vendredi 21 juin 2013

Retraites : sortir du diagnostic partial par l'iFRAP

Le 21 juin 2013 par Philippe François et Thierry Benne


Les milliers de pages des douze rapports du Conseil d’Orientation des Retraites avaient fait le point sur le situation des régimes de retraite et sur les différents leviers d’action. La Commission Moreau devait faire des propositions de réformes pour 1) Rétablir l’équité entre Français, 2) Clarifier le système, 3) Équilibrer les
comptes. Les dix membres de cet organisme d’arbitrage ont des liens directs avec le secteur public. Ont-ils réussi à s’en libérer pour chausser les lunettes de l’intérêt général ?


Rétablir l’équité

Ce point est essentiel et constitue un premier préalable à toute réforme : des sacrifices sont indispensables, mais ils ne seront acceptés que si le système français est équitable. Les déclarations des responsables politiques ne sont pas rassurantes à ce sujet. Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales : Les fonctionnaires ne sont pas des privilégiés. Ils cotisent le même nombre d’années que dans le privé. De même la moyenne des retraites versées dans le public est équivalente à celle du privé. Toutes les données du COR montrent que ce dernier point est faux [1]. François Hollande, Président de la république : La réforme des régimes spéciaux a déjà été faite, confondant “une” réforme de ces régimes avec “la” réforme qui assurerait une égalité de traitement avec le régime général des salariés.
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Nos retraites demain : équilibre financier et justice
Rapport au Premier ministre de la commission Moreau
De façon générale, défendre à la fois que tous les régimes de retraite sont équivalents et s’engager à lutter farouchement contre leur alignement constitue une position incohérente. Heureusement que le bon sens des Français les incite à douter que les six millions de salariés du secteur public puissent depuis vingt ans s’acharner à défendre leurs régimes spéciaux, s’ils n’étaient pas beaucoup plus avantageux que le régime général.
La proposition de la Commission Moreau de calculer le montant de la retraite des fonctionnaires basée sur les salaires des dix dernières années constituerait une avancée spectaculaire. La Fondation iFRAP et les Français la réclamaient depuis longtemps. Jusqu’à présent, les réformes des régimes spéciaux ne faisaient que rattraper avec retard les évolutions du régime général. L’allongement de la durée de cotisation à 40 années par exemple, décidée en 1993 pour le privé n’a été appliqué que dix ans plus tard dans la fonction publique. Les deux systèmes évoluaient en parallèle. Pour la première fois une forme de convergence est envisagée. On est encore loin des 25 années utilisées pour la retraite de base du privé, et encore plus loin des 41,5 années retenues pour les retraites complémentaires obligatoires du privé.
Par contre, la prise en compte des primes perçues alors qu’aucune cotisation n’aurait été ni calculée ni prélevée, est inquiétante. Les retraités qui ont dû, de leur propre initiative, racheter des trimestres de cotisations à la veille de leur départ connaissent le coût très lourd d’une telle opération. Les primes étant en principe variables, il semblerait injuste de prendre en considération celles des 3 ou 10 dernières années. On risque de se retrouver dans la situation de la réforme des retraites de 2010 à la SNCF dont la Cour des comptes affirme qu’elle a coûté encore plus cher à entreprise que le maintien du système antérieur. Il est curieux que dans le secteur public, il faille toujours accorder un nouvel et substantiel avantage en contrepartie d’une réforme, alors que les évolutions nécessaires sont appliquées sans la moindre contrepartie dans le privé.
Le statu quo semble total sur la liste des catégories de fonctionnaires dits “actifs” et leur âge de départ, ainsi que sur les retraites de réversion versées systématiquement dans les fonctions publiques alors que la réversion demeure strictement encadrée par une condition de ressource sévère pour la retraite de base dans le privé. Enfin le fait de ne rien proposer pour les coûteux régimes très spéciaux de la SNCF, EDF/GDF, RATP, Banque de France, Parlementaires etc. apparaît comme insupportable pour les autres salariés et, compte tenu des deniers sondages favorables à l’alignement des différents régimes, comme une sorte de provocation.
Taux de remplacement : la fausse vraie information “En conséquence, le taux de remplacement des fonctionnaires civils (75,2%) est finalement très proche de celui des salariés du secteur privé (74,5%)”.
C’est cette phrase du rapport Moreau qui permet à de nombreux responsables politiques et syndicalistes d’affirmer tranquillement que l’équité entre le régime général et les régimes spéciaux (fonctionnaires, SNCF, RATP, EDF/GDF, Parlementaires, etc.) est un faux problème. Cette utilisation abusive d’un indicateur que même le Conseil d’Orientation des Retraites avait pris soin de moduler, est choquante. Douzième rapport du COR : La simple comparaison des taux de remplacement ne permet pas de juger de l’égalité de traitement entre assurés.
Dans son premier rapport en 2001, le COR avait conclu sans rire que le taux de remplacement du public était inférieur de 7% à celui du privé. L’explication résidait en grande partie dans le nombre de minimum-retraites, beaucoup plus important dans le privé que dans le public. Ses études plus récentes ont pris en compte la complexité du sujet et notamment la question : quel dernier salaire ? Dans le privé, le tiers des personnes partant en retraite ne sont plus en activité au moment de leur départ en retraite : faut-il prendre leur indemnité chômage comme dernier revenu, ou leur dernier salaire vieux de 5 ou 10 ans, réévalué ou pas en fonction de l’inflation ou de la croissance du PIB ? La question est la même pour les personnes travaillant à temps partiel en fin de carrière. Autre problème : dans le secteur privé, le salaire des personnes de plus de 50 ans peut baisser, notamment si elles ont changé d’emploi, alors que dans la fonction publique, le salaire croît continument, au moins comme l’inflation grâce à la Garantie Individuelle de Pouvoir d’Achat. Enfin la question de l’intégration des primes dans le calcul du taux de remplacement. Elles représenteraient 28% des salaires dans la fonction publique d’État et ne sont effectivement pas prises en compte dans le calcul des retraites. Une situation naturelle puisque ni l’État employeur ni les fonctionnaires salariés ne cotisent sur leur montant. Le choix de ces salariés a été de disposer de revenus plus élevés pendant leur activité, et moins élevés à la retraite. Ils peuvent changer d’avis, mais doivent se rendre compte que leurs primes seront très fortement réduites par les prélèvements salarié et employeur, et que cela ne sera applicable qu’à l‘avenir : il est hors de question de verser des retraites sur des revenus qui n’auraient fait l’objet d’aucune cotisation. A moins que les fonctionnaires comme c’est le cas pour les salariés du privé rachètent ces cotisations et se rendent compte du coût que cela représente. Pour mesurer l’équité entre taux de remplacement, ces primes “brutes” en tout cas ne doivent donc pas être ajoutées au salaire de base des fonctionnaires dans les comparaisons public/privé.

