Agnès Verdier-Molinié est directeur de la Fondation iFRAP depuis décembre 2009. Elle est aussi auteur de «La Mondialisation va-t-elle… nous tuer?», des «Fonctionnaires contre l'État. Le grand sabotage» et «60 milliards d'économies! Oui… mais tous les ans».
LE FIGARO - Vous publiez un rapport sur la règle budgétaire. Quelle a été votre méthode de travail? Quelles sont vos conclusions?
Agnès VERDIER-MOLINIÉ - Nous sommes partis de quatre pays ayant rétabli leurs comptes publics avec des règles et un timing différents: la Suède, la Suisse, le Canada et l'Australie, choisis car réputés exemplaires sur ce point. Nous avons étudié les mesures ayant rendu possibles les périodes de retour à l'équilibre budgétaire. Par exemple, en Suède, on comptait presque 54 % de
dette par rapport au PIB en 2000 contre autour de 40 % aujourd'hui ; et malgré le poids de l'État-providence suédois, la règle de 1 % en moyenne d'excédent des comptes publics a permis de revenir à un solde budgétaire positif en moyenne.Même constat en Suisse, où le plafond des dépenses publiques est fixé après l'estimation des recettes avec une règle d'équilibre. Résultat: en Suisse, les comptes publics sont positifs depuis 2005 et la dette publique est passée de 53,4 % du PIB en 2003 à 35 % maintenant.
Personne n'a obligé les Suisses ou les Suédois à durcir leurs règles budgétaires. Ils l'ont fait dans le consensus politique pour assurer leur avenir commun. Pour espérer un jour respecter les règles européennes (Maastricht, traité de stabilité budgétaire), la France gagnerait à établir ses propres règles budgétaires. Ces règles, décidées et votées par les Français, seraient moins lointaines que celles de Bruxelles et nous rendraient aussi plus responsables collectivement de la gestion publique. Cela permettrait à la France de dessiner son propre sentier de convergence pour atteindre les objectifs des 3 % de déficit (0,5 de déficit structurel) et 60 % de dette publique par rapport au PIB. Bruxelles nous montre l'arrivée, mais nous avons la responsabilité de décider des moyens pour y parvenir. C'est ce qu'a fait la Suède, qui s'est fixé par exemple un maximum de dette publique à 20 % du PIB en 2025. En France, notre dette publique va flirter dans les prochaines années avec les 97 % du PIB.
Début 2014, François Hollande souhaitait passer au second temps de son mandat, de la rigueur à la «redistribution». Pensez-vous que nous pouvons aujourd'hui dire que les finances publiques sont suffisamment contrôlées pour avancer vers la deuxième étape?
On peut craindre qu'après avoir trop augmenté les impôts puis compris qu'il fallait les baisser, le président n'oublie de baisser vraiment les dépenses publiques. Le gouvernement a commis l'erreur de tout miser sur la hausse des prélèvements en première intention et de ne pas immédiatement prévoir un vrai plan de redressement des comptes avec 60 % de l'effort sur la baisse des dépenses. La réelle prise de conscience de l'obligation de réduire les dépenses est récente. Et ce notamment car, en 2013, plus de 15 milliards d'euros de recettes fiscales ne sont pas rentrés dans les caisses publiques. Mais prendre conscience ne suffit pas. On le constate notamment car les 50 milliards d'économies annoncés ne sont pas du tout assez détaillés. On le voit aussi car le pacte de responsabilité et de solidarité n'est pas financé pour 27 milliards à l'horizon 2017.
Votre rapport n'est-il pas un vœu pieux? Comment peut-il être appliqué concrètement?
Nos propositions visent à adopter des règles qui obligent à passer du discours à l'action. Jusqu'ici, le gouvernement louvoie, rabote, sans modifier le tendanciel des dépenses, mais c'est terminé. LaCour des comptes ou le Haut Conseil aux finances publiques, comme vraisemblablement la Commission européenne, vont commencer à demander des plans détaillés d'économies et tacler à chaque fois l'État s'il ne respecte pas ses engagements et sa trajectoire budgétaire.
Dans votre troisième proposition, vous demandez que la règle budgétaire soit inscrite dans la Constitution d'ici à 2022. Pourquoi n'a-t-elle pas déjà été inscrite? Quels sont les obstacles actuels à sa mise en place?
On le voit en Suisse, le fait d'inscrire ce principe dans la Constitution et de le compléter par une loi fonctionne. Le principe de revenir à un équilibre budgétaire et de dégager un excédent primaire devrait être inscrit dans la Constitution.
En France, s'il existe bien un début de consensus autour de la nécessité de bien gérer les finances publiques, les postures gauche-droite bloquent les réformes de fond.
Matteo Renzi, à la tête de la présidence italienne de l'Union européenne cette année, a annoncé fin juin vouloir un plan mêlant «consolidation budgétaire» et «investissements en faveur de la croissance». Une rigueur telle que vous la prônez ne gêne-t-elle pas la croissance et l'investissement?
C'est là tout le problème: il faut bien cibler les coupes dans les dépenses pour ne pas freiner l'investissement. En France, nous devons en priorité baisser les dépenses de fonctionnement du secteur public pour le rendre plus compétitif. L'Allemagne, pourtant plus peuplée que la France, a 5,6 millions d'agents dans les services publics au sens large travaillant 1 810 heures en moyenne par an, contre 6,7 millions pour 1 589 heures côté français. Des chiffres éloquents…
La rigueur est-elle un argument électoral ou plutôt un boulet à traîner pour les dirigeants politiques?
En 2012, les réformes des services publics auraient dû être «le» sujet des élections présidentielles. En 2017, la France n'y coupera pas, les problèmes seront malheureusement en grande partie toujours là. François Hollande manque de clarté sur ses réelles ambitions budgétaires. L'opposition, quant à elle, n'est dans l'ensemble ni constructive ni propositionnelle sur ces sujets. Si nous voulons adopter les règles et les réformes nécessaires, il conviendra de sortir des postures politiques et d'encourager, quel que soit le gouvernement, les mesures qui vont dans le bon sens. Un exemple: la réforme territoriale pourrait être soutenue par une opposition qui ne serait pas béni-oui-oui, demanderait des chiffrages clairs sur les économies à atteindre sur les dépenses locales et qu'un principe de bon sens soit adopté: stopper les embauches locales. Mais, quand on gratte un peu, qui le demande vraiment?
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