Par Vesselina Garello.
Loin d’être simplement le dernier sujet d’actualité, la réforme du collège entreprise par le gouvernement touche à un point vital de la société française. C’est pourquoi les inquiétudes autour de cette réforme sont justifiées – c’est précisément au collège et à l’école en général que se construisent les modes de pensée et s’acquièrent les bases en capital humain, mais aussi les habitudes de travail, d’assiduité, d’ouverture d’esprit et d’appétit pour le savoir. Former les esprits est une tâche délicate et difficile – comme le dit très joliment Pierre Reverdy, « une éducation trop rigide glace l’âme, une éducation trop lâche la perd. »
Manquer cette étape est malheureusement signe de très mauvais départ dans la vie. Or, on constate que malgré tous les moyens qu’on y consacre (premier poste budgétaire de l’État avec plus de 88 milliards d’euros de dépenses par an) et malgré toutes les réformes possibles et imaginables, le succès n’est pas au rendez-vous. Les statistiques et classements internationaux le démontrent clairement – les Français sont plus illettrés que jamais. Pour résumer, nous passons quinze ans de notre vie dans une institution où non seulement nous n’apprenons rien, mais, l’a-t-on appris récemment grâce à Najat Vallaud-Belkacem, on s’ennuie à mourir !
Que s’est-il passé ? Pourquoi, réforme après réforme, l’école de la république va inexorablement
dans le mauvais sens, malgré toutes les bonnes intentions, moyens humains et matériels supplémentaires ?
Pourquoi le collège unique ?
Le problème principal, pour en revenir au collège, c’est l’idée même d’un collège unique. Que se cache réellement derrière ce mot ? Le désir de supprimer les élites, d’instaurer une société égalitaire où tout le monde aura le même niveau d’éducation et donc les mêmes chances de réussir dans la vie. Il suffisait d’y penser ! À un détail près – les êtres humains ne naissent pas égaux et tout acharnement contre cette simple vérité ne sert qu’à couper les têtes qui dépassent et non pas à élever les autres.
C’est ainsi qu’on se retrouve à déconstruire et simplifier les programmes scolaires jusqu’à ce qu’ils perdent complètement leur sens et finissent par ennuyer les élèves et désespérer les enseignants.
La souffrance et l’humiliation de ces derniers face à la désintellectualisation de leur métier est d’ailleurs un problème très grave qui devrait être pris en considération dans la réflexion globale sur l’école.
L’endoctrinement, plutôt que l’enseignement
Deuxième présomption fatale – le rôle de l’école n’est pas simplement d’instruire, il est de se substituer aux parents pour inculquer aux petites têtes blondes dès le plus jeune âge des idées politiquement correctes.
On retrouve ainsi dans le projet de réforme l’obligation pour chaque établissement de détailler « les modalités de la participation active des élèves aux commémorations patriotiques et aux journées ou semaines spécifiques (la Semaine de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, la Semaine de l’engagement). Tous les collèges célèbrent une Journée de la laïcité le 9 décembre ». Ces nouvelles « idées » s’inscrivent dans la droite ligne de l’enseignement de la théorie du genre pour lutter contre l’inégalité des sexes ou de l’islam pour lutter contre l’islamophobie.
Il s’agit ici d’une part d’une tentative de se substituer à la cellule familiale pour apprendre aux enfants les valeurs sous-jacentes à nos sociétés occidentales, l’humanisme, la tolérance, la responsabilité. Celle-ci est malheureusement vouée à l’échec si le message véhiculé par les parents va dans le sens contraire. Et d’autre part, un désir d’aller plus loin, de façonner « un homme nouveau » à coups d’histoire réinventée et de théories sociologiques et psychologiques vaseuses.
