La classe parlante n’a plus que cette antienne à la bouche : l’éruption des populismes signerait la fin de la démocratie. Dans une époque où le catastrophisme fait recette, le fait que ce dernier soit climatique ou politique importe au final assez peu : la fin du monde est proche ! Selon nos oracles, plus rien ne va. C’était mieux avant, mais surtout : ce sera pire après. Prêcheraient-ils le contraire que de toute façon personne ne les écouterait, les médias détestent les oiseaux de bon augure. Ceci étant, cette récente hystérie collective de nos élites mondialisées sur la fin des temps démocratiques est assez révélatrice des mécanismes tortueux qui servent de pensée aux Princes qui nous gouvernent et de l’idée, très particulière, qu’ils se font de notre chère démocratie.
Il y a populisme et populisme
Vous l’aurez certainement remarqué : les plus enclins à sonner le tocsin sont ceux qui, dans leur jeunesse folle, se sont largement fourvoyés du côté communiste de la force. Il est donc savoureux de voir ces ex-phares du prolétariat dauber, à foison, sur la démagogie supposée des populistes. Car de quoi parlons-nous ? Le populisme, selon nos grandes âmes, consiste à flatter le peuple (donc l’électorat), dans le sens le plus vil de son poil dru, ou, en d’autres termes, à dire au prolo ce qu’il convient de lui cacher. Avez-vous déjà rencontré beaucoup de politiciens qui se font élire en disant le contraire de ce que leurs électeurs veulent entendre ? Ainsi, Marine Le Pen incite-t-elle le peuple à rejeter l’Europe qui ne nous amène que bonheur et prospérité et le pousse à adopter la vilaine préférence nationale, dans un réflexe de repli sur soi totalement nauséabond commeauzheureslesplusombresdenotrehistoire. À ce titre elle est une
authentique démagogue populiste.
En revanche, François Hollande, lui, en bonne incarnation du Bien sur terre, lorsqu’il déclare au peuple de gauche assemblé que « son ennemi c’est la finance » ne tombe pas dans le populisme. Comme il n’en pense pas un traitre mot, comment le pourrait-il, du reste ? Plus sérieusement, un socialiste ne fait jamais de démagogie, il n’est jamais « limite » ou « borderline » comme on dit, en bon Français, de Science Po. Les communistes et leurs héritiers mélenchonistes, non plus, quand ils affirment que le SMIC peut « facilement » être porté à 2 500 € par mois et la semaine de travail limité à moins de 30 heures. Comme toujours avec nos zélites : le deux poids le dispute aux deux mesures. La démagogie est de droite : qu’on se le dise ! La paille dans l’œil du voisin plutôt que la poutre dans le sien et les veaux seront bien gardés.
Le pire des régimes à l’exception de tous les autres
La démocratie a tous les défauts de la terre, c’est une évidence. Elle a cependant le mérite de permettre à la masse anonyme de changer périodiquement ses dirigeants et sensément, avec eux, de politique. Voilà pour la théorie. Hélas, la pratique diffère quelque peu et c’est en France que la parodie est la plus flagrante. Nous conjuguons en effet l’immobilisme politique le plus absolu à la longévité plus forcenée. Le « consensus » mou des « partis de gouvernement » nous condamne depuis 40 ans à ne rien réformer et à toujours remettre à plus tard ce qui devait être fait hier. Nous sommes assujettis à la mondialisation libérale par la grâce de l’Europe des portefeuilles qui a remplacé celle des Nations. Qu’on le déplore ou que l’on s’en félicite, le drame c’est que ce système économique fonctionne. D’un point de vue strictement macroéconomique : le PIB s’élève de façon continue depuis 30 ans. Le problème c’est que les fruits de cet accroissement de richesse continu sont de plus en plus concentrés entre les mains d’un nombre toujours plus restreint d’individus, résidants dans les grandes métropoles et qui ignorent, superbement, les souffrances de leurs contemporains periphérisés.
Appauvrir les prolos pour le compte des bobos, voilà qui n’est pas très « de gôôôôche » comme programme et pourtant les « progressistes » se sont acharné à le mettre en œuvre à chaque fois qu’ils ont été aux responsabilités. Les socialistes ont résolu la contradiction en se réfugiant dans un monde imaginaire développé à des fins strictement électoralistes. La droite libérale, au contraire, fustige l’incapacité de la gauche à affronter le réel et préconise tout un tas de mesure, à même d’arranger les choses… le temps des élections (ce qui change tout). Les deux se retrouvent dans leur capacité sans limites à ne rien faire. La faute à « pas de bol », sans doute, mais le plus souvent à « l’Europe de Bruxelles » tout en s’étonnant, après, que les Peuples s’en détournent. Nos politiciens ne sont pas les seuls dans ce cas : cf ce qui s’est passé en juin dernier chez les Godons. Ce qui, en France, vient considérablement énerver le populo, c’est qu’à cette absence d’alternative, s’ajoute la permanence des hommes. Nulle part ailleurs (sauf en Corée du Nord) il n’existe une telle longévité politique. Dans notre beau pays, la défaite électorale ne signe jamais la fin d’une carrière, seule la mort y parvient (et encore, les morts ont des héritiers !). Nos politiciens ont un droit de tirage illimité et il n’est pas rare de voir les mêmes occuper la place pendant 30 ou 40 ans. Immobilisme et rente de situation sont les deux mamelles auxquelles s’abreuvent les rancœurs qui conduisent au « divorce » entre les Français et leur classe politique. C’est sur ce terreau fertile que prospèrent tous les extrémismes.
