Par l'iFRAP
Les choses se précisent mais sans pour autant se simplifier. Posons pour principe que les entreprises ne peuvent pas continuer à traîner un boulet à chaque pied, l’un empêchant de licencier et l’autre de flexibiliser temps de travail et salaires. On rappellera ainsi qu’en Allemagne il est vraiment difficile de licencier, mais qu’en contrepartie la flexibilité y est remarquable depuis longtemps et que le Royaume –Uni se signale par une grande la liberté de licencier. Il est donc d’abord question de
réformer les accords sur le maintien dans l’emploi, censés apporter de la flexibilité salariale aux entreprises en cas de difficultés. Si le contrat de travail unique paraît avoir du plomb dans l’aile, voici une offensive du Medef sur le thème de la peur de l’embauche que l’on pourrait vaincre en déterminant à l’avance par contrat les conditions d’un licenciement. Voici aussi une proposition aussi radicale qu’osée, provenant d’un collectif de prestigieux économistes, libéralisant complètement le licenciement économique. Voici enfin qu’Emmanuel Macron évoque très courageusement un « droit à l’erreur » pour les entreprises, préfiguration d’un assouplissement de la définition de la cause réelle et sérieuse du licenciement. A vrai dire, aucune de ces propositions ne convainc, et c’est une rédéfinition du licenciement économique que l’iFRAP propose. Les accords de maintien dans l’emploi : difficiles à généraliser.
C’est le côté flexibilité. Nous y avons souvent fait allusion dans ces colonnes, pour signaler que ces accords étaient déjà très restrictifs et compliqués lorsqu’ils ont été imaginés par les partenaires sociaux début 2013, et que les députés ont achevé de les rendre quasiment inutilisables dans la loi du14 juin 2013 en rendant incertain le statut des salariés qui refusent l’accord. A l’heure actuelle, le gouvernement semble cependant prêt à revenir sur certains points de la loi et répondre à certaines demandes du patronat : supprimer le caractère économique du licenciement des salariés qui refusent l’accord, allonger la durée de l’accord d’entreprise et peut-être en simplifier l’accès. Mais on bute toujours sur les 35 heures : généraliser cet accès aboutirait à remettre en cause ce totem socialiste, ce que le Premier ministre s’interdit de faire. Le pronostic n’est donc pas très favorable, on risque de rester au milieu du gué.
On ajoutera, toujours côté flexibilité, que la réglementation du chômage partiel, maintenant appelé activité partielle, est très loin d’avoir la même efficacité que le kurzarbeit allemand, essentiellement, là encore en raison des conditions restrictives d’accès, et aussi parce que l’intérêt financier pour les entreprises est trop limité (compensation limitée à environ 7 euros de l’heure, quel que soit le salaire). Seulement 13.300 entreprises y ont eu recours en 2013.
La proposition du Medef de contractualiser les conditions de la rupture : trop difficile à prévoir et à rédiger
Côté rigidité, c’est la demande pressante de Pierre Gattaz qui veut ainsi permettre aux employeurs de surmonter leur « peur de l’embauche ». Le contrat de travail préciserait les conditions dans lesquelles il pourrait être rompu, particulièrement si la demande adressée à l’entreprise baisse au-delà d’un certain niveau.
Précisons d’abord qu’il s’agirait bien ici d’un licenciement pour cause économique par opposition à un licenciement pour motif personnel qui pourrait découler par exemple d’une insuffisance de résultats : le comportement du salarié n’est nullement en cause. Dès lors la validité du licenciement doit être appréciée au regard de l’article 1233-3 du code du travail, qui exige de constater la réalité de « difficultés économiques ». Or, selon la jurisprudence actuelle, il revient aux tribunaux de déterminer si ces difficultés sont ou non suffisantes pour justifier un licenciement, et par exemple la Cour de cassation a posé le principe que la baisse du chiffre d’affaires ou celle des bénéfices ne suffisent pas à établir l’existence de telles difficultés. Il faudrait donc modifier la loi pour ôter aux tribunaux le droit d’apprécier, même en présence d’une clause contractuelle, la réalité d’une cause suffisante (« réelle et sérieuse » selon la loi) de licenciement.
