Par Lucien SA Oulahbib
Ces
quelques jours imprégnés de cette grandiose ville, mythique, elle aussi, tant
elle marque encore l'histoire du monde, m'ont aidé à sentir (feeling)
pourquoi l'éternel recommencement de la querelle des Anciens et des Modernes et
de son alliage parfois s'avère salutaire : Big Ben n'est pas tant que cela
coincé entre deux hautes tours tortillées de verre que l'on pourrait tout aussi
bien voir à Shanghai, Hong-Kong, Dubaï, elle leur donne toujours
le temps (is money).
Mais
l'inverse n'est pas vrai. D'où le nombre, incalculable, de touristes venus
littéralement du monde entier (en particulier ces japonaises habillées façon
années 50) flux inaltérable qu'aucune attaque, même à l'acide, ne pourrait
arrêter; autant dévier un méga tsunami avec une digue façon ligne Maginot ou
frapper ces tours par des avions, Hilter, Ben Laden (sur NYK) s'y ont essayé,
les tours émergent à nouveau à Ground Zero, plus belles.
Ring
my bell.
Lorsque Proust
rouspète contre la Tour Eiffel, lorsque Paris refuse
toujours de voir s'ériger de tels aliens en verre et acier, Paris perd
peut-être la possibilité que pousse autre chose qu'un éclectisme redondant
comme c'est le cas avec ladite pyramide du Louvre (elle-même bégayant l'Opéra
Garnier ou le Sacré Coeur) parce que ces diverses copies empiètent formellement
sur ce mixte néogothique qu'est le Louvre, avec une complète structure du
passé, cette pyramide démultipliée en trois, même parée de matériaux nouveaux,
alors qu'une structure aux formes complexes tressées de verre et d'acier,
aurait fait contraste, au lieu de s'y opposer lourdement, ânonnant alors
la formule bonapartiste sur la puissance du temps historique déjà cristallisé
("du haut de
ces pyramides quarante siècles vous contemplent").
Idem pour les
colonnes de Buren au Palais Royal qui, un ton en dessous certes, démultiplient,
en en le jouant cyniquement, celles de Corinthe ; ne parlons pas
des divers
pieds de nez ou de pouce levé géant façon art contemporain qui trônent ici et
là, même à Trafalgar Square, ils ne font eux aussi que brouiller les cartes à
défaut d'imaginer comment, de l'Ancien, le Moderne surgit et pourquoi faire.
J'ai vu ce
même couplage à Boston : entre deux mastodontes s'élançant vers le firmament
apparaît toujours une église. Voilà ce qui manque sans doute plus
fondamentalement dans cette floraison de formes : non pas "le" sens
qui tenterait de plaquer une vision unique à la "vis" la force
d'être plutôt que rien, mais l'idée d'une mélodie mariant ces diverses notes à
la façon ancienne oui d'un même fond sonore universel, plutôt que ces notes
discordantes, mécaniquement seules, façon musique contemporaine, celle qui
prétend que l'harmonie veut dire harmonisation…
Le
dynamisme de Londres, bus flambant neufs, cabs à l'ancienne, le Brexit semble
encore loin, et je dirais que sur ce plan là la France ferait bien de ne pas
trop faire le jeu de l'Allemagne, d'autant que les banques qui songeraient à
quitter la City visent plutôt à s'installer à Francfort que Paris… Pourquoi ne
pas trouver un compromis ? UK reste dans le marché unique, mais renforce ses
frontières en fonction de ses possibilités d'emploi en particulier vis-à-vis
des pays de l'Est, leur
population s'y étant déversée abondamment, alors que
l'Allemagne n'a pas ce problème, au contraire…
Mais autre
chose m'habitait aussi : je n'échangerai pas la splendeur d'un saule pleureur
paradant royalement dans le jardin d'une petite maison de la banlieue de
Londres pour un appartement londonien même central ; voir "Londres et
mourir", non ; suis-je alors touché par le phénomène "hipster"
nouveau terme pour désigner la mode du néo-hippie, moins marginal, mais tout
autant à la recherche d'une harmonie esthétique entre son travail extérieur et
intérieur ? Travail sur soi en soi pour soi ouvert aux autres (mais jusqu'où
tel est le dilemme) ; ainsi donc: vaut-il mieux s'ennuyer dans une firme
anonyme, mais en costard cravate (acheté soi-même…) pour payer chèrement un
appartement certes "central", mais que l'on voit si peu que le placer
sous rbnb compenserait un peu, ou, vaut-il mieux humer les images éternelles
brassées par ce saule pleureur tout en opérant un métier pratique
?