En dénonçant ces faits, les vilains (forcement) démagogues font planer une menace mortelle sur « notre » démocratie, c’est un fait entendu et pas simplement dans la bouche des Duhamels : les Karamazov du commentaire politique. Si certains ont peut-être cette idée, le procès d’intention est quand même un tantinet réducteur. Mais de quelle démocratie parle-t-on au juste ? Pour une fois, avec nos zélites, il faut prendre leur cri d’orfraie au pied de leurs lettres. C’est LEUR démocratie que l’on assassine.
Le pouvoir confisqué
Car depuis plus de trente ans, le peuple n’est plus souverain. Les zélites ont préempté le pouvoir. Tout va bien lorsque le Peuple vote comme elles le souhaitent, mais malheur à lui s’il s’écarte des rails de la pensée unique. Énoncer ce truisme vous fait, là encore, immédiatement entrer dans la catégorie des « ennemis de la démocratie » par ceux qui tirent des bénéfices éhontés, du statu quo susmentionné. Pourtant, il n’est qu’à voir le peu de cas que l’on fait de l’avis du Peuple, lorsque celui-ci l’exprime par référendum ou lors des élections, pour être convaincu de cette perte de souveraineté. La démocratie a été confisquée par une nouvelle aristocratie, mondialisée qui vit largement coupée de ses congénères. Elle bénéficie des retombées positives de la globalisation des échanges et entend bien continuer. Ce phénomène n’est pas exclusivement français, mais c’est une piètre consolation. Il n’est que de voir ce que l’« intelligence mondiale » pense des Poutines et autres Orban ou Trump. Le Brexit n’était-il pas la victoire de l’Angleterre raciste et moisie, selon les dires de Bernard Henri Levy, le Pape des élégances démocratiques ? En réalité est populiste tout ce qui remet en cause la position des bénéficiaires du système.
Notre démocratie a été confisquée par les « experts » et elle est devenue leur instrument de domination. « Il faut que tout change afin que rien ne change », disait Alain Delon dans le Guépard. Cette nouvelle Nomenklatura sait mieux que quiconque ce qui est bon pour le Peuple ou la Planète. Elle pose des diagnostics, parfois justes (on ne peut pas se tromper tout le temps), promet d’y porter remède et s’abstient de le faire. Ils ont tellement trompé leur monde depuis un demi-siècle, qu’il est « populiste et démagogique » d’oser leur demander des comptes. Seulement à force de négliger le bien commun pour se concentrer sur l’hédonisme de quelques-uns, on finit par scier la branche sur laquelle on s’est assis. Qu’il s’agisse d’émigration débridée, de désindustrialisation accélérée ou de gabegie bureaucratique généralisée, l’irresponsable légèreté des élites apparait un peu plus, chaque jour davantage. Chaque nouveau scandale vient faire « le jeu des extrêmes » sans que ce jeu n’ait jamais la moindre conséquence, puisque le pouvoir est confisqué au profit des mêmes.
Le résultat des élections américaines nous fournira, sous peu, un début de réponse à la lancinante question de savoir combien de temps, encore, ce bordel va bien pouvoir durer. Que Trump le mauditl’emporte et bien des choses impossibles deviendront envisageables, comme par enchantement. Qu’Hillary la battante — comme la nomment nos médias énamourés — triomphe du mal et nous remettrons, provisoirement, le couvercle sur la marmite. La conséquence la plus certaine de ces errements, c’est qu’à force de ne rien faire pour le Peuple ce dernier s’énerve. En effet, les « masses populaires » n’ayant plus grand-chose à perdre à l’aventure « extrémiste », cette dernière pourrait cesser d’être une aventure pour devenir un espoir. L’aveuglement de nos dirigeants de droit divin, épaulés par des médias de même essence, nous conduit, hélas, toujours un petit peu plus vers ce gouffre pourtant évitable. Il nous a fallu 100 ans pour nous remettre de la dernière Révolution et nous étions le pays le plus puissant du moment. Pouvons-nous, dans l’état qui est le nôtre, nous payer le luxe d’en subir une nouvelle aujourd’hui ?
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