9 août 2016
Voici la version française du discours de Victor Orban,
devant les participants de la 27ème Université d’été de Baile
Tusnad (Transylvanie ), en Roumanie, le 23 juillet 2016 :
"Bonjour Mesdames et Messieurs, Monsieur le Pasteur
Tőkés, cher Zsolt Németh,
Je vous remercie de pouvoir être de nouveau parmi vous après
un an. Se retrouver est déjà en soi un plaisir précieux, qui fait chaud au
cœur. Ce serait une raison suffisante à l’existence de cette université d’été,
mais celle-ci remplit aussi, depuis plus de deux décennies, une autre fonction,
celle de donner la parole au premier ministre de Hongrie en fonction. Il s’est
ainsi créé une situation, un espace convivial, où il est possible de parler de
politique autrement, de parler de questions difficiles et compliquées d’une
autre manière que celle à laquelle nous sommes contraints par le métier de la
politique pendant les 364 autres jours de l’année. Mais il en résulte aussi des
problèmes. Car la politique européenne a depuis longtemps épuisé, sur les
grands sujets qui la préoccupent, les styles de discours que vraisemblablement
personne ne comprend en-dehors de ceux qui les tiennent, mais qui au moins ne
leur procurent pas de contrariétés. Mais l'ambiance d’une université d’été est
différente. Si ici nous
n’appelons pas par leur nom, d’une manière que nous aussi pouvons comprendre,
les dilemmes qui nous taraudent, et qui ne sont d’ailleurs pas seulement nos
propres dilemmes, mais des dilemmes qui tarauderont – comme vous allez
l’entendre – l’Europe tout entière, eh bien notre université d’été ne vaudra
rien, elle ne sera pas une université d’été mais un camp de propagande.
Je dois donc faire ce qui dans ce métier – dans mon métier – est interdit, ce
que tous les conseillers
déconseillent. Je vais donc vous dire
clairement ce que je pense de la situation de l’Europe d’aujourd’hui. Et
pour en rajouter : je n’essaierai pas seulement de vous présenter des
questions sensibles, délicates, mais je voudrai aussi le faire d’une manière
compréhensible par tous, c’est-à-dire que j’utiliserai un style direct qui est
aujourd’hui banni en Europe : car dès que l’on choisit un certain
mode d’expression pour décrire nos soucis et nos problèmes, il faut s’attendre
à être stigmatisé, il faut s’attendre à être déclassé, rejeté, exilé, d’une
manière générale, dumainstream européen. Naturellement, lorsque
le mainstream en vient à connaître des problèmes, le fait d’en
avoir été rejeté à un certain moment se mue plutôt en avantage. Nous ne
l’aurions pas cru autrefois, mais force est de constater aujourd’hui, de plus
en plus, que le fait d’avoir rejeté la Hongrie dumainstream, et d’avoir
voulu interpréter tout ce que nous avons fait comme s’écartant de la politique
convenue de l’Europe – qu’il s’agisse de notre constitution et de sa référence
à nos valeurs chrétiennes, de notre politique démographique, de l’unification
de notre nation par-delà les frontières – est devenu maintenant, a
posteriori, quelques années plus tard, plutôt un avantage qu’un
inconvénient. Personne ne peut exclure en ce moment que le mainstreamde
l’Europe ne se trouvera pas, dans les années à venir, là où l’on a précisément
essayé de renvoyer la Hongrie. C’est ainsi que le mouton noir deviendra
troupeau, et l’exception, règle. Nous ne savons pas si ce sera exactement le
cas, mais ce que nous voyons aujourd’hui en Europe ne permet pas de l’exclure.
J’étais encore très perplexe hier, et même jusqu’au dernier
moment, hier soir très tard, lorsque j’essayais de mettre en ordre ce que
j’allais vous dire aujourd’hui. Je n’avais encore jamais été aussi perplexe
qu’hier soir devant une telle situation. Il se passe tellement de choses qui
méritent chacune des explications détaillées, et dont il serait légitime de
parler : l’attentat de Munich d’hier, les attentats en France, la mise en
route de plusieurs centaines de migrants avant-hier à pied depuis Belgrade en
direction de la Hongrie, l’investiture par les conservateurs de Trump à la
candidature à la présidence des Etats-Unis et son grand discours – qui
mériterait à lui seul l’attention de toute une université d’été –, la sortie
des Anglais de l’Union européenne... Tous ces événements exigent qu’on les
explique d’une manière ou d’une autre. Mais ce n’est pas le rôle d’une
université d’été de décrire des phénomènes, bien plutôt d’essayer – à l’aide
bien évidemment des questions qui ne manqueront pas d’être posées – d’en
identifier les ressorts, les interconnexions qui les caractérisent.
