Les faits - Pendant deux ans, le romancier va mettre sa carrière d’écrivain entre parenthèses pour se consacrer au mouvement Bleu Blanc Zèbre pour défendre une société civile adulte et solidaire. Chroniqueur à l’Opinion, Alexandre Jardin se veut un recours face au discrédit total des partis politiques et à la montée des extrêmes. Première pierre de cette révolution solidaire, un livre : «Laissez-nous faire», édition Robert Laffont, 207 pages, 17 €.
Vous sentez-vous investi d’une mission pour «sauver» la France ?
J’ai toujours su que ce moment arriverait. La dernière fois qu’un Jardin, mon grand-père,
s’est occupé de l’exécutif, cela a été assez moche, voire effrayant. L’idée que cette famille politique, prête à trier les êtres humains – c’est bien ça, la préférence nationale – puisse arriver au pouvoir, qu’un parti antifrançais, qui est contre le génie de ce peuple et contre la grandeur de la France, puisse reprendre les manettes m’est physiquement intolérable. Je ne peux rester sans bouger et laisser faire les partis classiques. Le peuple est entré en révolte et ne sait pas comment l’exprimer. Il faut lancer une réforme positive. Les Zèbres sont un mélange de grosse colère et d’enthousiasme.
Que pouvez-vous faire? «Nous sommes la solution», dites-vous…
Quand les Zèbres commenceront, avant 2017, à négocier avec les partis politiques, ils feront tout pour ne pas aller aux élections. Pour la première fois, un mouvement politique se crée avec l’idée de ne pas prendre le pouvoir. Pourvu que la société civile, maires inclus, et les «Faizeux» se voient confier des contrats de missions d’intérêt général. On veut un nouveau pacte entre une société adulte et ses pouvoirs publics. Dans les contrats de mission, nous voulons par exemple nous attaquer aux normes. Un mouvement civil doit imposer des réductions drastiques de normes, par ordonnances. Et qu’on ne me dise pas qu’il s’agit de normes européennes: nous avons les plus cons, les plus technocratiques à Paris !
Lutter contre les normes, vous n’êtes pas seul sur ce créneau…
Oui, mais nous additionnons des bases sociales derrière tous nos programmes : mouvements paysans, associatifs, CGPME, Medef... Et la liste de nos Zèbres n’est pas fermée. La nouveauté, c’est cette logique de puissance. Après s’être structuré pendant un an, il faut passer la sur-multipliée.
Pourquoi être allé voir les Bonnets rouges?
Pour comprendre leur révolte. Des éleveurs m’ont expliqué que les jeunes, lors des derniers conflits, ont eu du mal à ranger leurs armes… Un milieu paysan jeune, qui pense à prendre les armes, n’est pas en forme. En discutant avec eux, j’ai découvert de vrais leaders, capables justement de faire rentrer les armes. Et aussi de vrais entrepreneurs. Pour maîtriser leurs coûts d’exportation, les légumiers ont mis toutes leurs éconocroques pour devenir actionnaires majoritaires de Brittany Ferries. Ils ont aussi investi pour créer une compagnie ferroviaire concurrente de la SNCF.
Leur combat aurait donc été mal interprété ?
L’inscription dans la Constitution du principe de précaution a ouvert une vanne sans fin sur les normes. Au congrès de la FNSEA auquel j’ai assisté, toutes les tables ne discutaient que d’une norme à la con : dans les fermes, les apprentis n’ont pas le droit de monter sur un escabeau de plus de 60 cm. Ca a l’air d’une farce de Fernand Raynaud, mais dans la réalité les agriculteurs sont tétanisés, de peur qu’un gamin tombe, que la famille se retourne contre eux et qu’ils se retrouvent au pénal. S’il n’y avait que cette norme, mais il y en a 92, totalement surréalistes. Pour eux, les normes françaises représentent un impôt administratif qui n’est pas voté par les représentants du peuple. Or ce langage-là, vous le retrouvez chez les paysans, les artisans, à la CGPME, au Medef et dans le monde associatif. Un seul exemple : les responsables des centres Léo Lagrande, pas des grands capitalistes mais des acteurs du tourisme social, vont devoir la mort dans l’âme fermer des sites parce que des fous à Paris ont mis en place un système normatif…
Suivez-vous la méthode du «pacte», utilisée par Nicolas Hulot lors de l’élection présidentielle?
