Unique femme à avoir été premier ministre du Royaume Uni,
Margaret Thatcher est décédée aujourd'hui, lundi 8 avril. Devenue une
sorte d'icône dans son pays, elle a toujours été détestée dans le nôtre.
Pourtant, nos politiques mériteraient de s'en inspirer.
Par Serge Schweitzer.
Il
est vrai qu’aucun des hommes (ou femmes) politiques de notre pays ne
ressemble ni de près, ni de loin à l’ancienne locataire du 10 Downing
Street. La difficulté dans cette question réside dans l’Himalaya de
préjugés, de fausses idées, de mensonges colportés depuis 30 ans à
propos de celle qui vient de nous quitter en début d'après-midi. Madame
Thatcher est détestée presque unanimement dans notre pays où sur son
sujet on accorde plus de crédit au chanteur Renaud qu’à une analyse
honnête. C’est l’inverse dans son propre pays, ce qui donne déjà une
indication sur la façon dont elle est perçue, avec déjà un peu de recul,
puisqu’elle a quitté le pouvoir il y a déjà plus de 20 ans.
Ces derniers mois ont été l’objet d’un débat en Grande-Bretagne pour
savoir si à sa mort il faudrait lui faire des funérailles nationales.
Ces dernières sont réservées à la famille royale avec une seule
exception dans toute l’histoire du Royaume-Uni, celle de Winston
Churchill. Notons, non sans intérêt, qu’elle est le seul Premier
ministre de toute l’histoire de la Grande-Bretagne dont la statue a été
érigée dans le hall de la Chambre des Communes de son vivant. Même
Churchill avait dû attendre cinq ans après sa mort. Elle ne fut jamais
battue lors des élections générales où elle triompha à trois reprises
consécutives. Elle ne doit son départ après onze ans et demi de pouvoir
suprême que par la force d’un putsch à l’intérieur de son propre parti.
Jamais depuis le XVIIIème siècle une telle longévité ne s’était vue.
Autrement dit, dans son propre pays, elle est aujourd’hui une sorte
d’icône et chacun reconnaît que les travaillistes depuis Tony Blair se
sont inscrits très largement dans son sillage.
À tout le moins ils ne sont revenus sur aucune de ses grandes
décisions. Juger de sa réussite est assez simple pourvu qu’on y apporte
un léger correctif dont elle n’est non seulement pas responsable mais
qui explique sa première élection en 1979. Ce correctif c’est d’avoir
trouvé une situation tellement dégradée qu’il a été possible de rebondir
sur de tels décombres. L’opinion était largement prête à entendre le
propos selon lequel si la Grande-Bretagne des années 70 était l’homme
malade de l’Europe c’était à cause du mélange délétère d’être le
laboratoire de l’État-providence et de politiques économiques
conjoncturelles fortement erronées, alternances de politiques monétaires
laxistes suivies de coups de freins brutaux. Les conservateurs avaient
du reste tout autant échoué que les travaillistes et le salut ne
résidait pas dans l’alternance partisane mais dans la rupture
doctrinale.
La situation de la Grande-Bretagne en 1979 était presque comparable à
celle de la Grèce d’aujourd’hui et le pays avait dû solliciter en
catastrophe l’aide financière du FMI. En quoi consiste le thatchérisme ?
C’est la fusion et l’alchimie de plusieurs éléments. D’abord une
personnalité hors du commun. Elle fut si ferme dans ses convictions que
ce sont les soviétiques qui la surnommèrent la Dame de Fer. Les
dirigeants soviétiques aiment les rideaux du même matériau que les
dames. Ils ne croyaient pas cependant si bien dire. Elle traversa bien
des épreuves mais ne céda devant aucune pression. Ce sont ensuite des
convictions. Cette dimension n’est presque jamais évoquée. Elle est
pourtant la plus décisive. Madame Thatcher s’est nourrie
intellectuellement auprès des plus grands économistes libéraux morts ou
vivants et ses convictions n’étaient pas personnelles mais des
certitudes scientifiques. Quand elle est parvenue au pouvoir elle savait
parfaitement où il fallait aller et comment. Ce n’est pas elle qui
aurait pris prétexte du nom de pragmatisme comme alibi de toutes les
reculades dès que des groupes de pression sont menacés dans leurs
intérêts.
