Article publié sur "Le Cercle Les Echos"
LE CERCLE. Ni star de cinéma multimillionnaire, ni richissime homme d’affaires, ni homme politique tricheur, non, juste un tout petit chef d’entreprise, qui, à cause du racket fiscal organisé dans son pays, a décidé de partir vers d’autres horizons moins austères et où l’entreprise est une vertu. Non une maladie…
L’aventure me paraissait exaltante. Après une vingtaine d’années dans une collectivité territoriale où rien ne pouvait m’arriver, je décidais en 2004 de renoncer à mon statut, mes horaires bien réglés, mes tickets restaurants, etc. J’avais à l’époque la certitude que je détenais quelques compétences en ressources humaines. Un cursus universitaire puis de longues années consacrées à la négociation, des responsabilités d’équipe (presque 50 agents sous ma responsabilité) m’avaient convaincu que cette expertise pouvait se décliner d’une autre manière.
Je partais en renonçant à tout et avec le seul soutien de ma famille. Je n’avais plus de chef ni de collaborateurs
et subordonnés. J’avais trois mille euros de réserve pour créer une entreprise ! C’était mon souhait, développer une activité de conseils en ressources humaines, animer des sessions de formation à la négociation sociale, apporter de l’expertise à des directions d’entreprise. J’avais une profonde envie de partir sur des chemins incertains, mais motivants.
Mon business plan tenait en quelques lignes et je fus encouragé à l’époque par une association d’anciens directeurs d’entreprise qui m’apporta outils et méthodes. Je me lançais et grâce à mes efforts, je lançais ma petite entreprise de conseil et formation en ressources humaines. À l’époque, j’étais tenté par le portage salarial, mais je trouvais assez vite que l’addition était salée pour des formalités administratives et comptables assez basiques. Et puis je voulais à tout prix mon indépendance.
Très rapidement en 2006, je créais une EURL et je bouclais mon premier chiffre d’affaires autour de 30 000 €. Sept ans plus tard, j’ai multiplié ce chiffre par 6. Mes semaines font 60 heures et je consacre au moins un week-end sur deux à travailler. Mais j’adore mon métier et rien, jamais, ne me fera regretter quoi que ce soit. Alors oui, je sais profiter de mon travail. Je pars souvent en voyage, j’ai acheté une jolie maison à crédit, j’ai une vie de famille épanouie. Comme dans la publicité, cela c’était avant.
Avant que je comprenne que la France n’aime pas les entrepreneurs qui réussissent. Avant que je saisisse qu’il est toujours plus confortable d’être salarié que de prendre des risques quotidiens pour développer une activité. Le système est pervers. Certes, les dispositifs existent pour entreprendre, mais c’est surtout pour mieux récolter par la suite. Comprendre aussi que notre pays n’aime pas les entreprises, toujours regardées comme des lieux de profits exorbitants. Chef d’entreprise, c’est comme avoir une maladie honteuse. Il est vrai que nos hommes politiques ignorent tout du fonctionnement des entreprises.
Notre président n’a jamais dirigé une société, ni M. Montebourg et ni tous les autres, aujourd’hui comme hier. Nous sommes dirigés par des technocrates englués dans leurs privilèges d’élus alors que la véritable force de notre pays, c’est la richesse créée par les entreprises et leurs salariés. J’aurais dû prendre garde en 2012 quand le premier ministre annonçait à grand coup de médiatisation que la formalité de déclaration d’activité des entreprises dans les tribunaux de commerce était abrogée. Oui, c’est vrai, la déclaration n’est plus nécessaire, mais la taxe, elle, est toujours à payer…
Car j’en arrive à ce constat amer. Il ne faut pas gagner d’argent en France. Ce n’est pas bien. Ce n’est pas moral. Le système pousse à la honte. Et pourtant, il n’y a vraiment rien de très réjouissant. J’ai fait le calcul que sur 100 € gagnés, 55 partent aux racketteurs totalement préhistoriques que sont l’URSSAF, la CIPAV ou le RSI.
En 2012, l’ordre des experts comptables a proposé que l’ensemble des formalités de cotisations sociales soit regroupé et appliqué sur une même année fiscale et non décalée l’année suivante. Refus des fermiers généraux pour la raison que cela aurait conduits à la suppression de centaines de postes. Un système totalement aberrant et archaïque, mais qui perdure dans l’indifférence générale.
Il me reste donc 45 € à intégrer bien entendu dans ma déclaration de revenus. Évidemment, comme j’ai plutôt bien travaillé, je me suis versé des rémunérations et donc je dois payer 35 % d’impôts sur ces 45 €. Il me reste environ 30 euros. Motivant non ? Nos jeunes entrepreneurs le savent ? Nos étudiants qui veulent créer des entreprises perçoivent la perversité du système ? Et nos gouvernants ont-ils une idée de cette réalité ? Des charges sociales totalement démesurées et qui étouffent les entreprises les unes après les autres. Et il y a pire. Les entreprises individuelles, selon une étude de KPMG, sont encore plus taxées. Sur 100 € de facturés, il ne reste que 18 € après le rabotage…
L’État, après s’être attaqué aux grosses entreprises, s’en prend désormais aux artisans, aux TPE, aux PME puisque la banqueroute nationale nous guette. Il faut trouver de l’argent pour payer les intérêts de notre déficit national ou les dépenses somptuaires et totalement inutiles de certaines collectivités territoriales conduites par des barons ignorants des réalités quotidiennes. Et les Français doivent tous payer. Enfin, surtout ceux qui travaillent...
Alors après avoir dressé ce constat, j’ai décidé de quitter la France et d’aller vendre mon expertise ailleurs. Là où les charges sur les entreprises sont limitées à 29 %, là où les entreprises sont considérées comme des leviers de croissance et non comme des vaches à lait, là où diriger une entreprise est une vertu. Je pars, je vends tout, je ne dissimule rien.
J’ai mis la clef sous la porte pour échapper aussi à l’ambiance étouffante de notre pays, un air de plus en plus irrespirable, pollué par les conflits permanents, par l’incompétence répétée des gouvernements qui n’osent jamais prendre des décisions significatives et d’ampleur pour redresser notre économie et qui ne trouvent toujours que la seule solution : taxer, imposer. Et ils tuent le travail, la liberté d’entreprendre.
Je pars et je n’ai pas honte. J’ai payé mes impôts. J’ai créé une entreprise et le système me conduit à la fermer. Je ne suis affilié à aucun syndicat, aucun mouvement professionnel, aucune corporation, aucune loge, aucun lobby. Non, je suis juste un tout petit chef d’entreprise qui décide de quitter la France.
PS J’ai dit au revoir à mon jardinier, un jeune de 23 ans. Il a négocié son départ d’une entreprise de climatisation où le travail était trop dur. Avec son chômage et son travail au noir, il touche 2657 € par mois. Net de taxes…
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