Ecrit le 2 août 2014 à 15:01 par Jean-Yves Naudet dans Poing de vue
La formule est de Marisol Touraine, ministre de la santé, dans Le Monde daté du 20 juin. Milton Friedman avait dénoncé la pseudo-gratuité des services publics : « il n’y a pas de repas gratuit ». Il faut bien que quelqu’un paie. Mais qui, sinon les Français ? Le ministre veut dire qu’elle va généraliser le tiers-payant, brisant ainsi le dernier lien informant le patient du prix de la consultation. Jusque-là, c’était payant, mais remboursé ; désormais, voici que l’on veut réellement donner toutes les apparences de la gratuité aux actes médicaux : on enfonce volontairement les Français dans l’ignorance du vrai coût de la protection sociale. Une ignorance déjà organisée avec le mythe des « cotisations patronales ».
La France championne de la gratuité
Les socialistes adorent ce qui est « gratuit » : c’est « vendeur » sur le marché politique, c’est le signe suprême de la « générosité sociale ». Et voici enfin les « services publics » accessibles à tous. L’école est gratuite, les universités aussi (les étudiants paient environ 2 à 3% du coût réel) ; beaucoup de transports publics également ; une partie de la culture est offerte « gratuitement » au
public ; beaucoup de services rendus par les collectivités locales également (combien de conseils généraux fournissent « gratuitement » des ordinateurs aux collégiens !). La liste est longue : la France est championne de la « gratuité ».
La santé n’échappe pas à l’apparente gratuité : l’hospitalisation est gratuite, à quelques éléments près (le forfait hospitalier), ainsi que les médicaments (au moins partiellement) avec le système du tiers-payant dans les pharmacies ; les kinés et autres auxiliaires médicaux fonctionnent également largement avec le tiers-payant. Restait la médecine de ville (consultations ou visites). Grâce à Marisol Touraine, cette injustice est réparée.
« Le tiers payant n’est pas contraignant… »
La déclaration du ministre mérite d’être connue en détail. Interrogée par Le Monde sur les freins financiers, qui interdiraient l’accès aux soins pour les personnes sans ressource, elle répond : « Etre de gauche, c’est s’assurer que tout le monde puisse avoir accès aux soins. Un moyen efficace ? La généralisation du tiers payant. Elle commencera dès 2015 pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé. C’est le tiers payant intégral que nous instaurons, les Français ne paieront plus chez le médecin. Contrairement à ce que j’entends, le tiers payant n’est pas contraignant pour les professionnels et n’incite pas à la consommation de soins. C’est une solution pour ceux qui ne se font pas soigner parce qu’ils ne peuvent avancer les frais ». Curieusement, la ministre ajoute « Mais les soins ne sont pas gratuits », et elle annonce un relevé des dépenses adressé aux patients, même à l’hôpital : « il ne s’agit pas de culpabiliser, mais d’informer ». Cela revient à dire : vous ne payez rien, mais vous auriez dû payer beaucoup. Bizarre, et de quoi responsabiliser les patients et éliminer tous les abus.
Quant aux professionnels, ils ne se sont pas trompés sur la portée de cette innovation : désormais, ils ont à charge de se faire rembourser par les Caisses et mutuelles. Ils sont intégrés malgré eux dans l’administration de la santé, alors que le paiement à l’acte est un des piliers essentiels de la médecine libérale. Les principaux syndicats médicaux ont marqué une vive opposition. Bilan résumé par Le Figaro, « Les médecins dénoncent le tiers payant généralisé. Entre déresponsabilisation des patients et dévalorisation symbolique, la fin du paiement à l’acte signe l’étouffement administratif de la médecine libérale ». Avec du travail administratif en plus pour les médecins, une incertitude de paiement s’il y a changement de mutuelle, sans parler des imbroglios venus de patients qui n’ont pas les droits voulus ! Voilà donc se profiler à l’horizon le médecin fonctionnaire, c’est le dernier pas avant le salariat. L’autre argument du ministre est de permettre aux plus démunis d’accéder aux soins. Les médecins interrogés crient à l’imposture car il existe de nombreux dispositifs permettant déjà un accès gratuit aux soins. Ils se sentent même insultés car beaucoup de médecins soignent gratuitement quand une personne est en grande difficulté.
