Depuis le 9 novembre, au matin en Europe et le 8 au soir chez l’Oncle Sam, le petit monde des puissants et des bien pensants est à l’agonie. En dépit de leurs efforts conjugués, de leurs objurgations et de leurs prédications apocalyptiques, leur pire cauchemar s’est réalisé : Donald J Trump sera, dans quelques semaines, le 45e Président des États-Unis d’Amérique. Les commentateurs autorisés qui, jusque là, embouchaient allègrement les olifants de leurs renommées autoproclamés pour nous convaincre que l’impossible ne pouvait arriver, rivalisent maintenant d’explications foireuses, pour nous expliquer pourquoi leurs oracles ont été pris en défaut. Tout y passe, du vote de ces bouseux de blancs, en allant vers le machisme des 30 % de latinos qui n’ont pas voulu d’une femme à la Maison-Blanche. Seuls les 13 % de noirs qui ont voté Donald n’ont pas encore eu droit à leur anathème. Cependant, à bien y regarder, il est difficile de masquer le fait que si Donald Trump est aujourd’hui le « President elect », c’est d’abord et avant tout parce que dans une démocratie, c’est le Peuple qui décide.
Tout et surtout, de préférence, n’importe quoi
L’autre tentative de consolation pathétique consiste à dire que la « serial looseuse » démocrate est en fait ultra majoritaire chez les jeunes et qu’à ce titre, Donald vole l’avenir du pays. Cet argument n’a absolument aucun sens. En premier lieu parce que comme la jeunesse a très peu voté, cela tendrait plutôt à démontrer que mémère ne l’a pas enthousiasmé le moins du monde. Deuxièmement cette façon de penser revient à hiérarchiser les électeurs. Certains seraient plus légitimes que d’autre pour donner leur opinion au prétexte qu’ils auraient plus de temps à passer sur terre (fascinant point de vue). Dans cette même veine il nous faut d’urgence : instaurer le suffrage censitaire, interdire aux non instruits de s’exprimer et, à tout prendre, établir un permis de voter.
L’Histoire à la rescousse
Et les mêmes shamans de convoquer les grands esprits de l’histoire universelle, pour nous expliquer face à quel péril nous nous trouvons. Si l’élection (surprise pour la classe parlante) de Ronald Reagan vient tout de suite à l’esprit, le résultat — plutôt très positif — de cette présidence pour l’hégémonie américaine rend le parallèle peu effrayant. Alors leszheureslesplusombres sont vite convoquées à la rescousse. Foreign Affairs oublie toute retenue et fait de Trump un « Caudillo » du 21e siècle. Les médias « mainstream » emboîtent le pas et nous voyons fleurir la mythologie des années 30. Dans notre vieille Europe où la modération a toujours été la règle d’or de la pensée autorisée, on nous refourgue, ad nauseam, l’arrivée d’Hitler au pouvoir et l’on se prend à attendre, avec une gourmandise un peu malsaine, l’incendie du Capitole. Bref, nos intelligences — qui n’ont rien vu venir de la colère du Peuple — continuent à répandre leur morale à longueur d’ondes et de colonnes, en ignorant superbement que c’est, précisément, parce qu’ils ont condamné Trump, au nom de cette morale de caste, qu’il a été élu.
Pourtant, il est un parallèle que personne ne fait et qui semble tout aussi pertinent que les belles figures convenues de rhétorique de la pensée unique : un parallèle avec Rome.
Rome ou la première mondialisation
À l’issue des guerres puniques, Rome se trouve en position hégémonique. Ces conflits ont coûté cher et leur issue a profondément bouleversé le monde romain. D’un peuple de paysans en armes regroupé sur un territoire limité, l’Urbs est devenue une cité monde, dominant ce qui n’est pas encore un empire.
Un peu comme l’Amérique d’aujourd’hui, son nouveau statut d’hyperpuissance, lui procure un grand pouvoir et une immense richesse. Acquise grâce au sacrifice du Peuple soldat, cette position dominante concentre, comme aujourd’hui, des sommes colossales dans un très petit nombre de mains. Par un mécanisme trop long à décrire en quelques lignes, mais parfaitement bien décrypté dans le remarquable ouvrage collectif dirigé par François Hinard et intitulé Histoire Romaine (ed Fayard), la protomondialisation de l’époque a enrichi la nobilitas et appauvrit la paysannerie. Dès lors, la question de la redistribution des richesses, acquises au prix du sang, est devenue prégnante… un peu comme aujourd’hui, même si la guerre fut, à notre époque, plus … froide et essentiellement livrée au prix d’impôts.
La démocratie « Gross malheur »
Contrairement à une idée reçue : Rome n’était pas une dictature militaire sud américaine, pas plus à l’époque de la République finissante qu’après. Si l’armée y a tenu un rôle politique central, c’est surtout parce qu’elle était l’institution de base de l’expression démocratique. C’est parce que l’on était un soldat que l’on pouvait voter et c’est en fonction de son apport à l’effort de guerre que l’on exprimait son vote. De ce fait, la question de l’appauvrissement des masses, au bénéfice de la classe dominante a très vite été centrale et le débat de se focaliser sur les conditions d’acquisition des iPhone de l’époque : la terre.
Dans la seconde moitié du deuxième siècle avant notre ère, deux frères tentèrent à dix ans d’intervalle – et avec le même insuccès – de régler la question. Tibérius Sempronius Gracchus, en -133, et Caius Sempronius Gracchus, en -123, tous deux Tribuns de la Plèbe, passèrent une loi agraire prévoyant une limitation des propriétés latifundiaires et une répartition des parcelles récupérées entre les plus pauvres (je sais, c’est un brin plus compliqué, mais je manque de place pour développer). La Rogatio Sempronia (c’est le nom de cette loi) eut de très profondes et durables répercussions tant sur le monde romain que sur l’Histoire.
