14 avril 2016 • Bertrand Nouel
Le gouvernement vient d’annoncer l’obligation pour les partenaires sociaux de négocier une nouvelle hausse de la taxation des CDD au titre des cotisations chômage. Une erreur à tous propos. D’abord parce que, en pleine période de chômage irrépressible, la mesure conduit à augmenter une nouvelle fois le coût du travail des contrats qui représentent actuellement plus de 85% des embauches : Incohérence. Ensuite parce que la mesure sera inefficace car on ne contraint pas un employeur à embaucher en CDI en rendant plus difficile l’accès au CDD : il contournera ou renoncera à embaucher : Inefficacité. Troisièmement, seront pénalisés ceux qui devraient le moins l’être et ne le seront pas ceux qui devraient l’être, à savoir les employeurs publics qui continuent à embaucher en CDD sans cotisations de chômage ni prime de précarité : Erreur de cible. Enfin, parce que, si l’objectif est de remplir les caisses de l’UNEDIC, ce n’est pas en pénalisant le recours au CDD qu’il faut agir, mais en modifiant les règles de l’indemnisation : Erreur de conception.
Un discours intenable
« Bonjour Monsieur l’entrepreneur ! Comme vos collègues des TPE, vous allez bientôt embaucher, et nous vous en félicitons, car c’est notre plus cher désir de voir les TPE contribuer à la baisse du
chômage. Comme vos collègues, il y a neuf chances sur dix que malheureusement ce soit en CDD. C’est bien dommage pour ceux que vous allez employer. Aussi avons-nous décidé au gouvernement, afin de faire cesser cette fâcheuse disposition d’esprit, d’augmenter nettement la cotisation chômage, (vos syndicats patronaux décideront combien), et possiblement aussi la prime de précarité, pour l’emploi d’un salarié en CDD. Mais nous comptons bien continuer à vous inciter à embaucher, et pour cela nous vous offrons un cadeau : pour vous spécialement, entrepreneur de TPE, si vous embauchez en CDI, il sera prévu qu’en cas de baisse de chiffre d’affaires d’un trimestre par rapport au trimestre correspondant de l’année précédente, normalement vous aurez le droit de licencier pour cause économique. Bien sûr ce sera quand même sous le contrôle des tribunaux, notamment quant au nombre de salariés pouvant être concernés. Nous espérons que vous apprécierez cette sollicitude à sa juste valeur, n’est-ce pas, car pour les autres entreprises, la comparaison devra se faire sur un nombre plus important de trimestres, deux par exemple pour les PME ? ». « Euh…quand est-ce que l’Etat cessera de se f…de nous ? »
On pourrait presque s’arrêter là, tant il est évident que la petite précision sur la cause réelle et sérieuse du licenciement, qui pourrait être acquise en cas de baisse de chiffre d’affaires après une année, ne peut en aucun cas être comparée avec une hausse de plusieurs points des cotisations chômage. Cette précision pourrait même s’avérer néfaste, en réputant sans cause réelle et sérieuse un licenciement qui ne respecterait pas strictement cette condition.
D’une façon plus générale, alors que la priorité des priorités est la lutte contre le chômage, la mesure conduit à augmenter une nouvelle fois le coût du travail des contrats qui représentent actuellement plus de 85% des embauches1 – quelques mois d’ailleurs après avoir facilité le recours aux CDD en permettant leur second renouvellement (août 2015) !! On passera rapidement sur la parfaite incohérence de la démarche, évidemment motivée par le souci de s’assurer les bonnes grâces…des étudiants et ce qui n'a absolument rien à voir avec la couverture des dépenses de chômage.
Ces jours-ci vient d’être publiée l’enquête de Pôle Emploi sur les besoins de main-d’œuvre. La part des CDD de moins de 6 mois atteint 44% des intentions d’embauche, et ce sont les emplois saisonniers, donc en CDD, notamment dans le tourisme (+ 8,6%, pour 45% des projets) qui sont en plus forte hausse (2,6% pour les emplois non saisonniers). 45% des projets se concentrent dans les TPE et 23% dans les PME de moins de 50 salariés. Comme on le voit, surtaxer les CDD, mesure qui pénalise surtout les petites entreprises, s’impose absolument par son intelligence et son à propos !
Une aggravation du coût du travail, mais aussi un coup d’épée dans l’eau
La mesure ne se contente pas d’alourdir le coût du travail, elle n’est pas non plus susceptible d’améliorer le recours aux CDI. C’est un peu comme si on croyait pouvoir contraindre les couples à se marier en abolissant le PACS : les employeurs ne recourront pas davantage au CDI parce que le CDD sera pénalisé.