Le cœur du problème : l’absence de concurrence
Réfléchir à une réforme de l’Éducation nationale qui remettrait les choses en place peut démoraliser plus d’un parent ou enseignant (bien entendu, pas notre brave ministre de l’éducation nationale qui, il faut le lui reconnaître, a l’air absolument certaine du bien-fondé de ses propositions). Les idées ne manquent pas, comme renforcer le rôle du numérique, rajouter/supprimer des matières, alléger les cours… Chaque proposition a ses adeptes et ses réfractaires et on peut en débattre pendant des heures.
Je ne veux pas dire par là que toutes les propositions se valent, loin de moi cette idée relativiste. Bien au contraire, je crois qu’il y a des méthodes meilleures que d’autres, des idées qu’il faut retenir et d’autres abandonner.
Le problème est qu’il n’existe peut-être tout simplement pas une seule et unique bonne méthode pour tous, un seul bon programme, un seul emploi du temps parfaitement équilibré et adapté aux élèves. Ce qui fonctionne bien dans une école au public « favorisé » peut s’avérer catastrophique dans une autre (saluons au passage la méthode stupide et archaïque de la carte scolaire qui cantonne les enfants issus des cités aux établissements de ces mêmes cités). Une multitude de facteurs de diversité peut faire que dans un établissement une méthode fonctionne et que dans un autre ce ne soit pas le cas. Du fait du monopole de l’Éducation nationale, ces différentes solutions ne peuvent être expérimentées à petite échelle, au contraire, on impose un changement des programmes en bloc à tout le monde. Tant pis si on s’est trompé. Tant pis pour ceux pour qui ce n’était pas la solution optimale. Tant pis si les enseignants, les parents et les syndicats crient d’une seule voix qu’on est en train de faire fausse route.
La concurrence comme processus de découverte
Vous êtes-vous déjà posé la question de savoir ce qui se produirait si l’éducation était confiée au secteur privé et si chaque établissement était libre de choisir les matières qui seraient enseignées aux élèves, les programmes à suivre, le nombre d’heures pour chaque matière et même le libre choix de ses enseignants en dehors du giron des personnes officiellement adoubées par l’Éducation nationale ?
L’anarchie, répondront certains. Pourtant, à l’échelle historique, tous ces éléments sont contrôlés par l’État depuis peu de temps. Sans remonter jusqu’aux penseurs de l’Antiquité, à l’époque de la Renaissance et ceci jusqu’à la Révolution française, les universités et les écoles étaient parfaitement libres de leur gestion pédagogique. Les enseignants adoptaient la méthode et le contenu qui leur semblaient pertinents.
Pourquoi est-il si important de laisser cet espace de liberté aux établissements ? Je veux parler ici d’une réelle liberté, pas de pseudo-libertés comme celles que dénoncent les syndicats au sujet de la nouvelle réforme des collèges.
Comme l’ont souligné de nombreux penseurs modernes (Friedrich Hayek, Israël Kirzner, Richard Epstein, Karl Popper pour n’en citer que quelques-uns), nous vivons dans une « grande société » (par opposition à la société tribale) dont la complexité dépasse, et de loin, les dimensions de notre boîte crânienne. Cela ne veut pas dire bien sûr que nous ne sommes pas du tout en mesure d’orienter les choses dans une certaine direction, ni que nous sommes condamnés à nous tromper et à être sans cesse dépassés par les événements. Cela signifie simplement que même si nous avons les meilleures intentions et avons fait tout notre possible pour trouver la meilleure solution à un problème donné, il demeure néanmoins possible qu’on se soit trompés. Cela s’applique, malheureusement, à tous les domaines d’activités et c’est la raison pour laquelle il faut se méfier de la régulation de l’État qui implique monopole d’État et application du même remède à tous les maux.
À cette solution de règles identiques imposées par le haut, les auteurs libéraux proposent une autre solution qui, pour faire simple, consiste à laisser se développer naturellement différentes solutions, en concurrence les unes avec les autres.