La vérité est qu’il n’y a pas à ce jour d’explication
univoque, c’est à dire universellement acceptée par tous ceux qui s’occupent de
politique européenne, à la multitude des phénomènes dont je viens de citer
quelques exemples. Il n’y a pas d’explication universellement admise à cette
multitude de phénomènes, que je pourrais synthétiser de la manière
suivante : la peur grandit de jour en jour en Europe, l’impression se fait
de jour en jour plus forte en Europe que notre avenir est incertain. Et je
voudrais essayer, sans aucune prétention à une approche scientifique que l’on
serait en droit d’attendre, d’identifier d’abord la cause commune, la source
originelle dont procèdent ces phénomènes qui provoquent notre peur. En écoutant
tout à l’heure M. le Pasteur Tőkés, je me suis rendu compte que je n’aurais pas
dû rester perplexe hier soir, mais l’appeler, parce qu’il a prononcé la phrase
dont je dois en vérité partir, comme point de départ. Il a cité le prophète
Néhémie :
« N’ayez pas peur, luttez ! » Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Contre qui faut-il lutter ? Si nous ne pouvons pas dire contre quoi il
faut lutter, nous sommes incapables de définir les bonnes modalités de cette
lutte, de distinguer ce qui est utile et ce qui est contre-productif, nous
sommes incapables de sélectionner les moyens à mettre en œuvre. Si nous ne
pouvons pas dire contre quoi nous luttons, nous ne pouvons pas identifier non
plus les moyens les mieux appropriés, ni voir lesquels nous font plutôt du
tort. C’est pourquoi il est important d’essayer – et c’est à mes yeux
la tâche la plus importante qui attend l’Europe dans l’année qui
vient – de définir ensemble, au niveau européen, ce contre quoi nous devons
lutter.
Naturellement, ce qui vient en premier lieu à la surface,
c’est le phénomène migratoire, le terrorisme, l’incertitude. Mais d’où provient
tout cela ? Il y a des ressemblances, à ce niveau, entre les deux
parties du monde occidental, entre les problèmes de l’Amérique d’au-delà de
l’Océan et ceux de notre continent européen. Lorsque dans les cinquante
dernières années l’on disait à un jeune Allemand, à un jeune Français, à un
jeune Britannique ou à un jeune Belge : « mon ami, si tu fais de
bonnes études, si tu respectes nos lois, tes parents, et si tu travailles avec
assiduité, tu peux être sûr que tu iras plus loin et que tu vivras mieux que
tes parents ». C’était cette perspective qui a donné pour nous tout son
attrait au grand rêve européen, à la grande histoire de l’Europe et à l’Union
européenne. Parce que nous ne pouvions pas en dire autant entre 1945 et 1990
ici, en Hongrie. Mais aux Etats-Unis, et à l’ouest de nous, dans les pays de
l’Union européenne, c’était un lieu commun aussi clair que deux et deux font
quatre. Et que voyons-nous aujourd’hui ? Si je dis à un jeune Anglais, à
un jeune Allemand ou à un jeune Français : « si tu respectes les
lois, si tu honores tes parents, si tu fais de bonnes études et si tu
travailles avec assiduité, tu arriveras certainement plus loin et tu vivras
mieux que tes parents », je crains qu’il ne se moque de moi. C’est cette
promesse d’une vie européenne meilleure qui s’est trouvée ébranlée, qui s’est
perdue, avec de très lourdes conséquences. C’est au fond une crise économique.
Si nous devions en chercher les causes – dans lesquelles je ne veux pas entrer
ici –, nous les trouverions quelque part dans le fait que des concurrents se
sont présentés aux côtés des économies occidentales qui dominaient jusqu’à
présent l’économie mondiale, des masses humaines qui se chiffrent par milliards
– l’Inde et la Chine –, avec pour conséquence une reconfiguration radicale des
flux des biens produits dans le monde. Et l’Occident – en particulier l’Union
européenne – a été jusqu’à présent incapable de s’adapter à ce changement. Par
voie de conséquence, la part de l’Union européenne se restreint, sa performance
s’affaiblit, sa contribution à la production mondiale diminue régulièrement. Il
en résulte que les générations futures ne peuvent pas voir devant elles les
mêmes perspectives que celles qui se présentaient devant leurs parents.
La conséquence de ce phénomène est que notre vie quotidienne
est marquée par une crise inavouée des élites européennes. En Europe
occidentale en effet, ce sont tantôt les chrétiens-démocrates, c’est-à-dire la
droite, tantôt la gauche qui ont exercé le pouvoir au cours des cinquante à
soixante dernières années, mais d’une manière générale les dirigeants de
l’Europe provenaient tous, pendant cette période, des mêmes milieux, de la même
élite, du même monde de pensée, des mêmes écoles, des mêmes institutions de
formation des jeunes générations de politiciens. Tout le monde le trouvait
normal, puisque c’étaient eux qui, en s’alternant, étaient capables de garantir
à l’Europe un bien-être régulièrement croissant. Depuis que la crise économique
a mis ce schéma en question, cette crise économique s’est muée en une crise des
élites. Ce que nous voyons aujourd’hui dans les actualités, et ce que l’élite
au pouvoir décrit naturellement en clef négative, c’est l’apparition de
formations nouvelles, extrémistes, populistes, des acteurs extérieurs aux
élites habituelles qui prennent position sur les grands sujets du moment, qu’il
s’agisse du candidat à la présidence des Etats-Unis ou du parti Alternative
pour l’Allemagne – je pourrais continuer la liste – et qui sont tous les
preuves d’une crise des élites. Nous pourrions à la limite en prendre notre
parti, parce que, mon Dieu, les élites européennes affronteront cette crise
d’une manière ou d’une autre, mais le problème est qu’aujourd’hui la crise des
élites s’est muée en une crise de la démocratie.