« Le tiers payant n’incite pas à consommer… »
L’argument massue du ministre est que le tiers-payant n’inciterait pas à la consommation de soins. C’est d’autant plus étrange qu’elle indique ensuite qu’au niveau de l’hôpital on va envoyer un relevé des frais d’hospitalisation pour « informer » ; c’est déjà reconnaître que le prix a une fonction informative. Mais ici on a mieux qu’un faux prix : un prix apparent nul. Tous les médecins savent que cela déresponsabilise le client, avec une multiplication de ceux qui prennent rendez-vous et ne viennent pas. Mais ça va beaucoup plus loin : partout où il y a gratuité apparente, la demande explose. On ne voit pas pourquoi la santé échapperait à cette règle.
On objectera qu’il y a déjà gratuité avec le paiement à l’acte, en secteur 1, puisqu’on est remboursé ; mais ce paiement donne au moins une information, même s’il y a la certitude d’être ultérieurement remboursé ; au moins un début de responsabilisation. C’est le dernier verrou qui saute. Cette question est emblématique du mal français et ce mal, c’est celui du mensonge et de l’irresponsabilité. Mentir sur le coût réel, pour rendre chacun irresponsable et donc totalement assisté et dépendant de l’Etat providence. La proposition de Marisol Touraine n’est que le dernier épisode de l’histoire de la socialisation de la médecine.
L’anesthésie de l’assuré : 5 000 euros par an pour le smicard
« Il n’y a pas de repas gratuit ». La formule de Milton Friedman rappelle qu’il y a toujours quelqu’un qui paie. Dans le domaine caritatif, il y a des donateurs volontaires et ceux qui bénéficient des aides des restos du cœur ou du Secours catholique savent qu’ils le doivent à la générosité des Français, à la solidarité volontaire. Avec les dépenses publiques et la solidarité sociale obligatoire, celui qui paie est le contribuable ou l’assuré social ; ce n’est pas un choix volontaire, voilà une différence radicale. La différence est sensible aussi avec les systèmes privés de protection sociale et avec l’assurance, car on n‘est pas obligé de s’assurer, chacun sait ce qu’il paie et peut choisir les modalités précises de la couverture. Même avec une assurance obligatoire on peut concevoir le libre choix de l’assureur (comme pour les automobiles).
Dans la protection sociale française « gratuite », il y a donc un double effet pervers ; d’une part, on doit s’assurer à un monopole public ; d’autre part, on en ignore le coût réel. Les deux choses sont liées. Il faut que les Français ignorent le coût, afin qu’ils demeurent persuadés que le monopole public est un système idéal, « que le monde entier nous envie ».
Les Français doivent demeurer dans l’ignorance de ce que leur coûte réellement l’assurance maladie et, pour masquer le mensonge, on a prétendu séparer la part dite « salariale » et la part dite « patronale » des cotisations de santé. Or, en fait les deux parts sont retenues à la source, déduites de ce que l’on appelle le « salaire complet », une réalité mise en évidence par l’ALEPS entre autres. Chaque année, un smicard paie pour sa santé (régime obligatoire) une somme d’environ 5.000 euros par an (6.000 avec la CSG), soit l’équivalent de quatre mois de SMIC net. Qu’il coûte une fortune doit donc être caché ; d’où la fiction des cotisations salariales et « patronales » . Le tiers payant a pour but de parachever l’ignorance des Français en supprimant le dernier élément d’information. Dormez tranquilles, restez ignorants et irresponsables, l’Etat s’occupe de vous et a tout rendu gratuit !
> Cette tribune est publiée en collaboration avec le site Libres.org.
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