vendredi 7 juin 2013

Lorsque la démocratie se mue en tyrannie, explique l’économiste Pascal Salin, la résistance devient légitime. Le consentement à l’impôt n'est qu'un mythe.

Propos recueillis par Patrice de Méritens, dans Le Figaro Magazine.


Expliquez-nous ce qu’est exactement le consentement à l’impôt
Pascal Salin - Le principe selon lequel les citoyens sont censés accepter volontairement la taxation est à l’origine même du parlementarisme. Pour limiter le pouvoir absolu du monarque, on a décidé que l’impôt devait être consenti par la représentation nationale ; ainsi la fiscalité a-t-elle joué un rôle historique dans notre système politique. Le paradoxe est qu’on l’a considérée comme trop élevée sous la monarchie alors qu’elle était assurément bien plus faible qu’elle ne l’est actuellement. Depuis, la fiction du consentement à l’impôt est
devenue un tabou qu’on a du mal à mettre en cause – et pourtant il le faut, dès lors que le consentement ne saurait logiquement être compris qu’au niveau individuel. L’impôt est prélevé de manière obligatoire et le consentement est un mythe puisque ce qui est décidé par une majorité est censé être l’expression de la société tout entière.
Or, les vigoureuses réactions suscitées par les excès de fiscalité, ces derniers mois, ont montré le caractère illusoire du principe. La démocratie peut en effet se muer en tyrannie : ainsi, 8 010 foyers fiscaux ont payé en impôts l’an dernier plus de 100% de leur revenu fiscal de référence de l’année 2011 ! 11 960 foyers ont été imposés à plus de 75% et 9 910 à plus de 85%. Cet état de fait a suscité l’ironie du nouveau ministre du Budget alors qu’il était interpellé par des députés de l’opposition : « Ces privilégiés sont aux contribuables ce que les poissons volants sont aux espèces marines : ils ne constituent pas la majorité du genre », propos assez mal venu au regard de ce que l’on peut désormais qualifier d’esclavage fiscal. Un esclave devant donner la plus grande partie de ses forces et de son temps, on ne saurait lui reprocher de n’être pas solidaire de son mauvais maître et de vouloir lui échapper.
Ainsi en est-il de l’exil fiscal auquel de nombreux « esclaves fiscaux » doivent malheureusement se résoudre, et leur décision est légitime. On leur reproche un manque de patriotisme, mais au nom de quel patriotisme faudrait-il accepter la spoliation ? Les processus institutionnels faisant fi de l’élémentaire justice à l’égard des citoyens, tout en portant atteinte à l’économie du pays, l’idée du consentement à l’impôt ne peut qu’être remise en cause. Il est affligeant que la France se retrouve dans une situation où les plus courageux et les plus novateurs n’ont d’autre solution que la fuite. Le véritable manque de patriotisme économique est celui des autorités publiques, qui détruisent les êtres humains et la nation par une fiscalité excessive.
Comment définir l’année que nous venons de passer sur le plan fiscal ?
C’est l’annus horribilis avec pour seul avantage une prise de conscience croissante, mais dont on ne peut à ce jour préjuger des conséquences. On peut faire une comparaison : malgré des signes avant-coureurs, personne n’avait prévu la chute précipitée de l’empire communiste. On savait que le système était voué à l’échec, et soudain la situation s’est cristallisée. En ce qui concerne la France, on observe un malaise généralisé dont le président de la République paye actuellement le prix en termes de popularité, malaise qui a trait aussi bien à la gestion du pays qu’aux réformes sociétales. Le thème spécifique de l’excès de fiscalité est devenu acceptable, alors qu’il eût été difficile de l’aborder avant l’arrivée au pouvoir des socialistes. Même si elle était extrêmement lourde, la fiscalité française était souvent considérée comme juste ; or nous voici à un point de rupture.
Il n’a pas fallu attendre l’élection de François Hollande pour que la France soit l’un des pays du monde où la fiscalité est la plus élevée…
Et pour que l’impôt soit concentré sur peu de personnes, car il est aisé de trouver une majorité pour brimer une minorité ! La justification de la progressivité de l’impôt vient de là : on prétend agir pour la justice fiscale, alors qu’on ne fait qu’aggraver le vice intime du mythe du consentement à l’impôt.
Quelques éléments me frappent particulièrement depuis l’accession au pouvoir de François Hollande. Tout d’abord, la guerre contre ceux que l’on appelle « les riches », lesquels s’étendent désormais aux classes moyennes, avec les conséquences dramatiques d’un exil qui ne concerne plus seulement quelques grosses fortunes, mais une masse de jeunes qui vont construire leur avenir ailleurs. L’exploitation d’une minorité par une majorité au nom de la redistribution est une hypocrisie doublée d’une absurdité. Non seulement elle tue tout espoir d’avenir pour tous ceux qui veulent entreprendre et progresser, mais la majorité censée en profiter n’y gagnera rien à moyen et long terme. On oublie trop souvent que les êtres humains sont interdépendants et qu’on ne saurait spolier certains, sans que finalement l’ensemble de la société n’en subisse les répercussions négatives. Il est dans l’intérêt des salariés qu’il y ait le plus possible de capitalistes innovateurs et entrepreneurs.
Cette évidence, on refuse de la voir pour des raisons idéologiques ; mais il ne faut pas s’étonner que depuis l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, notre taux de croissance ait chuté, tandis qu’en parallèle s’accroissaient les prélèvements obligatoires sur certaines catégories. La droite n’est d’ailleurs pas pour rien dans cette dérive, que le gouvernement actuel a dramatiquement aggravée. Aujourd’hui, ce sont les forces vives de la société qui sont atteintes.