Par conséquent, la crise économique est devenue une crise
des élites, qui à son tour est devenue une crise de la démocratie, parce que
les grandes masses de la population veulent clairement et manifestement autre
chose que ce que proposent et font les élites traditionnelles. C’est ce qui
produit cette incertitude, cette nervosité, cette tension derrière lesquelles
surgissent, comme l’éclair, un attentat terroriste, une action violente, un
flux migratoire apparemment incontrôlable. C’est pour cette raison que l’image
est si nette, c’est pour cette raison que chaque acte terroriste nous secoue à
ce point. La question n’est pas qu’un malade mental commette quelque chose un
jour en France, un autre en Allemagne (cela a déjà été le cas bien des fois
dans le passé), mais que nous ressentions quelque part – que cela soit fondé ou
pas – que ce qui arrive est la conséquence pratiquement logique de
l’incertitude et de l’inquiétude générale. C’est cela qui nous déstabilise,
parce que cela nous suggère que ce qui se passe à Nice ou à Munich peut se
passer n’importe quand dans n’importe quel pays d’Europe.
Car l’incertitude et la peur, qui caractérisent aujourd’hui
la psychologie de base du continent européen, tuent les âmes. Quand on a peur,
on n’aspire pas à de grandes choses. Quand on a peur, on se met sur la
défensive. Les grandes choses ont besoin de grandeur d’âme et de cœur, pour
pouvoir connaître et intégrer tout le savoir, toutes les idées qui s’imposent.
Si cette sérénité est présente, l’on peut faire de grandes choses, comme par
exemple, chez nous, l’unification de la nation hongroise, ou encore la
reconstitution de l’économie hongroise au travers de la volonté de rattraper
sur une courte période historique le retard accumulé sur près d’un demi-siècle.
Il faut pour cela de l’ouverture d’esprit, une propension à la réception des
idées, de la collaboration et de la confiance. En revanche, la peur incite tout
le monde – les pays, les gens, les familles, les acteurs économiques – à la posture
de défense du hérisson. Ce n’est pas cela qui fera l’Europe, une telle posture
n’est pas propice à ce que l’Europe retrouve son rôle d’antan. L’attentat de
Munich – devant les victimes duquel je souhaite ici m’incliner, à titre
personnel aussi – nous secoue tout particulièrement, parce que dans l’esprit
public hongrois il y avait toujours en filigrane une pensée : dans ma
tête, ce n’était pas seulement un sentiment, mais une conviction, qu’il est
quand même bien utile que les Allemands – qui ont certes souvent présenté de
graves dangers pour les Hongrois au cours des mille ans de notre histoire –
soient là, à l’ouest de nous, parce qu’ils sont un peuple sensé, ils ne donnent
pas prise aux extrémismes, ni aux extrémismes spirituels, ni aux conceptions économiques
déraisonnables, ni aux actes terroristes qui mettent à mal notre sécurité.
C’est toujours sous cet angle que nous avons considéré l’Allemagne au cours des
cinquante dernières années, comme le garant de notre sécurité depuis l’ouest,
et c’est pour cette raison que la signification des événements de la nuit
dernière à Munich n’est pas la même dans la tête d’un Hongrois que ce qui s’est
produit, par exemple, à Nice. Ce n’est pas seulement parce que cela s’est passé
plus près de nous, mais parce que cela s’est produit chez les Allemands, dont
nous conservions une image tout à fait différente dans nos esprits. Cela montre
que nous aussi, nous devons nous préoccuper toujours davantage et avec une
énergie renforcée, de la question de la sécurité, car l’on voit bien que
l’Allemagne elle-même n’est plus sûre à 100%.
Si donc à l’injonction « n’ayez pas peur ! »
notre réponse est que nous devons bannir de notre vie la peur liée à
l’incertitude, alors le devoir de la politique est de déterminer ce qu’elle
doit faire pour qu’il en soit ainsi.
Et donc, puisque nous sommes membres de l’Union européenne,
je voudrais parler aujourd’hui de ce que l’Union européenne devrait faire
autrement pour que la peur et l’incertitude disparaissent de la vie de ses
concitoyens. Il faut d’abord faire cesser un certain nombre de situations
néfastes. En Occident, l’on présente en clef positive, sous le nom de
« dé-nationalisation », une de ces situations que je juge
néfaste. Le rétrécissement de la souveraineté nationale au profit des compétences
européennes est pour moi un des plus grands dangers qui menacent l’Europe. Il
y a des situations contre lesquelles Bruxelles est incapable de se défendre,
mais nous autres, les Etats-nations, oui. C’est pourquoi toute orientation,
toute action politique et toute initiative visant à retirer, expressément ou
furtivement, des compétences aux Etats-nations doit être stoppée. Cette
politique doit être arrêtée.
Notre seconde tâche consiste à arrêter les jugements
d’autosatisfaction. Si vous écoutez les responsables européens, ils parlent
aujourd’hui encore de l’Union européenne comme il y a dix ou quinze ans. Et
effectivement, Mesdames et Messieurs, il y a dix ou quinze ans, y compris
peut-être jusqu’à la sortie des Anglais, l’on ne doutait guère que l’Union
européenne était un acteur global, un protagoniste de la politique mondiale
capable d’influencer les événements non seulement sur son propre territoire,
mais aussi sur n’importe quelle autre région du monde, aussi éloignée
soit-elle. Un acteur global. Or, la sortie des Anglais marque clairement la fin
d’une époque, et nous devons reconnaître que l’Europe a perdu cette capacité.