Les possibilités de contournement resteront de toute façon nombreuses :
- Recourir à l’intérim, qui est cependant coûteux pour l’entreprise ;
- Utiliser la période d’essai des CDI pour rompre le contrat en fin de période. Certes le contrat sera un CDI, ce qui améliorera les statistiques, mais pour un résultat qui ne sera pas meilleur qu’un CDD de très courte durée du point de vue de la précarité du salarié, voire pire encore puisqu’éliminant en principe les possibilités de renouvellement ;
- Utiliser au maximum la rupture conventionnelle du CDI, surtout en début de contrat, où les indemnités sont normalement faibles ;
- Utiliser les exceptions à la taxation, comme les contrats d’usage (dans la mesure où elles subsistent) ;
- Continuer d’utiliser les CDD, en diminuant le salaire pour maintenir le coût du travail au même niveau. Ce qui revient à pénaliser le salarié deux fois : contrat précaire et mal payé ;
- La solution la plus pénalisante pour tous : renoncer à embaucher…
Les erreurs de cible : les employeurs publics toujours pas concernés...
Commençons par les employeurs qui devraient être pénalisés et qui ne le seront toujours pas : les employeurs publics des trois fonctions, qui sont légalement libres de conclure sans être assujettis aux conditions de fond applicables au secteur privé, des CDD de 3 ans renouvelables une fois – et ne s’en privent pas, non plus qu’ils ne se privent pas de multiplier les renouvellements hors la loi. Un double avantage donc par rapport au secteur privé, pour l’absence de condition et la durée permise, et même un troisième puisque ces employeurs ne payent ni cotisations de chômage au régime général ni prime de précarité, mais prennent seulement en charge les indemnités de chômage au titre de l’auto-assurance des employeurs publics ! La proportion de CDD dans le secteur public était en 2012 d’après la DARES de 14,6% dans le secteur public contre seulement 10,3% dans le secteur privé.
Les salariés des arts et spectacles toujours à la charge du régime général…
Les contrats des salariés des arts et du spectacle, le plus souvent engagés sous le régime des CDD d’usage, ne se voient pas surtaxés. Or ils représentent 18% du total des CDD, leur durée est en moyenne la plus faible de tous les secteurs (3 semaines), et l’on sait que le régime des intermittents coûte très cher, et se retrouve à la charge des autres secteurs. Une anormalité qui perdure, alors que le coût de ce régime devrait être supporté par l’État au titre des dépenses générales du ministère de la Culture.
Mais la mesure pénalisera des secteurs qui ne devraient pas l’être et nuira à l’emploi
Par opposition, ce sont les TPE qui vont le plus souffrir, alors que ce sont elles qui devraient être les plus aidées. Selon la DARES, 13,8% de leurs salariés sont en CDD, contre seulement 7,6% pour les entreprises de plus de 10 salariés. Et 46% de leurs CDD sont des emplois aidés, représentés à 77,9% par des contrats d’apprentissage ou de professionnalisation. La mesure risque donc de toucher de plein fouet l’apprentissage des TPE, ce qui est particulièrement mal venu ;
Enfin deux secteurs où la proportion des CDD est la plus élevée : le secteur médico-social (18% des CDD, plus de 450% d’augmentation des CDD depuis 2000), où le renchérissement toucherait des entreprises et associations particulièrement vulnérables, et l’hôtellerie-restauration (19% des CDD), où le caractère saisonnier de l’activité impose de recourir aux CDD.
L'erreur de conception, c'est sur les règles d’indemnisation qu’il faut agir, pas sur la taxation !
Une fois de plus on se retrouve avec une mesure incohérente, consistant à régler par une taxation l’effet pervers d’une réglementation, au lieu de remédier à cette dernière.
En 2014 les règles de cumul emploi-indemnité de chômage ont été modifiées. Elles permettent d’abord de « recharger » les droits à indemnisation non utilisés pour cause de reprise d’emploi avant leur extinction2.
D’autre part, de nouvelles règles s’appliquent aussi pour le cumul salaire et allocation chômage. Il est désormais possible de conserver le bénéfice de l’allocation, dont le montant est alors égal à celui prévu en l’absence de salaire, diminué de 70% du salaire versé3.
