lundi 13 avril 2015

L’autonomie et la concurrence ont « boosté » l’école britannique

par Emma Toogood, 

Présenté en Conseil des ministres le 11 mars dernier, le projet de réforme du collège unique risque de devenir un nouvel échec de transformation de notre système éducatif. Pourtant, l’exemple britannique de réforme du secondaire commencée sous Tony Blair, avec une vraie autonomie accordée aux écoles, pourrait inspirer notre gouvernement. D’autant plus que ce sont les enfants des familles défavorisées qui en ont profité.
• Les « académies » britanniques ou des écoles autonomes et mises en concurrence
• Les résultats des élèves dans ces écoles sont meilleurs que ceux des élèves du public
• Un exemple de réforme que le système éducatif français devrait suivre

Le système des « académies »

Au sein du système éducatif anglais, qui est complexe, il existe une grande variété d’écoles ; on décompte des écoles publiques, des écoles dites « grammar », des écoles indépendantes et d’autres encore. L’ancien système contribuait à accroitre les inégalités sociales du fait de la faible qualité des écoles publiques. L’Etat voulait l’améliorer pour que les écoles deviennent une alternative, véritable et gratuite, à l’enseignement privé dans lequel la qualité d’enseignement était meilleure. En conséquence, on a créé les académies. C’est dans cette perspective que Tony Blair a permis l’éclosion de nouvelles écoles, les académies, dont le développement a été favorisé par Michael Gove depuis l’arrivée au pouvoir de David Cameron.
En gros, les académies représentent des écoles indépendantes, bien que subventionnées par le gouvernement. Elles s’inspirent des « charter schools » des Etats-Unis. Elles possèdent les mêmes règles que les écoles publiques pour les admissions, mais elles ne sont pas obligées de suivre le curriculum national. Elles peuvent décider du montant des rémunérations des enseignants, comme de leurs conditions de travail. Elles reçoivent un financement direct du gouvernement et ne dépendent pas du gouvernement local (lui-même anciennement responsable des écoles).
Il existe trois types d’académies :
1. une académie "convertie" : c’est une école publique ayant choisi volontairement de devenir une académie. Elle doit répondre à certaines exigences pour se transformer, sans sponsor. Par exemple, le gouvernement examinera les résultats des examens et les rapports d’inspection pour vérifier si l’école possède le niveau nécessaire à son indépendance.
2. une académie de sponsor, les académies de sponsor s’inscrivent dans la stratégie d’intervention pour les plus mauvaises écoles du pays. Ces écoles peuvent chercher un sponsor approuvé par le gouvernement, qui est ainsi en charge d’améliorer le niveau de l’école. Un sponsor peut être une organisation caritative, une entreprise, une université, ou - une autre école. Le sponsor ne donne pas d’argent à l’école, mais il la suit de près avec le directeur et lui délivre tous conseils utiles.
3. une « free school » : c’est une nouvelle école fondée par une personne ou un groupe de personnes (groupe de parents, université, ou organisation caritative).
Dans les deux premiers types d’académie, il s’agit à l’origine d’écoles publiques, dans le dernier cas, il s’agit d’une création ex nihilo. L’important est que dans tous les cas ces écoles ne dépendent plus du gouvernement.
En fait, on a voulu débarrasser le système scolaire d’une bureaucratie superflue, tout en rendant leur autonomie aux professeurs. Le gouvernement s’est rendu compte, en effet, que la centralisation importante de l’ancien système réduisait la qualité de l’enseignement. Ce dont les écoles avaient besoin n’était pas de l’argent mais d’un changement de stratégie de gestion. Au bout du compte, l’éducation pour tous, si elle n’est pas de haute qualité, se révèle négative et non positive.

Les résultats sont très encourageants

Les académies représentent davantage qu’un petit projet éducatif. En septembre 2014, on comptait en Angleterre plus de quatre mille académies[1], alors qu’avant l’élection de Michael Gove, en 2010, il y n’en existait que deux cents. En 2013, presque 30% de la population scolaire se trouvait dans une académie, dont 54% de collégiens[2]. On ne peut nier que le nouveau système, dont la transformation a été voulue, est populaire.
Mais la question importante reste de savoir si cette politique a amélioré la qualité d’éducation. L’Ofsted, c’est à dire l’organisation responsable des inspections scolaires, a estimé que 87% des académies "converties" étaient bonnes ou exceptionnelles, contre 79% des écoles publiques[3]. La seule différence entre une école publique et une académie se remarque dans la gestion et il semble bien que ces académies soient les meilleures.

Peut-on proposer ce système à la France ?