L’Union européenne est aujourd’hui un acteur régional, capable, dans le
meilleur des cas, d’influencer les événements qui se déroulent dans son
environnement immédiat, mais force est de constater que ce n’est
progressivement même plus le cas : dans le conflit russo-ukrainien, par
exemple, l’acteur déterminant n’est pas l’Union européenne, mais les Etats-Unis
d’Amérique. Force est de constater que dans les zones d’incertitude que sont la
Syrie, le Proche-Orient ou l’Irak, l’acteur déterminant n’est pas l’Union
européenne, mais bien plus les Etats-Unis d’Amérique et la Russie. Nous devons
donc reconnaître que si nous avons aujourd’hui une capacité d’influence sur les
événements du monde qui se déroulent en-dehors de notre territoire, celle-ci se
limite aux régions de notre environnement immédiat.
La troisième chose que nous devons abandonner, c’est ce que
j’appellerais « l’idéalisation de l’Europe ». Comme la devise de
notre université d’été l’affirme clairement, nous n’avons, nous autres, aucun
problème d’identité. Moins même que les Britanniques, qui ne savent pas
eux-mêmes de manière précise s’ils sont Européens ou non. Pour un Hongrois, la
question ne se pose pas : si tu es Hongrois, tu es Européen. Nous l’étions
– c’est ce que dit la devise de notre université d’été –, nous le sommes, et
nous le serons. Il n’y a aucun problème avec cela, si ce n’est qu’il est né de
ce sentiment – plutôt à l’ouest de nous – une politique qui fait en permanence
de l’Europe une idéologie. Dans cette acception, l’Europe n’est pas la
communauté capable de régler les problèmes des nations qui vivent en son sein,
mais une idée, une idéologie, un système mental clos dans lequel tout processus
tendant à concentrer en lui le plus possible de compétences est bon et doit
être encouragé, où en revanche toute situation où les Etats-membres résolvent
leurs propres problèmes dans le cadre de leur propre domaine de compétence est
au minimum suspect, et où ceux qui souhaitent récupérer des compétences, comme
les Britanniques s’y sont essayés, s’exposent à la damnation. Ce qui veut dire
que faire de l’Europe une idéologie conduit nécessairement à donner à toutes
les questions une seule et unique réponse, la « réponse européenne
commune ». La réalité est cependant autre : s’il existe évidemment
des questions auxquelles la bonne réponse résulte d’une approche commune, il en
existe aussi d’autres où l’approche commune produit une mauvaise réponse. La
protection des frontières et la question migratoire en sont des exemples
patents. Tant que nous avons essayé de les résoudre « en commun » (je
parle du printemps 2015), le problème n’a fait que s’amplifier. Depuis que nous
avons déclaré qu’en application des conventions qui s’imposent à chacun, tous
ceux qui ont signé ce fameux Accord de Schengen doivent assurer
individuellement le contrôle de leur frontière, et que nous autres Hongrois
l’avons fait, le problème a diminué et a perdu de son intensité. C’est pour
cela que nous ne devons pas dire qu’une politique dans laquelle les acteurs et
les compétences européennes sont plus nombreux est par définition meilleure et
plus riche que celle où elles le sont moins. Si nous ne renonçons pas à cette
approche, c’est-à-dire si nous ne quittons pas l’approche idéologique pour
revenir à une approche pratique, je suis convaincu que nous ne parviendrons pas
à mettre fin à l’incertitude.
Une autre chose dont nous avons besoin pour restaurer la
sécurité en Europe, c’est de reconnaître que nous avons pris de mauvaises
décisions. Nous avons pris au moins trois mauvaises décisions au sein
de l’Union européenne au cours des dernières années.
La première est d’avoir accru les pouvoirs du Parlement
européen. Bien loin d’améliorer l’efficacité des institutions
européennes, cette décision l’a détériorée.
La seconde mauvaise décision est d’avoir laissé la
Commission européenne s’affirmer comme un acteur politique, contrairement
au rôle que lui définit le Traité européen, à savoir qu’elle est la gardienne
des Traités, ce qui implique une nature nécessairement neutre du point de vue
politique. La Commission européenne se considère une commission politique,
subtilisant ainsi ce rôle au Conseil européen, c’est-à-dire au conseil des
chefs d’Etat et de gouvernement, auquel le Traité assigne pourtant ce rôle.
L’impulsion des orientations politiques est, aux termes des documents de base
des institutions européennes, l’affaire et le devoir du conseil des chefs d’Etat
et de gouvernement. Or, nous constatons aujourd’hui que dans les questions où
les chefs d’Etat et de gouvernement ne parviennent pas à se mettre d’accord,
comme par exemple dans la question des quotas obligatoires, la Commission
européenne met en route sous sa seule responsabilité une réglementation et une
politique de quotas obligatoire. Ce faisant, elle ne se borne pas à passer
par-dessus la tête des chefs d’Etat et de gouvernement, s’appropriant
furtivement une partie des compétences nationales, mais – bien plus grave – un
organisme européen que personne n’a élu se propulse dans un rôle politique et
provoque par là une crise de démocratie et de légitimation dans le corps de
l’Union européenne.
