dimanche 10 avril 2016

La haine du monde de Chantal Delsol

Par Lucien SA Oulahbib 


"Démiurges contre jardiniers" : anges démoniaques, profanateurs de Mère Nature contre accompagnateurs accoucheurs qui embellissent celle-ci ; voilà la césure d'aujourd'hui pour l'auteure : car au fur et à mesure Babel se reconstitue ; la démesure humaine prétend à nouveau, malgré les catastrophes successives (qui se poursuivent) être cette colombe de Kant (en prise avec Platon) lorsque celle-ci veut s'émanciper y compris de ses ailes pour aller encore plus vite, plus haut, toujours, tels ces immenses phallus de verres et d'acier se dodelinant dans ces divers "spots" à la mode.
Aller plus haut, assurément, jusqu'à aujourd'hui prétendre à tout, y compris créer ces nouvelles espèces "humaines" faites de bric et de broc pas seulement cyborg aussi bric à braque idéologique avec cet entêtement féroce à ce qu'aucune tête ne dépasse, aucune, égalité totale jusqu'aux sexes et rôles interchangeables comme au bon vieux temps de la
veuve Mao lorsque l'intellectuel était sommé de jouer au "prolétaire".
Et ce fut fait sous les sarcasmes des nouveaux protégés du régime, les Gardes Rouges, dont le rire et la dérision se firent entendre jusque dans les Universités du monde "développé", en particulier à Paris, Londres, New York, à l'ombre des structures en pleurs, et qui donna cette "french theory" (post-marxo-freudisme allant de la déconstruction au postmodernisme via l'école de Francfort) oubliant néanmoins de se déconstruire ("l'oubli du non oubli") avec son rire démoniaque se moquant de tout, souligne l'auteure, sauf de lui-même bien sûr puisque à force de détruire tout centre (rationalité, corps, particularités) ce rire (celui de Nietzsche à Turin mais en pis) s'est mis de facto à la place de ce qu'il détruit, gardien en quelque sorte du trou noir de l'identité tourbillon accéléré du sens dont il distribue encore, à la porte de ces turbines nucléaires du symbolique en lambeaux, des lunettes 3D trafiquées ("tout va bien bien monsieur la Marquise") pour y faire des selfie sur sa crête, celle de "la mort de l'Homme".
Il y a dans ce livre, majeur, de Chantal Delsol la pleine saisie de cette totale démesure qui crée une monstruosité à triple tête (scientisme issu des Lumières puis sa déviation en communisme et nazisme) se prenant en plus pour du génie, "c'est géniaaal" se moquait déjà Musil dans L'homme sans qualités . Delsol en fait la genèse tout en relevant une singulière particularité : la démesure nazie est bien plus critiquée que la démesure communiste ; et l'auteur avance une hypothèse, cruciale :
la différence de traitement est à déceler moins dans la spécificité de la Shoa qui alourdit la responsabilité du nazisme et par là du peuple allemand, que dans la volonté opiniâtre de rendre bien plus encore responsable le peuple allemand dans son désir d'avoir voulu orienter la Technique plutôt vers un nouvel enracinement, celui d'un germanisme idéalisé (déjà chez Fichte) au lieu d'asseoir l'Ère de la Technique vers l'effacement des disparités culturelles, jugées réactionnaires à la fois par les pensées scientistes et marxistes-léninistes, ces deux têtes jumelles d'un progressisme censé créer un "homme nouveau" avant l'amendement blanchotien/foucaldien/derridien/deleuzien de créer de "nouvelles variétés d'humanité" comme l'on créé de nouvelles fleurs ; ce qui implique que le jardinier peut devenir démiurge (ainsi la dialectique hégélienne est respectée y compris par ceux qui prétendent la dépasser). Il ne s'agit donc pas de nihilisme mais de construction méthodique de chimères au sens y compris biologique du terme.