En tout état de cause, cette modification nécessiterait une rédaction très précise des conditions permettant le licenciement. Les employeurs seraient-ils en mesure d’imaginer au moment de l’embauche d’un CDI de telles conditions, qui devraient être valables de nombreuses années pour être intéressantes - et seraient-ils capables de l’imposer aux salariés ? Sachant au surplus que ces clauses seraient appréciées très restrictivement, et toujours en faveur des salariés, par les tribunaux, lesquels chercheraient aussi tous les échappatoires possibles, tels que la faute de l’employeur ou l’imprévisibilité des situations, pour déclarer la clause inapplicable ? Nous sommes sceptiques sur l’utilité de cette contractualisation, à supposer qu’elle soit rendue possible. Sans compter encore qu’il faudrait aussi se débarrasser de l’obligation de reclassement telle qu’elle est actuellement imposée (voir ci-dessous).
La proposition du collectif des économistes : radical, mais…
C’est un pavé dans la mare que jette ce collectif de quinze économistes, et non des moindres[1], dans les colonnes des Echos du 30 mars sous le titre « Pour un jobs act à la française ». Pour eux, il faut aller « beaucoup plus loin » que d’encadrer le licenciement non justifié et de limiter au territoire national le reclassement des salariés comme le propose le projet actuel de la loi Macron. Il faut « modifier la définition du licenciement économique pour que le juge apprécie sa légalité, non au regard de la situation économique de l’entreprise, mais en vérifiant simplement la réalité de la réorganisation engagée ». Ce qui revient à supprimer la nécessité que la cause soit « sérieuse » dans l’article 1233-2 du Code du travail, et à seulement définir dans l’article 1233-3 le licenciement économique comme la modification du contrat de travail refusée par le salarié. Par ailleurs, il y a aussi lieu pour le collectif de supprimer l’article 1233-4 du même code concernant l’obligation de reclassement.
On applaudit à l’esprit de ces propositions. Commençons par la seconde.
Une obligation de reclassement désastreuse pour l’employeur.
Article 1233-4 du code du travail. « Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.
Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.
Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ».
La jurisprudence a considérablement renforcé cette obligation. D’abord en exigeant que l’employeur propose à peu près n’importe quel emploi dans son entreprise, ou dans son groupe, incluant même les établissements situés à l’étranger. Peu importe que la qualification du nouvel emploi soit différente. De plus, l’employeur doit, selon la Cour de cassation, proposer une modification du contrat de travail « en assurant au besoin l’adaptation de ses salariés à l’évolution de l’emploi ». Ces dispositions légales sont extravagantes. Le collectif des économistes termine son article en notant à juste titre que « l’obligation de reclassement ne doit pas incomber aux entreprises, mais au service public de l’emploi ». En fait, il faut aller plus loin dans la critique, pour remarquer que cette jurisprudence interdit de faire le choix entre plusieurs candidats en faveur du plus compétent puisque celui qui est en poste a la priorité, et qu’en plus il faut payer la formation de ce dernier ![2]
Devant de telles exigences, on peut dire qu’il ne sert pas à grand-chose d’élargir le concept juridique de cause réelle et sérieuse du licenciement si l’employeur se trouve empêché de conserver son salarié dans des conditions telles d’incompétence qu’il ne l’aurait jamais embauché s’il en avait eu le choix. Le collectif d’économistes doit être approuvé, l’abrogation de l’article 1233-4 du Code du travail, ou tout au moins sa profonde révision, est un préalable indispensable.
Une redéfinition délicate du licenciement économique.[3]
La proposition du collectif d’économistes relative à la définition du licenciement économique revient à supprimer les derniers mots, à partir de « …consécutives notamment… », de l’article 1233-3. Cette proposition serait cependant juridiquement insuffisante pour assurer que l’employeur puisse valablement licencier un salarié, puisqu’il le ferait sans avoir à justifier d’aucun motif ni à subir aucun contrôle. Ceci n’est à notre sens pas admissible et serait contraire aux obligations nées de la participation de la France à l’OIT et à sa Convention 158. Il faudrait dénoncer notre appartenance à l’OIT, comme l’avait proposé Pierre Gattaz en son temps, ce qui avait soulevé un tollé.
On ne peut pas priver le salarié de la possibilité d’exercer des recours judiciaires. Il faut alors, tout en gardant ouverte cette possibilité, pouvoir quand même interdire au juge de se substituer à l’employeur dans ses décisions. Et bien entendu ces décisions peuvent légitimement conduire à des réorganisations d’objet nettement plus large que la seule lutte contre des difficultés économiques mettant en cause la vie de l’entreprise, comme cela est quasiment exigé par la jurisprudence actuelle. L’exercice est délicat, d’autant que l’article 9.3 de la Convention 158 de l’OIT, à laquelle la France est partie, dispose ainsi : « En cas de licenciement motivé par les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service, les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention[4] devront être habilités à déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour ces motifs, étant entendu que l'étendue de leurs pouvoirs éventuels pour décider si ces motifs sont suffisants pour justifier ce licenciement sera définie par les méthodes d'application mentionnées à l'article 1 de la présente convention ». Il n’y a pas de difficulté pour respecter la première condition (vérification de la véracité des motifs), mais comment respecter la seconde (caractère suffisant des motifs) sans donner aux tribunaux le pouvoir de se substituer à l’employeur ?