Et la troisième mauvaise décision a été d’avoir décidé,
dans l’intention d’améliorer l’efficacité du fonctionnement de l’Union
européenne, d’introduire, y compris dans le domaine des intérêts nationaux
vitaux des pays, la règle de la majorité qualifiée des deux tiers au lieu de
l’unanimité.C’est ainsi qu’a pu se produire une situation où, alors que
nombre de pays avaient pris position contre le système des quotas obligatoires,
la Commission, menant son propre chemin à l’intérieur des institutions
européennes et avec le soutien des grands Etats, a fait adopter à la majorité
qualifiée des deux tiers, au lieu de l’unanimité, des mesures que nous devrions
aujourd’hui appliquer. Bien sûr, nous n’en ferons rien, et avons introduit un
recours contre cette décision. La Commission se prépare à adopter, dans le
futur également, des mesures qui se heurtent à l’opposition d’au moins un tiers
des nations européennes : pour ne pas parler que de migration, je veux
citer la question des travailleurs détachés, qui est une question économique et
où les Parlements de douze pays d’Europe ont fait connaître leur opposition à
la proposition de la Commission. C’est ce qu’on appelle la procédure du
« carton jaune ». Douze Parlements nationaux. La Commission a déclaré
que cela ne l’intéressait pas, puisqu’elle dispose d’une majorité des deux tiers
et que là ce n’est pas par pays, mais sur une base pondérée par les populations
que l’on compte. Elle a déclaré que disposant de la majorité pondérée des deux
tiers, elle n’examine pas, ne prend pas en considération et ne tiendra pas
compte du « carton jaune » délivré par douze Parlements nationaux.
Tout cela montre qu’en voulant améliorer le fonctionnement de l’Union
européenne, nous avons pris des décisions qui se sont avérées
contre-productives et qui, dans cette situation nouvelle, sont bien plutôt de
nature à saper l’unité de l’Europe et son soutien par sa population.
En matière d’incertitude, je dois maintenant dire quelques
mots du terrorisme et du phénomène migratoire. La chose la plus lamentable et
la plus attristante en politique est de débattre de l’évidence, et des faits
eux-mêmes, au lieu de s’attacher à en comprendre conséquences et les
enseignements : l’on cherche à savoir si le blanc est bien blanc, si le noir
est bien noir, si deux et deux font bien quatre plutôt que trois ou cinq. C’est
ce genre de débat qui pèse sur l’Union européenne, et il est bien difficile d’y
mettre de l’ordre. Nous avons pour ce qui nous concerne décidé de faire faire
par notre organisme Századvég un sondage d’opinion en Europe
pour savoir ce que pensent les gens, notamment sur le point de savoir s’il
existe une relation entre le terrorisme et la migration.
Ce sondage d’opinion a porté sur tous les 28 Etats-membres,
il avait donc une portée européenne, et pas uniquement hongroise. Les résultats
sont on ne peut plus clairs, je les ai ici devant moi. Pour plus de 60% des
interrogés, il est tout à fait évident qu’il existe une relation directe entre
l’accroissement du terrorisme, l’accroissement de la criminalité et le
phénomène migratoire. De même : 63% des citoyens de l’ensemble des 28
Etats-membres estiment que le phénomène migratoire modifie la culture des pays.
Alors que les élites européennes prétendent que non, et que de telles relations
n’existent pas. C’est pourquoi je suis convaincu que pour restaurer la sécurité
sur le continent européen, l’élite européenne d’aujourd’hui devrait admettre
quelques considérations de base, même si elles ne coïncident pas avec sa vision
idéologique du monde. Le phénomène migratoire représente un danger, il accroît
le terrorisme, il accroît la criminalité, il modifie de manière radicale le
profil culturel de l’Europe, il détruit de manière radicale la culture
nationale. Si nous ne faisons pas nôtre ce point de vue, s’il ne devient pas un
point de vue européen, nous ne pourrons tout simplement pas intervenir face à
ce danger. Si vous examinez les documents publiés par l’Union européenne sur
cette question, vous verrez que l’Union, tout en proposant des mesures en
matière de migration, ne définit pas leur but. Je suis jusqu’à ce jour incapable
de vous dire – et pourtant je siège là-bas, parmi eux, au moins une fois par
mois – quel est actuellement l’objectif des mesures préconisées par l’Union
européenne en matière de migration. Est-ce – ce que je pense et ce que je
souhaiterais – que nous devons l’arrêter et ne laisser entrer personne sans
contrôle, ou bien – comme le dit la Commission – qu’il ne faut que la
ralentir ? Je ne sais pas si nous voulons arrêter le flux migratoire, ou
si nous voulons le ralentir. Pour ma part, je veux l’arrêter, parce que je
pense qu’il est néfaste. S’ils ne veulent que le ralentir, c’est qu’ils ne le
considèrent pas comme néfaste, et que ce n’est que sa forme qu’ils considèrent
mauvaise. Les documents de l’Union européenne font régulièrement apparaître que
les problèmes démographiques de l’Europe peuvent être aisément résolus grâce à
la migration. La Commission vient de nous présenter en mai un projet
d’intervention en sept parties, qui mélange allègrement les aspects
démographiques, les aspects migratoires et la problématique de la main d’œuvre.
Si nous ne commençons pas, ici encore, à nous placer sur des bases claires et
transparentes, nous n’arriverons sans doute pas non plus à nous mettre
d’accord.
