Butler (Trouble dans le genre, p.241) et ce via une "misandrie" généralisée observe Taguieff (p.29) c'est-à-dire le cadavre (exquis) de "l'homme"à expier, la mort de l'homme là encore, une "androphobie" précise Taguieff dont il faudrait rire, là aussi comme le relaie Slate.fr ("l'essor de la misandrie ironique"17/09/14) de ce rire bataillien ici aussi rire ricanant du Jocker dans Batman, rire obligatoire, figé, celui de l'Homme qui rit volontaire nouvelle mouture de la subversion devenant femme. Voilà la colonne vertébrale de ce néo-léninisme en fait.
Taguieff le nomme autrement (dans son chapitre 1) mais insiste sur sa médiocrité (abyssale) celle d'un paysage intellectuel appauvri, abâtardi, charriant en son râle dernier cette dite "subversion" avatar (p.158) d'un non autrefois glorieux et qui aujourd'hui finit dans le caniveau d'une posture acariâtre prétendant pouvoir encore qualifier ceux qui seraient selon lui "réactionnaires" voire "néo-réactionnaires" et les autres, ceux (celles, "ils/elles" ou plutôt "elles/ils" selon sainte Butler comme il y avait autrefois un "Saint Max") qui seraient les "vrais" subversifs (la "vraie" gauche, le faux islam etc…) au sens de profiler que l'on doit (sollen) se faire à soi-même des croches pieds, tomber dans la tombe du sens préconisait Blanchot dans L'espace littéraire (1955) s'entortiller dans des "ni-ni" à n'en plus finir (Derrida) ni homme ni femme ni gay ni non gay, lesbien/ne et plus encore, oscillation, turn over, spin, bougisme énonce depuis longtemps Taguieff.
Sauf que tout cela est le matériel de propagande qui certes exprime bien ce à quoi en est réduit ce post marxisme ayant vu échouer les uns après les autres les lendemains qui chantent et qui se recroqueville aujourd'hui dans la figure du dandy déhanché, "enfant d'un siècle" en auto-mutilation volontaire officiellement, mais qui officieusement fait très attention à son point d'indice, son avancée vers le "hors classe" en matière de qualification, ses excursions à l'étranger pour énoncer cette bonne parole avec le salaire triplé lorsque l'on s'expatrie.

 Nous avons ainsi affaire côté pile à une version "hot", haut de gamme, désintéressée, quoique bardée de coups de menton intimidants implicites et, côté face, à sa mise en pratique par un "moralisme d'État" remarque Taguieff (p.193) qui est bien plus dans ce cas au raz des pâquerettes par sa traque de celui qui ne fornique pas comme il le faut, semblable et suite à celui qui ne pense pas comme il faut, taxé le cas échéant de raciste, dominant, populiste, blanc, hétéro banal qui ne vaut même pas la balle symbolique qui l'abat (sa famille, propre sur elle, devrait la rembourser comme il se doit en Chine lorsque le criminel a été exécuté).
Il y a là toute une emprise des corps et des esprits qui font de plus en plus penser à une expérimentation biologique grandeur nature ou ce désir de "rééduquer" note Taguieff (p.192) ce qui a été "configuré" à savoir non pas la reconsidération des rôles entre les sexes, mais ceux-ci, en eux-mêmes, pour qu'il n'y ait jamais plus jamais de stabilité et plutôt déséquilibre entre genre et sexualité (ni-ni, et-et) identité de la non identité, je sans moi, moi sans enjeu, sans nation, culture, errance, diff-errance, tout doit devenir ce déroulé cinématographique sans (cent) fin (s) sans aucun autre scénario ne vienne en troubler le genre.
Taguieff nous fait ainsi toucher du doigt la virulence de plus en plus inquiétante (totalitaire) de ce "socialisme au visage humain" démocrature des lettres en réalité qui prétend toujours parler non seulement "au nom de l'Humanité", mais aussi au nom des prostituées, des animaux, de la Terre, elle-même, ce qui implique de plus en plus une sacralisation de sa parole, sa déification (réification disait-on naguère) qui ne supporte plus aucune autre contradiction que celle qu'elle sécrète comme l'on organise des débats pour mieux cacher médiatiquement que l'on ne s'ébat plus sinon automatiquement dans ce théâtre d'ombres, producteur d'Audimat leur réel dieu en vérité.

Le 14/4/2016     

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