vendredi 13 septembre 2013

6 milliards d’économies sur la sécu sans vision globale : quand la logique comptable du gouvernement lui fait brader l'Etat-providence à l'insu de son plein gré Bernard Cazeneuve souhaite réaliser 6 milliards d'euros d'économies dans les dépenses de la Sécurité sociale.


 L'Assurance maladie, la revalorisation des retraites ou encore la politique familiale seraient concernées. Tailler en piècePublié le 13 septembre 2013 RSS 0 3 2 0 21   Le gouvernement n'a aucune vision globale dans la coupe de ses dépenses.  Crédit Flickr Atlantico : Bernard Cazeneuve a annoncé cette semaine sa volonté de réaliser 6 milliards d'euros d'économie dans les dépenses de la Sécurité sociale. En plus de s'en prendre aux coûts de fonctionnement, le gouvernement souhaiterait par exemple limiter les dépenses de l'Assurance maladie, décaler la revalorisation des retraites ou encore moduler les allocations familiales suivant les niveaux de revenus des foyers selon Les Echos. A quelle logique la réduction des dépenses publiques proposée par le gouvernement répond-elle ? Comment les arbitrages sont-ils faits ?

Eric Verhaeghe : Le décalage de la revalorisation des retraites est une opération de cavalerie arbitrée, à ma connaissance, dans le cadre de la réforme des retraites. Elle permet de dégager un peu de cash la première année où elle est pratiquée. En réalité, il s'agit d'une façon déguisée de déconnecter les retraites et l'inflation. Les autres mesures obéissent à la même logique, me semble-t-il : on taille dans les dépenses là où l'on pense qu'il y a peu de ramifications nerveuses - donc cela suscitera moins de grogne dans la population. Il faut comprendre comment ces mesures sont préparées pour estimer l'ampleur des dégâts : la direction du Budget et la direction de la Sécurité sociale proposent au ministre des coupes dans les dépenses. Et le ministre choisit, à la carte, ce qu'il garde et ce qu'il coupe. Au fond, c'est une logique de gastronome en mal d'argent: il faut que le menu final tienne dans le budget. Peu importe les plats que l'on commande. Jean-Charles Simon : Depuis près de 30 ans, les gouvernements se suivent en retenant peu ou prou la même approche : parer au plus pressé lorsque les déficits sociaux sont trop importants. C’est une politique de rustines combinant nouvelles taxes, inventées au fil des besoins, et rabotage des dépenses, sans logique d’ensemble : déremboursements de médicaments, plafonnements d’avantages familiaux, "niches" à supprimer, etc.  Je me souviens du désarroi de parlementaires "gaullistes" votant la création du "forfait social" venant frapper la participation et l’intéressement, un héritage quasi-sacré pour eux… Cette contribution est d’ailleurs extraordinaire : elle a été créée en 2008 au taux de 2 %, augmentée jusqu’à 8 % en 2011 avant d’être portée l’an dernier à 20 % par la nouvelle majorité. Multiplier un taux par 10 en 4 ans sur une assiette auparavant exonérée de contributions des entreprises dans un quasi-consensus, c’est un peu emblématique de la gestion des finances sociales en France : au feu ! Quels risques le gouvernement prend-il à tailler dans les dépenses sociales sans réelle réflexion d'ensemble ? Eric Verhaeghe : Chacun sait que, tant que l'on ne s'attaque pas aux racines du déficit, on remplit un puits sans fonds. Avec cette méthode, très vite, les déficits reviendront, et à la fin il ne restera dans la Sécurité sociale que très peu de viande sur l'os. Les racines du mal sont au moins de deux ordres. Premier point : le système de cotisation sur le travail n'a plus de sens. Même la CGT le dit ! Lorsqu'elle préconise d'élargir l'assiette du financement de la Sécurité sociale au capital. Autrement dit, il faut peu à peu fiscaliser l'essentiel de notre Sécurité sociale. Deuxième point : la gestion du risque par transfert, comme disent les risk managers, est au bout de rouleau. Elle consiste à imposer un tarif unique à tous les assurés, sans se soucier de savoir si leur attitude est vertueuse ou non. Du coup, tout le monde profite comme il peut de l'effet d'aubaine. Par exemple, vous ne pouvez plus aller chez le dentiste sans qu'il commence par réaliser une très coûteuse radio panoramique de votre mâchoire pour voir si vous avez des caries. Il pourrait faire l'examen à la main, ce qui serait gratuit. Mais c'est beaucoup plus rentable pour lui de facturer une radiographie à la Sécurité sociale, et pour vous de faire endosser le coût de la radio à la collectivité. Jean-Charles Simon : Comme les précédents, ce gouvernement doit trouver subtil de procéder par petites touches, en affirmant sa détermination à préserver le modèle social français. Surtout ne pas le repenser ! Le premier risque de cette politique est son caractère anxiogène. Beaucoup de Français observent ces rafistolages, et s’inquiètent pour leurs retraites, leur reste à charge ou le coût de leur mutuelle santé… En même temps, ils doutent que ces efforts – plus de taxes, moins de prestations -  suffisent à sauver ce système. Par ailleurs, il n’y a aucune stratégie sur les dépenses ou les ressources. Avec beaucoup de contradictions : on crée le CICE car le coût du travail est trop élevé, mais on augmente les cotisations retraite ! Enfin, l’efficacité et la cohérence des dispositifs  existants sont affectées par cette succession de mesures disparates, par exemple en matière de prise en charge des soins ou de politique familiale, qui perd peu à peu sa logique de redistribution "horizontale" (entre mêmes catégories de revenus). N'en vient-on pas mesure après mesure à dénaturer, voire brader, sans