Je ne suis pas chargé de la campagne de Donald Trump, et je
n’aurais jamais cru que j’aurais un jour à considérer que sur les possibilités
de choix qui sont apparues c’est lui qui serait le meilleur du point de vue de
la Hongrie. Je ne l’aurais jamais cru, mais j’ai écouté le discours de ce
candidat, qui a fait trois propositions pour freiner le terrorisme. En tant
qu’Européen, j’aurais difficilement pu mieux formuler ce dont l’Europe aurait
besoin. Il a dit qu’il faut faire des services de renseignement américains les
meilleurs du monde, c’est la condition de base. Je le pense aussi. En Europe,
la collaboration entre les services de renseignement de chaque pays doit être
capable de la meilleure performance, c’est la première condition de notre
sécurité. La seconde chose que le brave candidat américain a déclarée est qu’il
faut arrêter la politique d’exportation de la démocratie. Je n’aurais pas pu
mieux m’exprimer. Car en fin de compte, pourquoi des migrants traversent-ils en
masse la mer Méditerranée depuis l’Afrique pour venir en Europe ? Ils la
traversent parce que les Européens – avec plus tard les Occidentaux, dans le
cadre de l’ONU – ont réussi – nous avons réussi – à réduire en miettes le
régime libyen – certes pas vraiment démocratique, mais excessivement stable du
point de la défense de sa frontière – sans nous préoccuper d’y mettre en place
un nouveau gouvernement capable d’assurer cette stabilité. Nous avons fait de
même avec la Syrie, et avec l’Irak. Il est donc avéré que si au lieu de la
stabilité nous continuons à privilégier l’édification de la démocratie dans des
régions où ses probabilités de succès sont excessivement discutables, ce n’est
pas la démocratie que nous y édifierons, mais l’instabilité.
C’est là un enseignement important, notamment à la lumière
des événements de Turquie. Je ne souhaite évidemment pas porter de jugement sur
ceux-ci, mais si l’on me demande ce qu’attendent les Hongrois de la Turquie, je
répondrai sans hésitation : la stabilité. Bien entendu, la qualité de la
vie politique dans le pays ne nous est pas indifférente. Les droits de l’homme
ne nous sont pas non plus indifférents, notamment parce qu’il s’agit d’un pays
qui, formellement du moins, souhaite toujours adhérer à l’Union européenne, où
ce sont là des conditions de base incontournables. Mais d’une manière générale,
du point de vue de notre existence d’aujourd’hui, le plus important est que la
Turquie reste un pays stable, parce que si elle devait cesser de l’être,
plusieurs dizaines de millions d’individus se déverseraient depuis cette région
sur l’Union européenne sans le moindre tri, contrôle ou obstacle. De la même
manière, nous pouvons faire la moue – comme plusieurs le font en Occident –
parce qu’après que nous avons permis, avec l’aide des Européens, et je dirais
même plus : à notre initiative, que la démocratie « éclose » en
Egypte, le peuple a démocratiquement décidé de se choisir un gouvernement
islamiste fondamentaliste, dont nous nous sommes ensuite naturellement
épouvantés. Nous avons dû nous réjouir que les militaires aient été disposés à
reprendre le pouvoir politique, dans des conditions dont le caractère
démocratique et exempt de dérapages n’était pas particulièrement évident. Et
maintenant, au lieu de soutenir ces forces militaires qui ont enfin pris le
pouvoir, et de les aider à stabiliser la région, nous ne cessons de les
réprimander. Et la Libye : au lieu d’armer les groupes locaux qui
soutiennent le gouvernement et de déclarer qu’ils constitueront la future armée
libyenne, nous préférons formuler des critiques sur la démocratie à l’encontre
des responsables politiques d’un pays animé du seul désir de se sortir de la
guerre civile. Si nous continuons comme cela, nous n’arriverons qu’à
déstabiliser encore davantage une zone qui devrait au contraire assurer notre
protection, qui devrait bâtir notre propre protection, et où la priorité est de
renforcer la stabilité. A défaut, le flot incessant des migrants continuera à
déferler sur nous.
J’ai quelques chiffres qui vous permettront de mesurer
l’ordre de grandeur de ce qui nous attend sur les vingt prochaines années. Je
sais que les chiffres sont ennuyeux, mais je dois en citer quelques-uns parce
que notre expérience de tous les jours ne nous permet pas de voir dans toute
leur crudité les processus qui détermineront notre vie dans vingt ou trente
ans. Il est clair que ce n’est pas parce que l’avenir de leurs enfants ou de
leurs petits-enfants ne les intéresse pas que les Hongrois sont indifférents
aux problèmes démographiques – car ils sont effectivement indifférents à cette
problématique –, mais parce que le déclin démographique ne les touche pas
demain matin dans leur vie et leurs soucis de tous les jours. Ce sont des
phénomènes qui se manifestent dans une autre dimension temporelle que celle où
se déroule leur vie. C’est pourquoi, si nous ne rappelons pas constamment – au
prix des moqueries de nos critiques –, si nous ne rappelons pas constamment à
quelles réalités nous aurons à faire face dans vingt ou trente ans, nous ne
pourrons mettre en œuvre ni politique familiale, ni politique économique, ni
politique de sécurité. C’est pourquoi j’ai ici quelques chiffres qui montrent
quelles évolutions démographiques sont prévues dans la région dont nous parlons
sur les vingt à trente prochaines années : nous devons nous préparer à ce
que la population de l’Egypte passe de 90 à 138 millions d’habitants à
l’horizon 2050, à ce que celle de la Syrie, en dépit de la forte émigration,
s’accroisse de même à un rythme et dans une proportion importante, ainsi que la
population de la Libye, pourtant plongé dans une guerre civile. La population
du Nigéria passera de 186 à 390 millions en 2050, celle de l’Ouganda de 38 à 93
millions, celle de l’Ethiopie de 102 à 228 millions. M. le ministre János
Martonyi avait l’habitude de nous mettre en garde – et il a bien raison – qu’il
faut traiter ces projections sur l’avenir avec prudence, parce qu’il se produit
toujours des événements ultérieurs susceptibles de les détourner. Mais tout de
même, puisqu’il est impossible de prendre en compte des processus ou des
événements futurs susceptibles de détourner nos prévisions actuelles, nous
devons bien nous baser sur ces chiffres et nous préparer à ce qu’ils nous
annoncent, c’est une position de bon sens.