La concurrence est un mécanisme de tâtonnements cognitifs, la solution optimale étant découverte dans le processus concurrentiel grâce à la méthode d’essai-erreur. Cette solution s’impose naturellement aux autres solutions, moins efficaces (nul besoin qu’une loi ou une règlementation l’impose), jusqu’à ce qu’une autre meilleure solution soit découverte et s’impose à son tour. C’est un processus en perpétuelle évolution, puisque nos connaissances du monde évoluent en même temps que celui-ci évolue. Rien n’est donc gravé dans le marbre et on peut s’adapter rapidement aux changements lorsque c’est nécessaire (ce qui n’est pas le cas lorsqu’il faut mettre en marche la lourde machine de l’Éducation nationale).
Qui a peur de la concurrence ?
Faire ce constat et l’accepter exige une humilité que les hommes d’État possèdent rarement. L’idée même que leur intelligence façonnée par les plus grandes écoles ne fait pas le poids face à la concurrence leur est insupportable. Ils sont donc sans cesse tentés de proposer de nouvelles réformes, encore et encore, persuadés que cette fois-ci sera la bonne. Mais même la réforme la mieux préparée et réfléchie ne sera jamais en mesure de fournir de meilleurs résultats qu’un système de concurrence libre.
Seulement voilà, en France, la concurrence fait peur et dérange.
Seulement voilà, en France, la concurrence fait peur et dérange.
Parce qu’on est persuadé que la catastrophe n’est pas loin si les programmes et les enseignants n’ont pas été certifiés conformes à certaines exigences et critères de qualité définis par leur propre ministère. Comme si l’inverse nous apportait une quelconque assurance de qualité ! Un coup d’œil sur les classements des petits français dans les statistiques internationales nous prouve que ce gage de qualité est un leurre.
Quant à la qualité des enseignants, là aussi existent de grosses failles dans leur sélection et nous le prouve le très récent scandale révélant que certaines personnes condamnées pour pédophilie exercent en toute tranquillité le métier d’enseignant dans les écoles de la République.
La concurrence dérange encore plus sur un autre point, et je reviens ici sur la révélation des différences de niveau entre les uns et les autres qui aboutit à une situation apparemment insupportable à nos élites : au jeu de la concurrence il y a des gagnants et des perdants. L’horreur à l’état pur, tout le monde n’est pas égal.
Il existe ici une confusion extraordinaire entre l’égalité des résultats et l’égalité des chances. On s’acharne à imposer la première au nom de la seconde. Mais ici encore, il faut avoir à l’esprit que le système actuel n’est absolument pas égalitaire, dans aucun des deux sens du terme. Le classement Pisa le prouve d’ailleurs de façon assez claire, « En France, la corrélation entre le milieu socio-économique et la performance est bien plus marquée que dans la plupart des pays de l’OCDE ».
Dans le cas d’espèce qui nous préoccupe, la concurrence entre établissements autonomes se traduira forcément par l’émergence d’écoles où les élèves obtiendront de meilleurs résultats grâce aux meilleures méthodes déployées par de meilleurs enseignants. Ces meilleures pratiques auront tendance à être copiées et appliquées par les autres établissements, ce qui conduira à un nivellement vers le haut et non vers le bas, comme ce qui se passe actuellement en France. Pour être sûr que les meilleures écoles seront accessibles aux élèves dont les parents n’ont pas forcément les moyens, un système de chèque scolaire et de bourses scolaires doit être mis en place, comme c’est le cas en Suède ou aux États-Unis.
Pour conclure, en matière d’éducation, comme dans tous les autres domaines où l’État détient le monopole, la liberté d’appliquer des solutions différentes et originales n’existe pas. Les écoles privées ont la possibilité d’échapper à une part infime de toutes les inepties du ministère de l’Éducation nationale, ce qui fait d’ailleurs leur succès fulgurant, mais elles sont contraintes d’embaucher des enseignants formés par l’État et de respecter les programmes officiels. Une liberté donc toute relative. Tant que ce monopole ne sera pas brisé, il est à parier qu’aucune réforme ne saura améliorer les choses ; l’école de la république demeurera ce lieu sinistre où nos enfants perdent leur temps, les enseignants – l’amour de leur profession et nous – notre argent.
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