Chapeau pour ce qu’il a fait, mais pas tout. Les différences d’approche sont majeures. D’abord, il était mono-produit. Les Zèbres, eux, traitent l’ensemble des sujets qui affligent notre société. La France a toujours été un Etat, je veux qu’elle devienne une société d’adultes. Notre mouvement ne peut fédérer, ne peut acquérir de la puissance que parce qu’il va l’autodétruire à Noël 2017. La règle du jeu est simple: les Zèbres servent à créer un outil de puissance en face des partis, mais pour un temps déterminé. Notre objectif politique, c’est d’obtenir un accord. Ensuite, Nicolas Hulot disait: «Signez et faites-le». Quand on connaît le fonctionnement des cabinets ministériels, une bande d’épileptiques travaillant essentiellement pour la com’ sans aucun suivi, ces girouettes ne peuvent pas passer à l’acte. Les Zèbres disent : «Signez et laissez-nous faire». Hulot venait avec des revendications, les Zèbres viennent avec des opérateurs. Hulot croyait en la puissance de la loi, les Zèbres croient en la puissance des «faizeux»…
Quelle est l’ultime menace si les politiques vous ignorent?
La publication des 500 signatures. Nous n’aurons aucune difficulté à les obtenir. Parce que notre combat est celui des maires. Pas tous, les bons, les faizeux. Par exemple les maires ruraux. On est profondément républicains. Mais on revient aux sources qui n’ont rien à voir avec les partis parisiens. On est avec les élus du peuple. La République vécue par la population, dans nos territoires.
En France, la société civile a toujours été plutôt étouffée. Et maintenant ?
On engage une vraie révolution culturelle. Ma conviction profonde est que le moment de bascule arrive. D’abord, avec une dette publique de 2000 milliards d’euros, il n’est pas vrai que le système peut perdurer comme avant. Il faudra engager des coupes drastiques. Or peu chère, la révolution solidaire permet de contourner la contrainte financière. Ensuite, la folie normative a atteint un tel degré que la totalité du corps social est désormais sous pression. Enfin, une fenêtre de tir historique s’ouvre avec l’explosion du Front National. Si les partis républicains sont assez fous pour ne pas remettre en cause leur logiciel («Faites-nous confiance, on va le faire à votre place»), nous aurons Marine Le Pen : la dynamique est de son coté.
Les jeunes sont de plus en plus fatalistes. N’arrivez-vous pas trop tard?
La France ne sait se bouger que lorsqu’elle est au bord de risques majeurs. Regardez la France libre ! Il a suffi de 30000 personnes pour embarquer 40 millions de Français. Quand vous incarnez des principes très grands, il suffit d’une masse critique pour faire basculer un peuple. Nous n’avons plus de Gaulle, l’homme providentiel. Il va donc falloir créer un peuple providentiel.
Au fond, n’êtes-vous pas un populiste?
Pas du tout ! Le populisme sent l’aigreur, est perclus de mauvais sentiments. Or les Zèbres sont tout sauf aigres : ils sont joyeux parce qu’ils passent à l’acte. Et puis dans le populisme, il y a l’idée que l’on rase gratis. Or nous ne promettons rien, nous le faisons tous déjà. Nous sortons la politique du marché de la promesse puisque tous les Zèbres le font déjà. Les politiques nous feront sûrement ce procès. On leur déclare la guerre avec une proposition d’armistice, on leur laisse volontiers leurs ministères, s’ils nous laissent faire.
Pourquoi attendez-vous 2017 pour proposer vos contrats de mission ?
Dans les deux ans à venir, nous allons multiplier les implantations locales. Et puis il n’est pas certain que François Hollande soit prêt à faire un pacte sans être soumis à une contrainte maximale. Croyez-vous que demain il soit prêt à engager des négociations sur le système normatif ? Jamais ! Thierry Mandon qui doit simplifier tout cela se bat à mains nus et est totalement désespéré. Le président de la République a fait une copie des Zèbres avec la «France s’engage», mais le budget est ridicule. Nous, nous dirons aux partis, si vous devez couper 60 ou 100 milliards de dépenses publiques, nous vous en demandons 2 milliards. Renvoyez-les à la France solidaire. Avec très peu, nous allons faire beaucoup. L’équipe de Hollande croit encore à la logique du juridique, ils se tournent vers la société civile avec des touts petits montants.
Que ferez-vous si tout cela se solde par un échec ?
Ce n’est pas une option car il n’y a pas de pays de rechange. Le taux de croissance français ne veut rien dire, car l’Ile-de-France fait toujours un point de croissance de plus que le reste du pays. Depuis plusieurs années, le pays qui vote est en décroissance et en récession. Les gens ont faim et sont fous furieux devant la marée normative qui sera sans fin si la société civile n’y met pas le holà. Si les gens vivant en France ne sont pas capables de se lever, nous sommes partis vers la grande descente révolutionnaire. Le grand réglage de 1958 ne s’explique que par le crédit moral acquis pendant la guerre avec la France Libre. Mais Charles de Gaulle sans les 30000 Français libres, n’est jamais qu’un Monsieur devant un micro. C’est une chance inouïe de ne pas avoir d’homme providentiel, cela oblige à la responsabilisation. Nous allons faire une vraie révolution française, très joyeuse et euphorisante, et il n’y pas grand chose pour arrêter un mouvement joyeux. On va gagner.