Le populisme ne date pas d’hier
L’initiative des deux Tribuns de la Plèbe ne rencontra pas l’adhésion immédiate des possédants, c’est le moins que l’on puisse dire. La nobilitas ne leur pardonna jamais leur « trahison » (ils venaient de ses rangs). Les patriciens de l’époque – que tout concourt à comparer à notre classe dominante mondialisante et moralisatrice – crurent intelligent de régler ce différend idéologique, en envoyant les deux Gracques ad patres. Ce faisant, ils inaugurèrent un cycle de violence politique qui s’acheva, à leurs dépens, par l’instauration du Principat avec Octave qui en devint Auguste.
En effet, le prestige des Gracques auprès du Peuple fut tel, qu’après leur mort, de nombreux aventuriers ou politiciens sincères reprirent vite le flambeau, dans l’optique de prendre le pouvoir (what else ?). La guerre de Cent Ans entre les possédants qui se proclamèrent à cette occasion Optimates (les meilleurs) et les partisans des réformes agraires qui se dénommèrent Populares (traduction indispensable ?) devrait éveiller quelques échos chez nos contemporains.
Que nous réserve l’avenir et de quoi Trump est-il les prémices ?
Le 8 novembre 2016 marque-t-il, pour notre temps, un bouleversement aussi grand que le fût la Rogatio Sempronia pour le monde antique ? Beaucoup dépendra de Donald Trump lui-même. Il ne doit rien aux groupes de pression habituels. Il n’est l’obligé d’aucun grand donateur, ni d’aucun patron de presse. Il est parvenu à ses fins en dépensant moitié moins d’argent que son adversaire démocrate et il a été assez significativement lâché par une part importante de son propre parti durant la campagne. Il a, de ce fait, les mains plus libres qu’aucun de ses prédécesseurs. De ce point de vue, il peut, dans la mesure des moyens d’un Président américain, mettre en œuvre le programme « révolutionnaire » qui a tant séduit l’Amérique oubliée.
D’un autre côté il peut tout aussi bien être rattrapé par le système. Il ne serait pas le premier fort en gueule qui, une fois élu, oublie les engagements qu’il a pris devant ses électeurs. La nomenklatura de la mondialisation veut voir dans ses premières prises de parole consensuelles post électorales, le signe de son ralliement à la pensée unique. Ce serait évidemment dévastateur et pour Trump et pour l’élite américaine. Pour le comprendre, point n’est besoin de remonter jusqu’à l’Antiquité. L’exemple des conséquences d’un tel abandon s’agite encore sous nos yeux ébahis de Français médusés. Si Trump se comporte comme le cousin d’Amérique de Sarkozy, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Le Peuple abusé se radicalisera et portera vers d’autres tribuns, moins modérés, ses espoirs déçus.
Nicolas Sarkozy peut en témoigner, le système ne pardonne jamais à celui qui lui a fait peur. Même s’il fait amende honorable, même si Donald nous propulse son Kouchner au Secrétariat d’État, il restera aux yeux des néo-Optimates, le néo- Gracque qui les a fait vaciller. Il sera donc la cible de leur hargne, jusqu’à sa mort. Tant qu’à y être, il vaut mieux que le 45e Président des États-Unis déroule son programme, plutôt qu’il en rabatte. Les conséquences seraient moins désastreuses pour lui, dans un pays où les armes et les théories du complot circulent à foison. Et puis, il serait amusant, pour une fois, de voir un homme politique faire ce qu’il dit et les Optimates être mouchés.
L’Amérique va changer. Elle va très probablement se recentrer sur elle même. Est-ce si dramatique pour nous ? Le moins que l’on puisse dire de ces 20 dernières années, c’est que le gendarme du monde s’est comporté comme un pyromane forcené. Cela a commencé en Yougoslavie où Clinton mâle nous a gentiment érigé, de toute pièce, un califat islamique dans les Balkans. Les conneries se sont industrialisées avec l’intervention en Irak et en Afghanistan, sous Bush, sans parler des succès considérables remportés contre l’État islamique en Libye et en Syrie par ce bon Barack (bien aidé par la clairvoyance franco-britannique, il est vrai). On peut donc raisonnablement penser que si dans un proche avenir, les Américains interviennent un peu moins, nous ne nous en porterons pas plus mal. Saddam Hussein, Kadhafi et Assad étaient, ou sont encore, d’effroyables dictateurs, c’est un fait. Les droits de l’Homme étaient, ou sont, foulés aux pieds dans leurs pays de cocagne, c’est certain. Ceci étant, leur disparition ou leur affaiblissement ont-ils amélioré, en quoi que ce soit, la condition des Libyens, des Irakiens ou des Syriens ? L’État islamique qui s’est substitué aux ennemis de nos droitdel’hommistes massacre, pille, tue et viole, sur une échelle inconnue du temps des potentats tant décriés. Si l’Amérique change son fusil d’épaule et décide de laisser les mains libres aux Russes en Syrie, personne ne s’en plaindra, sauf les illuminés qui sont persuadés d’avoir rencontré des islamistes modérés — comme d’autres avant eux clamaient qu’ils avaient vu le Dahu. Nous sommes à l’aube d’un jour nouveau. Les Peuples secouent leurs chaines et reprennent leurs destins en mains. La France ne coupera pas à cette (r)évolution populaire. À l’heure où les Anglais entament le Brexit, où l’Amérique se donne un nouveau cap, les sondages (qui ne se trompent jamais) nous annoncent un avenir radieux avec… Alain Juppé. Le pire n’est jamais à craindre, mais toujours à redouter.
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