Le « droit à l’erreur » qu’Emmanuel Macron voudrait accorder aux entreprises
Avec une grande prudence et sans donner de détails – on sent qu’il marche sur des œufs – le ministre lance l’idée d’accorder un droit à l’erreur aux entreprises, qui on l’imagine leur permettrait de licencier des salariés dont l’évolution de l’activité ne justifierait plus l’emploi. Il faudrait évidemment savoir ce que le ministre entend par « erreur », quelles sont les situations auxquelles ce droit pourrait s’appliquer, et quelles entreprise seraient bénéficiaires (toutes, ou seulement les PME ?). On préférerait que le ministre évoque le droit à la prise de risque plutôt qu’à l’erreur, car ce n’est pas une erreur que d’échouer, mais il faut pouvoir rebondir. C’est en fait à la liberté essentielle de l’employeur qu’il faut revenir : celle de diriger son entreprise avec une vision de long terme que les tribunaux n’ont ni la légitimité ni la compétence de lui disputer, et bien entendu de corriger cette vision.
Dans cette optique, nous proposons la nouvelle rédaction suivante de l’article 1233-3 (les modifications sont soulignées) :
« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail,consécutives à la réorganisation de l’entreprise ou à une suppression de poste motivées par des difficultés économiques ou par le souci de maintenir la rentabilité de l’entreprise, ou par l’adaptation à de nouvelles conditions de marché ou de production, ou encore par la réorientation des activités de l’entreprise. L’employeur est seul juge de l’opportunité de procéder à cette réorganisation ou à cette suppression de poste et de la façon d’y procéder. »
Cette modification ne retirerait pas tout droit pour les tribunaux de juger de la suffisance des motifs mais interdirait au moins à la Cour de cassation de maintenir le principe que le désir de maintenir la rentabilité de l’entreprise n’est pas une cause réelle et sérieuse de réorganisation. On redonnerait à l’employeur la liberté d’initiative conformément à l’adage « gouverner c’est prévoir », tout à fait méconnu à l’heure actuelle.
Conclusion
Il serait bien entendu souhaitable d’assouplir la loi à la fois pour permettre la flexibilité du temps de travail et des salaires, et pour mettre un terme à la rigidité de la règlementation du contrat de travail au niveau du licenciement économique. Le gouvernement semble prêt à améliorer les conditions d’utilisation des accords de maintien dans l’emploi, mais n’envisagerait pas de s’attaquer au contrat de travail.
Notre analyse nous conduit cependant à une conclusion inverse. Nous sommes sceptiques sur l’utilité d’une réforme de la réglementation du maintien dans l’emploi qui ne serait pas gagée par une totale liberté d’abandon des 35 heures. Et nous trouvons tous comptes faits qu’il devrait être plus évident et facile à justifier politiquement de redonner au chef d’entreprise le libre usage de ses prérogatives essentielles de direction sans avoir à risquer l’interférence de tribunaux étrangers aux intérêts de l’entreprise et par nature incompétents. Nous trouvons aussi que cette mesure serait la plus efficace de toutes pour vaincre la peur de l’embauche, et qu’elle représenterait aussi le marqueur le plus lisible pour ceux, d’Europe ou d’ailleurs, qui attendent une réforme structurelle de notre marché du travail.
[1] Pierre Cahuc, Francis Kramarz, Stéphane Carcillo, Marc Ferracci, François Fontaine, Jean-Olivier Hairault, Jean Tirole, Augustin Landier, François Langot, Yannick L’Horty, Franck Malherbet, David Thesmar, Radu Vranceanu, Etienne Wasmer, André Zylberberg.
[2] Nous avons déjà mentionné le cas du garagiste qui, contraint de supprimer son poste à essence en raison des travaux du tramway parisien, avait été condamné pour avoir licencié sans cause réelle et sérieuse le pompiste qui n’avait aucune qualification, les juges (Cour d’appel de Paris) ayant estimé que l’employeur aurait dû former ce pompiste au métier de mécanicien !
[3] Article 1233-3 du Code du travail. « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ».
[4] Il s’agit en fait des tribunaux ou de la loi.
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