Comment expliquez-vous que la droite ne soit jamais franchement revenue sur l’ISF, tout comme elle n’a jamais abordé de front les 35 heures ? 
La droite française manque malheureusement de conviction et de courage. Nous vivons dans le cercle vicieux d’un pays centralisé où la mauvaise éducation économique de gauche comme de droite est confortée par un pouvoir qui n’ose prendre le contre-pied des idées reçues, issues d’un post-marxisme plus ou moins implicite, obsolète, mais toujours présent, et qui exerce un tel magistère intellectuel qu’aucun politique ne se décide à faire campagne sur des thèmes radicalement différents. On conserve les réflexes archaïques de lutte des classes, où le capitaliste ne serait qu’un exploiteur dont le salarié devrait se protéger. Ces balivernes sont reçues même à droite, laquelle, face à la gauche, en est réduite à ne pratiquer que la litote et la « sous-enchère ». Quand les socialistes avancent une ineptie économique, la droite n’ose pas en prendre le contre-pied et elle opte pour la modération : « Oui, d’accord, mais à condition de ne pas aller trop loin… » C’est ainsi que les 35 heures ont été élevées au rang d’une conquête sociale à laquelle il ne fallait surtout pas directement toucher. De même pour l’ISF, impôt stupide, inefficace en termes de revenus pour l’État, et économiquement contre-productif, dont la suppression radicale aurait été vécue comme une profonde injustice et une atteinte au fameux principe d’égalité. Ainsi avons-nous (pour caricaturer un peu, je vous l’accorde), un socialisme de gauche et un socialisme de droite. Le pire est de songer qu’en privé, nombre de politiques de droite sont lucides sur les mesures à prendre…
On vous sent prêt à appeler à la révolte…
Intellectuellement, oui. Car nous marchons sur la tête et nous sommes victimes d’erreurs destructrices. Ainsi en est-il, par exemple, du dogme selon lequel il serait bénéfique de stimuler la consommation pour relancer la demande, alors que l’épargne serait nocive. Qu’est-ce que l’épargne, pourtant, sinon l’accumulation de capital, moteur du progrès économique et, par conséquent, du pouvoir d’achat des salariés ? Or, le gouvernement ne cesse d’alourdir l’impôt sur le capital sous prétexte d’égaliser la fiscalité du travail et du capital, lequel était déjà surtaxé du temps de François Fillon. On a donc eu droit à l’augmentation du taux de l’ISF, au durcissement des successions, à diverses autres mesures hostiles (par exemple, la suppression des prélèvements libératoires sur les dividendes et les intérêts). Résultat : l’investissement faiblit. Le capital s’en va.
Que faire, dans cette situation ? Certains pays ont connu des mouvements de révolte, ce fut le cas à l’époque de Reagan, on l’a vu également en France dans les années 50 avec Pierre Poujade. Une révolte contre l’esclavage fiscal serait souhaitable, mais sous quelle forme ? Encore faut-il que chacun se sente concerné, car une grande partie de l’impôt demeure cachée. Les gens n’ont pas conscience de le payer, tant il est diffus : la CSG est prélevée à la source, de même que les cotisations sociales, ou indirectement, de manière indolore : TVA, TIPP ou droits de douane. Qu’y a-t-il de visible actuellement dans le système fiscal français ? Essentiellement, l’impôt sur le revenu, l’ISF et les droits de succession, qui représentent une faible partie de l’ensemble des contributions. Les gens passent donc chaque jour à la caisse sans le savoir. C’est l’une des grandes mystifications de l’État – et c’est bien cela qui devrait soulever les populations contre lui : on ne sait pas ce que l’on paye pour ce que l’on a, alors que dans un contrat privé, on sait très bien ce que l’on a pour ce que l’on paye.
L’État maintient l’illusion perpétuelle d’une providence quasi gratuite (sauf pour quelques « privilégiés ») : ainsi, le ménage français, qui n’est pas soumis à l’impôt sur le revenu, a l’illusion que l’État est gratuit ! Les hommes politiques jouant là-dessus, on peut craindre qu’il n’y ait jamais de vraie réforme fiscale, et cela d’autant plus que le système mis en œuvre depuis 2012 par les socialistes est complexe et imprévisible. Ils multiplient les petits impôts spécifiques, augmentent un taux par-ci, créent une exonération par-là, ou bien encore un plafond, si bien que François Hollande – qui se prononçait deux ans avant la présidentielle pour une mise à plat de la fiscalité et une drastique simplification – gère désormais le pays avec une extraordinaire opacité. Plus personne ne s’y retrouve. Cela absorbe l’énergie des gens, en particulier dans les entreprises, pour qui c’est un casse-tête.
L’incertitude est devenue la règle, avec des propositions d’impôts qui ne sont pas toujours retenues, un désordre des plus destructeurs, lequel montre bien le contraste entre les actions de l’État et celles des individus. Les individus dans leur vie privée établissent des contrats qui les engagent et qu’ils respectent, alors que l’État a la possibilité de faire n’importe quoi n’importe quand. De l’aléatoire et de l’arbitraire comme manière de gouverner… La révolte ne pourrait donc survenir que de la part de ceux qui voient l’atteinte qu’ils subissent, ainsi que l’aberration économique dans laquelle le pays est conduit. Mais ceux-là sont considérés comme des privilégiés.
Indignez-vous ! disait l’autre… 
Oui, tout comme, par exemple, les Pigeons qui ont fait front contre la taxation des plus-values de cession, indignez-vous et, surtout, opposez-vous à une fiscalité injuste et destructrice !

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Mis en ligne sur le blog d'Ulrich Génisson

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