Clarifier le système

Le second préalable à toute réforme est de rendre le système compréhensible par tous les Français, actifs et retraités. Cela va bien au-delà de la proposition de “guichet unique” ou d’ “évaluation unique du montant total de sa retraite” qui sont proposés. Le système actuel est trop complexe et génère beaucoup de suspicions entre Français. Il compte 35 régimes différents et une centaine de Caisses ; au cours de leur carrière, les Français cotisent à 5 régimes différents en moyenne. Même dans le cas le plus simple, un salarié qui a fait toute sa carrière dans le secteur privé, est face à un système incompréhensible : sa retraite de base (Sécurité sociale) et sa retraite complémentaire (ARRCO + éventuellement AGIRC) continueront à être basées sur des concepts complètement différents. Vingt-cinq “meilleures” années et taux de 50% d’un côté, points accumulés sur toute la carrière de l’autre. Pour les fonctionnaires, deux entités (Caisse des Dépôt pour les fonctionnaires des collectivités locales et des hôpitaux, État pour les autres) continueront à gérer indépendamment ces populations selon des règles largement identiques. Au contraire un nouveau niveau de complication serait institué pour tenir compte des primes, en plus de la RAFP (Retraite Additionnelle de la Fonction Publique) déjà supposée en tenir compte. Les actifs et leurs employeurs continueront à cotiser à plusieurs caisses, et les retraités à faire valider leurs droits puis à recevoir leurs retraites de 5 caisses en moyenne. Le tout pour un surcoût de gestion de 4 à 6 milliards d’euros pour les régimes de retraite, et sans doute autant pour les employeurs, les salariés et les retraités.
En refusant de montrer au moins la voie vers un système unique de retraites par points, la Commission a sans doute hésité à déranger les intérêts des groupes de pression du secteur public, ceux des salariés des caisses de retraites et des syndicats de salariés et patronaux qui cogèrent les nombreux régimes paritaires.


L’allongement de la durée de cotisation au-delà de ce qui est déjà prévu et la désindexation partielle des retraites produiront des économies, tout comme l’augmentation des cotisations employeurs et les divers prélèvements sur les retraités généreront de nouvelles recettes. Des mesures classiques déjà appliquées par les trois réformes précédentes, même si l’augmentation des prélèvemsnt obligatoires contrevient aux recommandations de Bruxelles. Mais la Commission Moreau ne s’engage pas sur les résultats espérés. Et ces mesures ne sont pas de nature, ni à rééquilibrer les retraites rapidement, ni à mettre en place une mécanique qui adapte automatiquement le système de retraites aux futures évolutions démographiques et économiques comme l’ont fait la Suède ou l’Allemagne.
Les grands classiques
Allongement de la durée de cotisation Pénalise les carrières incomplètes (femmes, adultes entrés sur le marché du travail depuis vingt ans)
Report de l’âge légal de retraite Pénalise les personnes proches de la retraite
Hausse des impôts sur les retraités (CSG, 10% IR, …) Aggrave l’écart de niveau de vie avec les actifs qui se crée au long de la retraite dû à l’indexation des retraites sur la seule inflation
Désindexation partielle des retraites Aggrave l’écart de niveau de vie avec les actifs qui se crée au long de la retraite dû à l’indexation des retraites sur la seule inflation. Porte atteinte à la crédibilté de la parole donnée.
Augmentation des taux de cotisations employeurs Handicape la compétitivité des entrepsies alors que le taux des prélèvements est maximum en France.
Pour les propositions de l’iFRAP, lire : Les 15 clefs de la réforme des retraites 2013.

Conclusion

Vingt années ont été perdues depuis le rapport Rocard de 1990, en réformes partielles qui monopolisent le débat politique, jettent le trouble dans l’esprit des Français sur la solidité de leurs retraites et attisent les conflits entre catégories sociales. Le gouvernement a dit qu’il se réservait de choisir parmi les propositions de la Commission Moreau, et d’en ajouter d’autres si besoin. Espérons que le gouvernement de 2013 voudra marquer l’histoire par une réforme équitable et vraiment durable. Sinon, la réforme suivante ne pouvant même pas attendre 2017, la perte de confiance des Français dans la clairvoyance et le courage de leurs responsables politiques serait dangereuse.

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