Le nazisme n'a pas ainsi l'apanage des expériences biologiques. Et pourtant il est dans nos contrées bien plus critiqué que le communisme parce qu'il a prétendu, insiste Chantal Delsol, conserver le passé d'une illusion, celui d'enraciner, de protéger reconstituer amplifier un imaginaire teutonique, alors que le communisme prétendait (prétend encore) effacer tout imaginaire ancien (jusqu'à créer un nouveau calendrier chez ses ancêtres jacobins français) afin d'accentuer le processus de production industriel en l'émancipant certes de sa matrice capitaliste (ce qui n'est pas possible à moins de l'immobiliser) vers des lendemains qui chantent le paradis retrouvé+ l'électricité, aujourd'hui internet (moins Uber) et le sexe interchangeable.
D'ailleurs, et il en va de même pour la Terreur française, les expériences communistes qui ont échoué restent encore impensées dans leur fondement : soient elles n'existent pas (pour un Badiou, Filoche, Mélenchon) soient ce sont en fait des "erreurs" d'un "faux" communisme (comme il y aurait paraît-il un "faux" islam) surtout "à cause de Staline" alors que ce dernier au dire même de Jean Elleinstein (dans son Staline) était un "centriste" : il allait en effet bien moins que Trotski dans la volonté de mettre au pas les paysans les ouvriers récalcitrants (écrasement de Kronstadt) bref de militariser le travail.
Un peu comme aujourd'hui avec un Plenel (post-trotskiste) désireux de mettre au pas via Piketty interposé les "riches"en les taxant encore plus que sous Roosevelt (moins les niches fiscales) tandis qu'un Mélenchon en pleine lecture des Panama papers propose de les "châtier" comme le disaient St Just et Robespierre à propos de Louis XVI refusant de le juger parce que ce serait dans ce cas lui donner le droit d'exister alors qu'il était devenu chose du passé comme le professait Hegel à propos de l'art ancien (tout en regardant passer Napoléon à Iéna).
D'où la nécessité de détruire, détruire, dé(cons)truire éliminer (buvez éliminez) les classes dépassées, les institutions dépassées (corps, sexes, familles) régime de purification de la société pour les révolutionnaires français au profit des "impurs" des "gueux" ce qu'amplifièrent les léninistes, et imitèrent les nazis puisque leur volonté d'éliminer les juifs cherchait à purifier le sang germain ; mais avec cette spécificité que soulignait Aron contre Arendt : la chambre à gaz n'est pas soluble dans le camp de travail.
Sauf que cette spécificité n'est pas non plus tout à fait pensée dans son amplitude utopiste à savoir cette démesure d'amplifier la vision "zoométrique" de l'anthropologie scientiste cherchant à penser techniquement un problème de destruction rapide mais transcendée par une vision mystique de régénérescence en lien avec "l'Être", ce qui est peut-être, , le propre même, "elle-même pour elle-même" de la démence nazie, qui n'est alors certes pas l'apanage de la démesure communiste.
Sauf que cette méticulosité technique de destruction a été récupérée, miniaturisée, via Blanchot et le postmarxisme déconstructionniste pour lesquels doit être détruit, implosé, les corps les esprits la raison afin d'empêcher de penser en continu sous peine d'accumuler de l'énergie, de la puissance, du capital, de se prendre en un mot pour un "moi" alors que celui-ci ne peut être qu'un "je fêlé" disait Deleuze admirant les contorsions d'Antonin Artaud.

Chantal Delsol a le mérite dans son livre de remettre au centre des préoccupations ce double impensé (les démences communistes et nazies) encore vivace par leur croisement (supposé impensable) dans la déconstruction postmoderne.
Il se dédouble aussi aujourd'hui dans l'impensé du nationalisme arabe dupliqué dans l'islam djihadiste, nourri du nazisme et du communisme, que les intellectuels de la déconstruction ne peuvent évidemment pas analyser puisqu'ils sont issus de la même souche.

Le 10/4/2016     

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