Tout cela montre que la véritable grande pression nous
viendra de l’Afrique. Aujourd’hui, nous parlons encore de la Syrie et de la
Libye, mais en vérité c’est à la pression migratoire venue de derrière la Libye
que nous devons nous préparer, et l’ordre de grandeur de cette pression sera
infiniment plus grand que ce à quoi nous avons eu affaire jusqu’à présent. Cela
nous incite à affûter notre volonté. La protection de la frontière, surtout
lorsqu’il faut ériger une clôture, et y appréhender des hommes et des femmes,
n’est pas quelque chose d’esthétiquement beau. Mais croyez-moi, l’on ne peut
pas protéger une frontière, ni se protéger soi-même, avec des fleurs ou des
animaux en peluche. Il faut regarder la situation en face. Et il est en même
temps très important, à la fois pour nous personnellement et pour l’image que
le monde se fait de nous, d’affirmer solennellement que nous ne sommes pas
dépourvus de cœur, et que nous faisons une différence claire entre le migrant
et la migration. Le migrantest, dans sa personne, la plupart du
temps une victime – réserve faite bien entendu des terroristes – qui a été rendu
victime par des conditions de vie malheureuses, par ses conditions d’existence
difficiles dans son propre pays, par les mauvais gouvernements, par notre
mauvaise politique migratoire qui les a incités à prendre la route, et aussi
par les trafiquants d’êtres humains. Nous le comprenons et le savons
parfaitement. La migration, en revanche, comme je l’ai dit, nous
tue. La migration se manifeste par-dessus la tête des migrants, et c’est
pourquoi, quels que soient nos sentiments de compassion à l’égard des migrants
et de leur nature de victimes, nous avons le devoir de les arrêter à notre
clôture, et d’affirmer clairement que ceux qui pénètrent de manière illégale
doivent être emprisonnés dans le respect des lois en vigueur ou expulsés de
Hongrie. La défense n’a hélas pas, Mesdames et Messieurs, chers amis, de forme
plus amicale. Naturellement, nous devons faire tout cela avec humanité, dans le
respect du droit et de manière transparente, mais avec toute notre
détermination.
Après tout cela et pour résumer, je ne peux que répéter que
l’Europe a perdu son rôle global et qu’elle est devenue un acteur régional.
Elle s’avère incapable de protéger ses propres citoyens, incapable de protéger
ses propres frontières extérieures, incapable de maintenir la cohésion de sa
communauté puisque le Royaume-Uni vient de la quitter. Que faut-il de plus pour
conclure que la direction politique de l’Europe a échoué ? Elle n’a pu
atteindre aucun de ses objectifs, et c’est pourquoi, lorsque nous nous
réunirons en septembre à Bratislava, ce n’est pas de discours lénifiants que
nous aurons besoin, nous devrons nous garder de balayer les problèmes sous le
tapis et de chercher à changer la nature du monde. Nous devrons déclarer
clairement que nous sommes là pour débattre de l’avenir de l’Europe, parce que
la direction actuelle de l’Europe a échoué. Nous devrons déclarer sans ambages
que notre problème ne se trouve pas à La Mecque, mais à Bruxelles. Ce sont les
bureaucrates de Bruxelles qui représentent pour nous les obstacles, pas l’islam.
L’islam, nous pourrions le gérer si on nous laissait le gérer de la manière que
nous estimons appropriée.
J’évoque tout cela devant vous parce que les dirigeants de
l’Europe se réuniront en septembre à Bratislava pour débattre de l’avenir de
notre continent. Les responsables s’y présenteront dans deux états d’esprit
différents. L’élite actuelle va se refermer sur ses certitudes et affirmer que
ce sont les Anglais qui sont responsables de leur sortie, que les dirigeants
européens sont innocents en matière de terrorisme, qu’aucun homme doté d’un
cœur ne peut s’opposer à la pression migratoire venue du sud, et ainsi de
suite. Elle s’efforcera de démontrer que toutes les erreurs commises jusqu’à
présent, même si elles sont des erreurs, ne sont pas des erreurs systémiques.
Face à cela, la réalité est en revanche – et c’est ce que les pays d’Europe
centrale devront défendre – que l’Europe a besoin de changements profonds. La
question est de savoir si nous avons le droit d’en parler. Que se passe-t-il
avec la « vieille » et avec la « nouvelle » Europe ?