Ou le
syndrome du "hipster
pâtissier" qui inquiètent les sociologues avides de
voir du "déclassement social" ou de la "périphérie"
partout... Après tout pourquoi le bourgeois ne pourrait-il pas se sentir
bohème, pour de vrai ?… Doit-on être esclave de sa classe, être puni, comme ces
enfants de "riches" exclus des écoles prolétaires en Union Soviétique
ou tirés au sort aujourd'hui en France parce que même ladite
"méritocratie" ne plait pas aux idéologues soucieux de réduire les
corps à des machines interchangeables, supports télématiques d'un
néo-socialisme plutôt que dudit "néo-libéralisme" tant ce dernier
laisse tout de même sa chance aux débrouillards alors que le premier met chacun
à sa place dans la pyramide sociale : les assistés en bas, les adoubés des
réseaux comme il faut en haut, jetons par légions (d'honneur).
C'est là un
défi majeur semble-t-il du nouvel alliage qui vient, qui est déjà là, qui a
toujours été là au fond: celui des questions permanentes liées aux problèmes
permanents disait Leo Strauss dans son livre testament consacré à Platon :
pourquoi l'ordre social et pas plutôt rien ? Et celui-ci est-il nécessairement
réductible à une "domination" des uns sur les autres ?
Autre chose
sur Platon : au fond, ne cherchait-il pas avec sa spéculation sur l'Un-Bien, à
dépasser le polythéisme de son époque ? Et, dans ce cas, le monothéisme
commencé chez Amon-Ra, perpétué par Yahvé, vivifié en Christ ou le Verbe fait
Homme (mais rigidifié en l'Islam) ne signifiait pas également que le
christianisme avait déjà en lui cette tension entre Athènes et Jérusalem sans
avoir besoin d'un contact séparé avec la première que la Renaissance exigea
cependant puis Les Lumières ?
En un mot,
l'idée que ledit "Moyen-Âge" chrétien, judéo-chrétien, serait resté
"non civilisé" sans l'apport islamisé d'une partie de la physique grecque
s'avère de plus en plus un non sens : lorsque Augustin, Thomas d'Aquin,
discutent Platon et Aristote, ce n'est pas pour seulement apprendre d'eux mais
surtout en faire fructifier la logique au sein d'une appartenance de sens car
la logique, seule, donne le sophisme, le raisonnement cynique ; d'où l'adage
célèbre, un peu de philosophie éloigne de la religion, beaucoup de philosophie
nous y rapproche, d'où le désarroi de Ghazali et
aussi d'Averroës, le premier prônant l'abandon de la philosophie au profit de
la seule religion, le second réservant celle-ci à une élite (dans son
"discours décisif") prônant lui aussi le retour à la religion pour le
plus grand nombre (ou le mythe d'un Averroës moderne).
En
sommes-nous là à nouveau ? La dissociation entre philosophie et religion
aggravée depuis ladite Renaissance jusqu'à nos jours amène un retour inverse du
balancier où nombre de citadins qui errent entre la barbe du hipster et celle
du fondamentaliste se demandent à quel saint se vouer. Parce que l'éclectisme
consumériste du sous épicurisme squatté pour raison alimentaire par le
terrorisme du post léninisme dévore tout.Tout en se donnant un soupçon
d'excitation "insoumise" qui au Venezuela
montre en effet ce que cela veut dire.
Un seul
exemple du nihilisme ambiant masqué son masque "progressiste" :
regarder un film réservé aux moins de douze ans devient un challenge, seize ans
un exploit (dix-huit ans…) car seuls le "réservé aux moins de dix
ans" et au "tout public" passent, et encore, tant au-dessus de
cet âge la démesure dans la violence et son attrait s'y inscrivent au fur et à
mesure qu'elle est paradoxalement pourchassée jusque dans ses interstices (la
lutte contre la prostitution) dans un réel de plus en plus aseptisé
officiellement, déconstruit officieusement (la prostitution opérant sur
Internet).
Dénoncer
cette actuelle fusion entre progressisme d'opérette et nihilisme d'implosion
amènera son lot d'obscénités viscéralement "pro" (art) ou le
professionnalisme de la dénonciation shootée à la subvention d'État maquillée
en "aide à la création" alors qu'il s'agit d'un investissement en vue
de la démesure sous penthotal, l'implosion est sommée non seulement de dire la
vérité mais de commenter chaque pas de programme de son autodestruction, la
réduction des corps à des ectoplasmes solidifiés à coup de look selfisés à
outrance les métamorphosent en bulles urbaines au fin fond des flonflons flous
flottant dans ledit royaume républicain, même la Corée du Nord est une république,
démocratique.
Ce voyage
londonien, j'en retiens d'un côté que l'UK est toujours debout, et
architecturalement en avance (de même que ses comédies musicales exquises comme Un
américain à Paris) de l'autre côté il serait bon que l'UK cesse lui
aussi de faire l'ange car en face les ennemis de la liberté, ceux qui préfèrent
la mort à la vie, sont légions, y compris dans nos rangs, ce qui rend la tâche
bien délicate, même si la décantation va se faire peu à peu comme c'est le cas
lorsqu'il s'agit de choisir son camp car parfois, le "en même
temps" s'estompe : on ne peut être à la fois pour
Hitler et pour Churchill… Pour la liberté et pour le totalitarisme. Les mots
n'arrivent pas encore à nous départager. Les choses sont en train de le faire.
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