samedi 23 mars 2013

Cultivé, moderne, connaisseur de l’entreprise, ennemi des excès réglementaires et antisocialiste, il voulait faciliter la vie des Français, et non la changer.

Puisque les anciens présidents de la République sont à la mode, j’aimerais rappeler à notre souvenir celui qui reste à mes yeux le plus admirable de l’histoire de la Ve : Georges Pompidou, à tort négligé, mais qui aura occupé l’Élysée durant l’équivalent d’un quinquennat. La lecture de ses lettres et notes, récemment éditées par son fils Alain, témoigne de qualités que l’on aimerait voir réunies chez ses successeurs. Tentons de les résumer.
Une vraie culture. De l’hypokhâgneux dissertant sur ses problèmes existentiels au président échangeant de longues lettres avec François Mauriac, en passant par l’esthète amoureux de Vasarely, Pompidou apparaît comme un homme de lettres et de goût, un homme doté de pensées de derrière, pour reprendre l’expression de Pascal, qui lui permettaient d’observer avec un certain recul les chicaneries politiques. Son style est classique mais vif, un peu à la manière de Morand. Quel autre président aurait pu écrire : « Je suis en marge du bonheur » ? Quel autre aurait lutté contre ses ministres et leur administration pour défendre les arbres sur les routes nationales ?

Un esprit moderne. À 20 ans, Pompidou disait de Barrès : « Il a raison au fond de montrer que la culture déracine mais, précisément, c’est son avantage, à mon humble avis, et rien n’est plus odieux que le particularisme. » Ce déracinement, Pompidou l’a vécu dans sa passion pour l’art moderne, mais aussi et plus profondément dans son intérêt pour la technologie et le nouvel art de vivre qu’elle définissait. Voies rapides, TGV, Airbus, villes nouvelles, écologie : Pompidou s’est efforcé d’accompagner la modernité avec une foi dans le progrès et un courage visionnaire qu’on aimerait retrouver dans les débats actuels.
Une authentique compréhension des mécanismes économiques. Pompidou reste jusqu’à aujourd’hui le seul président de la Ve à avoir eu une réelle expérience dans le secteur privé, comme directeur général de la banque Rothschild, où il s’est notamment occupé d’industrialisation de l’Afrique. Il en tira une compétence économique, en s’employant sur le plan extérieur à abaisser les tarifs douaniers, et sur le plan intérieur à promouvoir la concurrence, dans la lignée des travaux de Jacques Rueff. « L’expérience montre que les réformes qui vont contre la réalité économique échouent toujours », écrit-il. Certains feraient bien de s’en inspirer…
Un antisocialisme total. Pompidou assume, bien plus clairement que de Gaulle, son hostilité à la doctrine socialiste. “Débarrasser la France des communistes”, s’assigne-t-il déjà comme objectif après la guerre. Il n’aura de cesse de dénoncer l’endoctrinement idéologique dans les universités et de déplorer les biais marxisants des manuels d’économie et de philosophie. Sa perplexité devant l’évolution de Mitterrand prête à sourire : « Il suffit de le voir pour se rendre compte qu’il n’est pas socialiste »
Le non-interventionnisme. Pompidou possédait cette sagesse exceptionnelle pour un dirigeant : savoir ne pas faire. Il appliqua cette stratégie du benign neglect, ce souci de règles simples et peu nombreuses, à tous les domaines. L’économie : libérale. La presse : « C’est la presse qui doit créer elle-même les conditions de sa morale, puisque jamais ni la loi ni la justice françaises n’ont été capables de trouver un moyen terme entre la censure et la pire licence. » Et même… la sécurité routière : « La complication recherchée à plaisir dans la signalisation sous toutes ses formes est une cause supplémentaire d’accidents. » Ainsi Pompidou témoignait-il d’un humanisme, respectueux de l’individu et de ses choix.
On a souvent attribué à Pompidou cette jolie phrase : « Cessez d’emmerder les Français ! » Qu’elle soit ou non apocryphe, il est certain qu’il a toujours cherché, par son action, non pas à changer la vie de ses concitoyens, mais à la faciliter. Tâche peut-être moins exaltante, mais ô combien plus subtile et exigeante !

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