Cette amélioration des droits du salarié a pour objet d’inciter à la reprise du travail, en évitant la perte d’indemnisation résultant de cette reprise avant l’expiration des droits. Mais ce système est éminemment contestable dans la mesure où il considère l’indemnisation comme un capital et non comme la mise en jeu d’une assurance dont le bénéfice devrait expirer lorsque le dommage a cessé. Quoi qu’il en soit, les effets pervers n’ont pas tardé à se manifester, car le système permet, en enchaînant des périodes d’emploi avec des périodes de chômage, d’être indéfiniment couvert et de percevoir un revenu presque égal à celui que procurerait un CDI. Les salariés ne sont pas les seuls bénéficiaires, puisque les employeurs peuvent ainsi faire payer par l’assurance chômage les périodes pendant lesquelles le travail du salarié n’est pas nécessaire, et diminuer ses cotisations chômage. Les statistiques montrant qu’environ 70% des CDD sont renouvelés auprès du même employeur, le problème est donc bien réel, comme l’ont analysé les chercheurs Pierre Cahuc et Corinne Prost4.
Il s’agit ici d’un évident effet pervers d’une réglementation qui n’est pas faite pour profiter ainsi de l’assurance chômage. Mais, plutôt que de revenir en arrière sur cet avantage que nous persistons à trouver indû par principe et indépendamment de son effet pervers, on préfère conserver l’avantage en taxant le recours au CDD. Double erreur : en faisant ainsi, on va pénaliser l’ensemble des CDD, y compris ceux qui sont nécessaires, et par ailleurs on va faire supporter par les seuls employeurs la contrepartie fiscale d’un avantage qui profite avant tout au salarié et pour lequel il a été accordé5. C’est la règle du cliquet, qui veut qu’il ne soit jamais possible de revenir sur un avantage. Et comme ceux-ci s’accumulent sans cesse comme autant de droits prétendument acquis, on n’est pas près d’avoir une attitude rationnelle…
[1] L’apparente contradiction entre le nombre total de CDI dans les contrats en cours (un stock de 90%), le nombre constant de CDD en stock depuis 2000, et le nombre d’embauches en CDD (un flux de 85%) tient à ce que la durée des CDD a considérablement raccourci ces dernières années et que, comme environ des 70% des CDD donne lieu à renouvellement auprès du même employeur, le nombre de contrats signés augmente par construction dans la même proportion.
[2] Voici comment l’Unedic décrit le mécanisme : 1 « Ouverture des droits à l’allocation chômage : un salarié s’inscrit comme demandeur d’emploi pour bénéficier de ses droits à indemnisation. Le montant et la durée totale de son allocation d’aide au retour à l’emploi sont calculés dès le départ. 2 Reprise d’une ou plusieurs activités salariées en cours d’indemnisation (Deux possibilités : a. Si une activité reprise procure un revenu équivalent ou supérieur à l’ancien salaire (salaire de référence), l’indemnisation est suspendue le temps de la période d’activité. Cela repousse d’autant la date de fin des droits initiaux. A la fin de la période d’activité, on reprend l’indemnisation initialement ouverte là où elle en était ; à condition que la perte d’emploi ne soit pas volontaire. b. Si l’activité reprise procure un revenu inférieur à l’ancien salaire (salaire de référence), il est possible de cumuler ce revenu avec une partie de l’allocation chômage. Le montant de l’allocation ainsi non versé est converti en jours d’allocation qui repoussent d’autant la date de fin des droits initiaux.). 3 Rechargement des droits : une fois tous les droits initiaux du demandeur d’emploi utilisés, et seulement à ce moment là, il va être effectué un « rechargement » des droits qu’il a acquis en travaillant au moins 150 heures pendant la période d’indemnisation. Ce rechargement lui ouvre de nouveaux droits, c’est-à-dire une allocation d’un nouveau montant pour une nouvelle durée qui sera calculée sur la base des activités reprises Au final, le demandeur d’emploi voit sa durée d’indemnisation allongée. »
[3] L’Unedic donne l’exemple d’un salarié ayant droit à une indemnité chômage de 930 €. Il prend un emploi qui lui rapporte 600 €, son indemnité sera alors égale à 510 €, et son revenu total sera de 1.110 €, supérieur à l’indemnité qu’il aurait perçue en l’absence de travail. Ceci rappelle le mécanisme du RSA, qui permettait de conserver 62% du salaire avant l’institution de la prime d’activité.
[4] Les notes du conseil d’analyse économique No 24, septembre 2015.
[5] Il est d’ailleurs piquant de constater que, en raison de certains cas où les droits rechargeables pénalisent plutôt les salariés (ainsi lorsque le nouvel emploi est mieux rémunéré que l’ancien ayant donné droit à l’indemnisation), on s’est empressé de donner à ce dernier une option d’y renoncer.
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