Sur Atlantico le 22-*04-2013
Quelles sont les colères concrètes
qui se cachent derrière l'exaspération des patrons de PME à l'égard
d'une politique qui, selon eux, n'est pas à la hauteur de la gravité de
la crise ?
Les petits entrepreneurs ne sont pas écoutés. Crédit Reuters
Atlantico : L'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) a choisi de soutenir Pierre Gattaz, plutôt que son président, Frédéric Saint-Geours, dans la course au Medef. Interrogé sur France Info, Saint-Geours a estimé que ce choix était tout à fait en phase avec l'exaspération des dirigeants de PME face à la situation économique. Quels sont les messages que les acteurs économiques de terrain souhaiteraient faire passer au gouvernement et que celui n'entend manifestement pas ?
Éric Verhaeghe :
De mon point de vue, le premier message est symbolique: il est d'abord
d'entendre la gravité de la crise, et de montrer qu'on en a pris la
mesure. On vit aujourd'hui une situation extravagante. Les
allées du pouvoir sont presque exclusivement peuplées d'énarques, de
petits marquis, qui n'ont jamais vu une entreprise - sauf, dans quelques
rares cas, d'anciennes nationalisées ou publiques très peu
concurrentielles. Aucun de ces prétendus décideurs ne connaît
la vie d'un chef d'entreprise, aucun n'a la moindre idée de ce qu'est le
quotidien d'un patron qui fait tourner sa boîte: les interminables
paperasses à remplir, l'application de l'impossible Code du travail
quand on recrute, et l'essentiel : fabriquer ses produits et les vendre,
malgré tout ce qui vient avant.
Dans ce
quotidien, la crise frappe très très durement : les clients prennent de
plus en plus de temps avant de décider d'acheter, et ils paient de moins
en moins facilement. Et les banquiers talonnent en se montrant
inflexibles sur le moindre découvert. C'est le lot de l'entrepreneur
français aujourd'hui. Face à lui, les petits marquis qui préparent les
décisions, rédigent les textes de loi, ont tous continué à augmenter
leurs salaires depuis cinq ans, de façon ininterrompue, et ne
connaissent rien de la précarité économique qui touche les entreprises.
Comment imaginer que les lois et règlements soient de qualité, quand
ceux qui les préparent ignorent tout ou presque de ceux à qui ils
s'appliquent ?
Bernard Cohen-Hadad :
Vous faites bien de parler des acteurs économiques de terrain. On a
tendance à les oublier dans un monde qui va vite et où l’on ne s’attache
médiatiquement qu’aux déclarations des VIP. Les TPE et les PME
représentent 2,5 millions d’entreprises et ces entreprises ne
fonctionnent pas dans la Lune. Mais sur des territoires, dans des
départements, dans des villes, dans des rues ou dans nos espaces ruraux.
C’est la réalité du monde patronal.
Ils
ont effectivement besoin d’être entendus parce qu’ils vivent
aujourd’hui, encore, des moments difficiles. Et c’est le rôle des
organisations patronales, dans leurs diversités, d’être les vecteurs de
ces demandes afin que personne ne reste sur le bord de la route. Tous
les réseaux locaux et nationaux doivent être mis en œuvre quand il
s’agit d’aider une entreprise à rebondir, pour sauver des savoirs faire,
protéger des investissements patrimoniaux, garantir l’emploi des
salariés et maintenir notre maillage économique français. Le dernier
baromètre CGPME-KPMG de mars 2013 est révélateur d’un malaise : 92%
des chefs d’entreprises de PME se déclarent inquiets pour notre
économie et 53% sont soucieux pour leur activité dans les mois à venir.
Ils sont donc loin de chanter la vie en rose.
Alors
ce qu’ils peuvent attendre aujourd’hui du gouvernement, ce n’est pas du
lyrisme, des déclarations d‘amour, mais bien de créer, dans la vraie
vie, les conditions économiques de la reprise, de mettre en place des
espaces de libertés économiques en allégeant les normes et permettre à
tous les entrepreneurs de retrouver les conditions de la performance
économique et donc de la dynamique entrepreneuriale.
Dans quelle situation se trouvent-ils aujourd'hui ? Quelles sont les principales difficultés qu'ils rencontrent ?
Éric Verhaeghe :
Il me semble que l'incertitude et le doute sont les plus lourdes
difficultés de l'entrepreneur. La crise frappe durement. Mais si les
entreprises pouvaient se raccrocher à un univers stable par ailleurs,
elles pourraient anticiper la baisse de leurs chiffres ou de leurs
marges pour attendre le retour à une meilleure fortune. Le
problème est que, dans ce moment où l'on cherche des certitudes
auxquelles se raccrocher, tout bouge. L'évolution de la fiscalité est
imprévisible. Le gouvernement continue à accroître les couches de
réglementation. Je prends l'exemple des réglementations sur la
parité homme-femme : elles sont justes sur le fond, simplement elles
tombent au pire moment. Quelle entreprise peut raisonnablement entamer
une réforme de sa politique salariale aujourd'hui ? Probablement
quelques grandes entreprises d'État comme EDF ou Arianespace, qui sont
des monopoles déguisés et les seules entreprises que respectent les
petits marquis au pouvoir. Mais les entreprises qui sont dans la mouise
de la concurrence ne peuvent s'offrir ce luxe sans se mettre en péril.
Bernard Cohen-Hadad :
Comment ne pas être morose quand vous êtes vous-même un entrepreneur et
que vous regardez les chiffres. Depuis 2009, chaque année nous perdons
près de 60 000 entreprises. Je veux bien ne pas être anxiogène mais
assez d’indifférence ! Pensons aussi aux entrepreneurs et à leurs
familles qui viennent de perdre leurs investissements patrimoniaux du
fait de la crise et qui, lorsqu’ils sont travailleurs non-salariés,
n’ont droit qu’à leurs yeux pour pleurer. C’est le cas de beaucoup de
ceux qui se sont lancés dans une aventure commerciale de proximité ou
sur le web. Comme j’ai pu déjà l’écrire, ils sont les nouveaux pauvres et non pas le grand capital. Mais on les entend peu.
La principale préoccupation reste donc le financement des entreprises.
Car si les entreprises en bonne santé trouvent des capitaux à des taux
intéressants - ce n’est pas un mythe, reconnaissons-le - les entreprises
patrimoniales, TPE, PME ou PMI qui ont connu un ou deux exercices
difficiles voient leur notation se dégrader et donc le robinet du
financement bancaire progressivement se tarir. Il convient de prendre
également en considération le taux des marges. Il est de 28,4% au
quatrième trimestre. Il est ainsi à son niveau le plus bas depuis trente
ans. Bien entendu, les inquiétudes portent aussi sur les hausses des
coûts et des prix fournisseurs et sur la baisse du chiffre d’affaires.
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