Le directeur de l’Institut de haute finance
prédit un krach sur le marché de la dette.
Le
Figaro 9 juillet 2013
Dessertine,
Philippe
La peste ou le choléra, tel est l’inextricable dilemme auquel sont confrontées
les autorités monétaires : ou bien elles se décident enfin à sortir de la
double aberration qui a permis un temps de s’extraire d’une spirale
délétère ; ou bien, sous la pression des politiques, le statu quo est
maintenu pendant une période de deux ou trois ans, dans l’espoir chimérique
d’une relance de la croissance mondiale. Et, dans les deux cas, se profile un
énorme risque de krach sur le marché de la dette, en particulier de la dette
souveraine, et sur celui des actions.
Il faut dire que le monde des affaires, et plus encore celui des
gouvernants, s’est habitué à ces politiques pudiquement qualifiées de
« non conventionnelles » ; elles furent les ultimes cartouches
tirées par les banques centrales quand à la fin de l’année 2011 le système
bancaire mondial était au bord d’une faillite globale. En schématisant, le
procédé hétérodoxe consiste en une injection massive de liquidités, pour
endiguer le déséquilibre généralisé, provenant… d’un excès de dettes ;
l’eau de mer balancée en désespoir de cause, sur le réacteur en fusion de
Fukushima…
Cette surliquidité est alimentée de deux manières : d’abord en
maintenant les taux d’intérêt proches de zéro contre toute logique
financière ; ensuite en faisant racheter par les banques centrales des
masses gigantesques de dettes pourries, dont la seule existence suffit à éroder
la confiance des banquiers envers leurs propres collègues.
Ces mesures d’urgence ont certes fonctionné. Mais en les prolongeant
indéfiniment, elles peuvent alimenter une logique ultradangereuse : celle
d’une déstabilisation intentionnelle du système, à la seule fin de relancer un
très hypothétique cercle vertueux. La politique américaine en est
l’illustration jusqu’à l’outrance : la Federal Reserve imprime
86 milliards de dollars par mois depuis septembre 2012 pour une pauvre
croissance d’à peine 2 % et une réduction poussive du taux de chômage. Ce
résultat trop décevant ne parvient pas à justifier la réalité du prix à
payer : une déstabilisation monétaire à l’échelle mondiale, sapant à long
terme le commerce international, la croissance des pays émergents, et
l’émergence d’un nouveau modèle de développement durable. Comme pour pousser
l’absurde à son comble, le Japon joue le jeu de la surenchère, imprimant une
monnaie artificielle dans des dimensions encore plus fortes.
En outre, le phénomène le plus inquiétant n’a pas été encore évoqué.
Cette folie de la liquidité est en passe de reconstituer les exactes conditions
ayant conduit à la crise géante commencée en 2007 : les énormes fonds de
l’ombre (le fameux shadow banking) constatent l’absence de rentabilité dans les
financements classiques en cette période de taux d’intérêt nuls ou négatifs.
Alors ils inventent de nouveaux produits, spéculent, financent des projets, des
entreprises, des pays, à des conditions insensées, beaucoup trop basses. Un bon
exemple ? La France, où le chômage bat record sur record, où la récession
s’est installée, où la balance commerciale est archinégative, où le déficit
public ne parvient à se réduire, où la compétitivité des entreprises est en
baisse constante, cette triste France, oui, finance sa dette à des conditions
parmi les plus favorables de son histoire. Certes, les optimistes à courte vue
peuvent s’en féliciter ; cela s’appellerait danser sur un cratère.
En réalité, la communauté financière le sent bien, ce système est
intenable. La nervosité devient partout palpable. Quand Ben Bernanke commence à
préparer les marchés au retour à la normale, les indices donnent un avant-goût
d’une panique prête à se déclencher ; - 6,3 % de chute à Tokyo
par exemple en une matinée, sur une simple rumeur ; les taux des dettes
souveraines européennes qui recommencent à bouger, quand s’esquisse juste une
fragilité gouvernementale au Portugal.
Pour tout arranger, la Chine elle-même laisse pour la première fois
apparaître les vulnérabilités qui minent son propre système bancaire,
susceptibles de créer un autre foyer de tension planétaire.
Les banquiers centraux l’ont souligné à de multiples reprises, leurs
actions ne visaient à rien d’autre que de gagner le laps de temps nécessaire
pour mener en Occident de coûteuses réformes structurelles.
Alors, si le sablier est sur le point de se vider, si le volcan entre
de nouveau en éruption, une question mériterait d’être posée à un pays en
particulier, immobiliste, conservateur, incapable d’accepter la grande vague de
réforme : France, qu’as-tu fait de ce répit providentiel qui t’avait été
accordé ?
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