mardi 9 juillet 2013

Le volcan financier ne va pas tarder à se réveiller

Ce texte est long, mais lisez-le, il est écrit par quelqu'un qui n'a pas pour habitude de plaisanter sur ce sujet.

Le directeur de l’Institut de haute finance prédit un krach sur le marché de la dette.  
Le Figaro 9 juillet 2013
Dessertine, Philippe

La peste ou le choléra, tel est l’inextricable dilemme auquel sont confrontées les autorités monétaires : ou bien elles se décident enfin à sortir de la double aberration qui a permis un temps de s’extraire d’une spirale délétère ; ou bien, sous la pression des politiques, le statu quo est maintenu pendant une période de deux ou trois ans, dans l’espoir chimérique d’une relance de la croissance mondiale. Et, dans les deux cas, se profile un énorme risque de krach sur le marché de la dette, en particulier de la dette souveraine, et sur celui des actions.
En résumant, quelle que soit l’hypothèse, l’effondrement aura lieu ; dans la première éventualité, il surviendra à court terme et sera très compliqué à gérer. Dans la deuxième éventualité, la pire, il se produira plus tard, et sera d’autant plus violent. La situation ressemblera à celle de 2008, à une différence (de taille) près : cette fois, toutes les solutions de récupération d’une vrille mortelle de l’économie mondiale auront été déjà utilisées.
Il faut dire que le monde des affaires, et plus encore celui des gouvernants, s’est habitué à ces politiques pudiquement qualifiées de « non conventionnelles » ; elles furent les ultimes cartouches tirées par les banques centrales quand à la fin de l’année 2011 le système bancaire mondial était au bord d’une faillite globale. En schématisant, le procédé hétérodoxe consiste en une injection massive de liquidités, pour endiguer le déséquilibre généralisé, provenant… d’un excès de dettes ; l’eau de mer balancée en désespoir de cause, sur le réacteur en fusion de Fukushima…
Cette surliquidité est alimentée de deux manières : d’abord en maintenant les taux d’intérêt proches de zéro contre toute logique financière ; ensuite en faisant racheter par les banques centrales des masses gigantesques de dettes pourries, dont la seule existence suffit à éroder la confiance des banquiers envers leurs propres collègues.
Ces mesures d’urgence ont certes fonctionné. Mais en les prolongeant indéfiniment, elles peuvent alimenter une logique ultradangereuse : celle d’une déstabilisation intentionnelle du système, à la seule fin de relancer un très hypothétique cercle vertueux. La politique américaine en est l’illustration jusqu’à l’outrance : la Federal Reserve imprime 86 milliards de dollars par mois depuis septembre 2012 pour une pauvre croissance d’à peine 2 % et une réduction poussive du taux de chômage. Ce résultat trop décevant ne parvient pas à justifier la réalité du prix à payer : une déstabilisation monétaire à l’échelle mondiale, sapant à long terme le commerce international, la croissance des pays émergents, et l’émergence d’un nouveau modèle de développement durable. Comme pour pousser l’absurde à son comble, le Japon joue le jeu de la surenchère, imprimant une monnaie artificielle dans des dimensions encore plus fortes.
En outre, le phénomène le plus inquiétant n’a pas été encore évoqué. Cette folie de la liquidité est en passe de reconstituer les exactes conditions ayant conduit à la crise géante commencée en 2007 : les énormes fonds de l’ombre (le fameux shadow banking) constatent l’absence de rentabilité dans les financements classiques en cette période de taux d’intérêt nuls ou négatifs. Alors ils inventent de nouveaux produits, spéculent, financent des projets, des entreprises, des pays, à des conditions insensées, beaucoup trop basses. Un bon exemple ? La France, où le chômage bat record sur record, où la récession s’est installée, où la balance commerciale est archinégative, où le déficit public ne parvient à se réduire, où la compétitivité des entreprises est en baisse constante, cette triste France, oui, finance sa dette à des conditions parmi les plus favorables de son histoire. Certes, les optimistes à courte vue peuvent s’en féliciter ; cela s’appellerait danser sur un cratère.
En réalité, la communauté financière le sent bien, ce système est intenable. La nervosité devient partout palpable. Quand Ben Bernanke commence à préparer les marchés au retour à la normale, les indices donnent un avant-goût d’une panique prête à se déclencher ; - 6,3 % de chute à Tokyo par exemple en une matinée, sur une simple rumeur ; les taux des dettes souveraines européennes qui recommencent à bouger, quand s’esquisse juste une fragilité gouvernementale au Portugal.
Pour tout arranger, la Chine elle-même laisse pour la première fois apparaître les vulnérabilités qui minent son propre système bancaire, susceptibles de créer un autre foyer de tension planétaire.
Les banquiers centraux l’ont souligné à de multiples reprises, leurs actions ne visaient à rien d’autre que de gagner le laps de temps nécessaire pour mener en Occident de coûteuses réformes structurelles.

Alors, si le sablier est sur le point de se vider, si le volcan entre de nouveau en éruption, une question mériterait d’être posée à un pays en particulier, immobiliste, conservateur, incapable d’accepter la grande vague de réforme : France, qu’as-tu fait de ce répit providentiel qui t’avait été accordé ?

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