même le vouloir, l’Etat-providence ? Eric Verhaeghe : Je dirais plutôt que la France expérimente peu à peu les limites d'un Etat-providence mal compris. D'un côté, beaucoup d'assurés vivent avec la conviction que la médecine est effectivement gratuite, que les retraites sont un droit intemporel, et que le trou de la "Sécu" est l'une des formes de la vie sur Mars : tout le monde en parle, certains doutent qu'il existe, personne ne le voit jamais et chacun se dit qu'il mourra avant d'y être confronté. De l'autre côté, l'Etat-providence vit grâce à un respirateur artificiel qui s'appelle la dette sociale, qui le maintient en vie, mais dans un mode fortement dégradé. Il existe une assurance-maladie, mais elle ne rembourse pratiquement pas les soins dentaires, ni les frais d'optique, et de moins en moins de médecins veulent s'y coller. La France a beau se mettre la tête dans le sable, elle vit un naufrage social aussi grave que son naufrage éducatif. Jean-Charles Simon : Pour l’instant, aucun des fondements de l’Etat-providence à la française n’est véritablement remis en cause. Et c’est bien le problème ! Plutôt que de remettre à plat les missions et les objectifs de notre modèle social, les logiques de redistribution, la structure des prélèvements, la complémentarité avec les couvertures privées, il y a un acharnement à nier l’épuisement du système et à privilégier son délitement à petit feu. Au prix de dettes accumulées considérables et de prélèvements obligatoires toujours plus importants. Quand les mécanismes de cotisations sont apparus insuffisants, on a créé la CSG, puis la CRDS, puis des prélèvements additionnels, qui n’ont cessé d’enfler. Mais toujours pas de constat d’échec, ni de refondation en vue. Probablement à cause du totem que représente le programme du Conseil National de la Résistance, et aussi du rôle des partenaires sociaux, qui dépendent du système. Quels Français risquent d'être les plus touchés par cette remise en cause au coup par coup de l'Etat providence ? Eric Verhaeghe : Évidemment, ce sont les plus pauvres qui trinqueront. Une promenade en France suffit : dans les régions les plus pauvres, on y croise déjà pléthore de gens qui n'ont plus de dent - phénomène rarissime à Paris, où la population a globalement un niveau de vie qui lui permet de s'assurer des soins dits de complaisance. Il est frappant de voir que la population française, dans certains endroits, est déjà privée d'accès aux soins nécessaires. Beaucoup imaginent que c'est en préservant l'interprétation contemporaine du système de 1945 que l'on remédiera à cette situation. Je suis pour ma part convaincu du contraire : c'est le fondamentalisme de 1945 qui plonge le système dans la crise. Jean-Charles Simon : En fonction des majorités, certaines catégories sont plus ou moins touchées, clientélisme oblige. La gauche va ainsi davantage préserver ceux qui ont commencé à travailler tôt, mais aussi les fonctions publiques. Tandis qu’elle aura la main lourde sur les familles aisées. Depuis la présidentielle, il y a eu un tir groupé sur les familles nombreuses des classes moyennes et supérieures. Plus globalement, notre système social pèse d’abord sur le travail, avec un écart entre coût du travail pour l’entreprise et salaire net sans équivalent ailleurs. Ce qui nuit à la compétitivité des entreprises, au pouvoir d’achat des salariés et, indirectement, encore plus durement aux "outsiders" du marché du travail, écartés de l’emploi en particulier à cause de cela. En revanche, même si la CSG a changé les choses en frappant tous les revenus, retraités… et même rentiers sont moins pénalisés par la charge d’un système social hypertrophié. Dans ce contexte, n'y a-t-il qu'une refonte totale, avec une vision globale, de l'Etat-providence qui puisse permettre de pérenniser le système tout en le conservant ? Eric Verhaeghe : Je préfère dire qu'il faut adopter une autre technique de gestion du risque, recourant moins au transfert (on paie une cotisation unique et un assureur s'occupe de tout en cas de sinistre) et en développant la réduction du risque. Dans le domaine de l'assurance maladie, ce glissement se traduirait par exemple par des réseaux de soins (ce qui rend furieux les médecins en dépassement d'honoraires qui voient leur manne se tarir) ou par un système plus intelligent pour les soins dentaires ou les lunettes. Dans le domaine des retraites, il faut se poser la question des plus hauts revenus, plus quelques autres questions taboues, notamment autour de l'assurance vie, que les Allemands ont intelligemment réglées il y a près de 15 ans. Jean-Charles Simon : Bien entendu. C’est pour moi sans conteste la mère de toutes les réformes pour la France. Nous avons le record de dépenses sociales publiques, à plus de 32 % du PIB, alors même que notre démographie est moins défavorable que celle d’autres pays - les retraites, qui en dépendent directement, étant avec la maladie l’un des deux gros postes des dépenses sociales. C’est insoutenable dans un pays quand même vieillissant et à la croissance potentielle modeste. Il faut donc sortir d’un système à l’origine assurantiel mais devenu peu à peu universel, qui prétend assurer un haut niveau de protection à tous. Les transferts de charges sur d’autres d’assiettes ou les économies de fonctionnement ne peuvent être à la hauteur du sujet. Il faut moins, beaucoup moins de dépenses sociales publiques. Donc une privatisation partielle de celles-ci. Ce qui est tout à fait faisable en maintenant un filet de protection pour ceux qui en ont le plus besoin.

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