Le thatchérisme est une confiance dans la trilogie liberté,
responsabilité, propriété et c’est la mise en œuvre constante de
quelques idées simples sur la taille de l’État, les bienfaits de la
concurrence, le stimulant du profit, les vertus du libre-échange. Le
thatchérisme, c’est la compréhension que la richesse des nations dépend
de deux éléments. D’une part, l’incitation des uns à créer et celle des
autres à être stimulés dans leur travail, à commencer par une fiscalité
non spoliatrice.
Le thatchérisme, c’est enfin une volonté. Le pays est attaqué à des
milliers de kilomètres de son sol par l’Argentine pour quelques arpents
de terre arides et ventées. Elle répond que c’est une question de
principe et c’est la guerre des Malouines. Les syndicats sont depuis
longtemps sortis de leurs prérogatives avec le système du "closed shop",
c’est-à-dire l’impossibilité d’être embauché dans certaines entreprises
si on ne possède pas sa carte syndicale. Elle y met bon ordre. Les
mineurs tout-puissants qui terrorisaient les gouvernements depuis 30 ans
entament l’épreuve de force, elle anticipe le conflit, tient contre
vents et marées pendant plusieurs mois de grève. Les mineurs reprennent
le travail. Des militants de l’IRA estiment qu’ils ont droit à un statut
de prisonniers politiques alors qu’ils sont en prison pour actes de
terrorisme, elle leur dit qu’elle ne cèdera pas. Qu’à cela ne tienne,
ils entament une grève de la faim. Elle leur répond que c’est leur
problème. Dix d’entre eux meurent. Ils finissent par s’arrêter. Elle a
encore gagné.
On ne veut pas infliger aux lecteurs la longue litanie des indices
économiques à son arrivée au pouvoir et à sa sortie. Ce n’est que
l’écume de la vague en rapport avec la remarque qui suit. Lorsqu’elle
prend en main les destinées du pays en 1979, la Grande-Bretagne est la
risée de toute l’Europe. Lorsqu’elle quitte le pouvoir, la
Grande-Bretagne a presque rattrapé la France. Elle devient peu après la
deuxième économie d’Europe et même si elle traverse, elle aussi, des
difficultés certaines, la Grande-Bretagne aujourd’hui a pris le dessus
sur la France.
Bien
sûr elle a eu des limites. Une excessive confiance en elle l’a rendue
aveugle sur certains sujets. Elle n’a pas su s’effacer et comprendre
qu’après onze ans et demi de pouvoir la génération suivante de ses
propres amis désespérait tellement d’arriver un jour au pouvoir qu’elle
l’a renversée. Elle n’a pas toujours su communiquer. Et si elle n’a sans
doute pas la stature d’un Richelieu, d’un Mazarin, c’est qu’elle n’a
pas toujours été une très bonne stratège. Il est de bon ton dans un
article dit équilibré de ne pas s’engager, de ne pas répondre à la
question et d’écrire au maximum oui mais… ou non mais… Nous laissons ces
coquetteries aux confrères qui survivent à toutes les conjonctures et
peuvent passer en vingt-quatre heures du Figaro à Marianne ou de la direction du Nouvel Observateur à celle du Point.
Nous n’aurons pas cette coquetterie et nous répondrons très clairement :
oui il faut une (un) Thatcher à la France. Le débat est ouvert. Que
tous ceux en accord ou en désaccord avec nos propos prennent leur
clavier et entament un débat fructueux.
Source : Libertarien TV.
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Une première version de cet article a été publiée dans nos colonnes le 19.03.2012.
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