Car autrefois, lorsque l’on disait qu’il y a une « vieille Europe »,
et une « nouvelle Europe », nous nous vexions. C’est le président
Chirac qui aimait en parler. Nous répondions que nous sommes une nation
chrétienne millénaire, qu’il faut arrêter de plaisanter et de nous ranger, nous
autres Hongrois, dans je ne sais quelle « nouvelle » Europe. S’il y a
une « vieille » Europe, elle est ici, sans oublier que si nous nous
demandons où situer la capitale de l’Europe, Budapest nous vient à l’esprit
plus fréquemment que Bruxelles. En d’autres termes, lorsque l’on désignait
autrefois par « vieille Europe » les anciens Etats-membres de l’Union
européenne, et nous par le terme de « nouvelle Europe », nous nous
vexions. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr qu’il faille poursuivre la réflexion
sur cette différence en termes de philosophie de l’Histoire. Car aujourd’hui,
l’expression « vieille Europe » désigne une Europe incapable de
changer. La « vieille Europe », ce sont les Etats fondateurs de
l’Union européenne, ce sont ceux qui ont créé la zone euro, et qui sont
aujourd’hui de manière bien visible en stagnation. Et puis il y a une autre
Europe, celle qui a accédé plus tard à l’Union européenne, que l’on appelle
« nouvelle Europe », et qui est en revanche pleine de vie et
d’énergie, ouverte au changement, à la recherche des réponses aux nouveaux
défis et dotée d’une perspective pour notre partie du globe. C’est pourquoi je
pense que la différence entre les deux est peut-être aujourd’hui beaucoup moins
« vexante » pour nous qu’auparavant. La vérité est que si nous
examinons comment la crise économique est devenue crise des élites, et comment
la crise des élites est devenue crise de la démocratie, et que nous cherchons à
déterminer quel a été l’impact géographique de cette constatation, nous verrons
qu’elle se vérifie beaucoup moins, voire pas du tout, en Europe centrale. Il
n’y a pas de crise économique en Pologne, ni en Tchéquie, ni en Slovaquie, ni
en Hongrie – je ne voudrais pas me prononcer sur la Roumanie –, et dans ces
pays les jeunes pensent que le vieux rêve européen est encore
d’actualité : s’ils respectent les lois, s’ils honorent leurs parents,
s’ils écoutent leurs conseils sur l’avenir, et s’ils travaillent avec assiduité,
alors un jeune Polonais, un jeune Tchèque, un jeune Slovaque et un jeune
Hongrois vivront certainement mieux, et iront plus loin que leurs parents.
C’est cela, le rêve européen, et ce rêve est encore valable en Europe centrale,
dans la « nouvelle Europe ». C’est pour cette raison que le cercle
vicieux « crise économique-crise des élites-crise de la démocratie »
ne s’est pas formé en Europe centrale. Si nous considérons le prochain
référendum hongrois du 2 octobre prochain au travers de ce prisme, nous pouvons
affirmer que le seul pays d’Europe où les citoyens peuvent exprimer leur
opinion sur le phénomène migratoire est aujourd’hui la Hongrie. Le seul endroit
d’Europe où l’on écoute aujourd’hui la population se trouve en Europe centrale.
Pour résumer, Mesdames et Messieurs, vous voyez que je suis
bel et bien tombé dans le piège que j’évoquais au début, à savoir que
tant de choses se sont passées – je n’ai même pas parlé du Brexit, ni des
conséquences possibles des élections présidentielles américaines, ni des
relations entre l’Ukraine et la Russie, et je n’ai fait qu’effleurer la
question migratoire, tout comme je n’ai pu qu’effleurer les projets futurs de
la politique économique et sociale hongroise – que j’ai déjà pratiquement
doublé le temps de parole que m’avaient imparti les organisateurs. C’est comme
cela. Nous ne vivons pas en ce moment le temps des grandes synthèses, mais
celui d’une politique marquée par les incessantes corrections exigées par les
événements qui se succèdent sans discontinuer sous nos yeux. C’est pour cela
que mon intervention a été, de ce point de vue, un peu hachée et un peu
décousue, mais c’est ainsi qu’il a été possible de réfléchir le mieux à ce
sentiment diffus qui marque aujourd’hui nos vies et que nous ressentons dans
notre existence d’Européens.
Je voudrais vous remercier pour l’attention et la patience
avec lesquelles vous avez suivi mon propos. En conclusion, je ne peux que vous
dire ceci : croyez bien que tout ce que nous avons mis en route en Hongrie
en 2010 – notre constitution basée sur la reconnaissance de nos racines
chrétiennes, notre politique de réunification de la nation, y compris la
formulation prudente de la recommandation de Lajos Kósa – qui avait dit en 2010
qu’il fallait tout jeter au panier et nous concentrer sur la seule politique
familiale et démographique, parce que c’est d’elle que dépend notre avenir –,
donc y compris la politique familiale, une géopolitique dépourvue de
considérations philosophiques ou idéologiques, la prise en compte des réalités
–, toutes les mesures que nous avons lancées et mises en œuvre en Hongrie
depuis 2010 dans l’intérêt de ses relations intérieures et extérieures, tout
cela a poursuivi un seul et unique objectif, que je pense que les événements
récents ont amplement validé : à savoir que nous voulons – et aujourd’hui
nous ne pouvons guère vouloir plus – que la Hongrie reste un point sûr dans un
monde incertain."
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