Le système d’éducation français a un besoin pressant de réformes. Selon les résultats de l’étude de PISA 2012[4], la France se situe dans la moyenne, ou même au-dessous de la moyenne, pour chaque catégorie (mathématiques, sciences et écrit), ce qui n’est pas terrible ! Mais sans se limiter à ces seuls qualificatifs, et en examinant les résultats plus à fond, on trouve des signes inquiétants.
Le rapport PISA sur l’éducation scolaire française attire l’attention sur deux chiffres marquants. Le premier est que, par rapport aux résultats de 2003, il y a à peu près le même nombre d’élèves très performants en France en 2012, mais davantage d’élèves en difficulté ; « ce qui sous-entend que le système s’est dégradé ». Le deuxième chiffre montre que la France a connu l’augmentation la plus marquée de tous les pays de l’OCDE de l’indice PISA du statut économique, social et culturel, qui mesure l’inégalité sociale dans le système éducatif. « En France, lorsque l’on appartient à un milieu défavorisé, on a clairement aujourd’hui [2012] moins de chances de réussir qu’en 2003 ». De plus, "en les comparant à la moyenne des pays de l’OCDE, les élèves issus d’un milieu socio-économique défavorisé n’obtiennent pas seulement des résultats nettement inférieurs, ils sont aussi moins impliqués, moins attachés à leur école, moins persévérants, et beaucoup plus angoissés".
On ne peut attribuer ces phénomènes à un manque de moyens. La France -dépense un peu plus que le Royaume-Uni chaque année (tous deux autour de 6% du PIB[5]). Mais il est clairement établi par PISA qu’il ne s’agit pas toujours de questions d’argent. Cette étude donne l’exemple de la Corée du Sud, qui a obtenu en 2012 les meilleurs résultats pour les mathématiques, alors qu’elle dépense pour l’enseignement beaucoup moins que la moyenne des pays étudiés. On ne peut blâmer dans le cas de la France ni un manque d’enseignants, ni l’excès d’étudiants. On compte environ 705.000 enseignants[6] en France, ce qui se compare avec les 438.000[7] enseignants que compte l’Angleterre. Il est vrai que l’Angleterre a moins d’écoles et d’élèves que la France, mais le nombre d’élèves par enseignant en France est considérablement plus réduit qu’en Angleterre.
Donc comment se pose le problème français ? La Cour des Comptes a publié une étude[8]intéressante au sujet de l’enseignement, en 2013. Elle parle en particulier du métier de professeur, mais l’analyse pourrait s’étendre à toute l’éducation en général-. Elle a constaté que c’est "l’utilisation des moyens existants qui pose problème » et - que « des évolutions structurelles - sont nécessaires ».
Le manque d’autonomie et le défaut de concurrence dans le système scolaire français représentent les deux problèmes principaux de l’enseignement en France, les deux mêmes que l’Angleterre a voulu combattre avec l’introduction des Académies.
L’autonomie
La France est le deuxième pays le plus mauvais dans le classement des pays de PISA pour la participation des professeurs à la gestion de l’école ; le seul système qui soit plus mauvais est celui de Shanghai en Chine. La France arrive bien loin derrière des pays comme la Tunisie ou la Russie, alors que le Royaume-Uni se place en douzième position sur un total de 65 pays. La France est légèrement meilleure pour ce qui concerne l’autonomie des professeurs dans le programme scolaire et l’évaluation des élèves, mais reste encore bien en-dessous de la moyenne ; tandis que le Royaume Uni se trouve en cinquième position.
Ces chiffres démontrent, ce qui est déjà connu, que le système français est l’un des plus étatisés de l’OCDE. Mais quel effet cette étatisation a-t-elle sur la qualité d’enseignement ? Utilisant les données de PISA, ce graphique montre le rapport entre les résultats scolaires et l’autonomie :

Le rapport entre l’autonomie d’une école (leur responsabilité pour le programme et l’évaluation) et leur résultat mathématique pour les pays OCDE

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Source PISA 2012

Il montre une corrélation claire entre des résultats élevés et un haut niveau d’autonomie. Pour mesurer l’autonomie d’une école, PISA se pose la question de savoir comment les professeurs, ou l’autorité scolaire, peuvent choisir les livres scolaires, et en quoi consiste le programme scolaire, enfin comment évaluer les élèves.
Dans une académie anglaise, les écoles restent libres de décider du programme scolaire, du salaire des professeurs et même des dates des trimestres. La seule contrainte pour ces académies réside dans le fait qu’elles respectent des règles d’admission des élèves permettant à tous d’accéder à ce type d’éducation.
Ce qui frappe le plus est de constater comment les écoles les plus défectueuses peuvent s’améliorer grâce à une plus grande autonomie. Ceux qui prônent l’étatisation de l’enseignement affirment que ce sont ces écoles qui ont le plus grand besoin de la supervision de l’Etat. Mais les chiffres anglais démontrent autre chose. Avant la réforme, les académies sponsorisées constituaient les quelques écoles les plus mauvaises d’Angleterre, mais en mars 2013, Ofsted a estimé que 53% de ces académies étaient bonnes, voire exceptionnellement bonnes.
Le rôle d’un sponsor, d’après le Département de l’Education, consiste à "apporter la meilleure expérience du secteur privé et une gestion novatrice au secteur éducatif ». Le sponsor en effet, sert à développer au sein de l’école une approche personnalisée, hors du contrôle de l’Etat. Si la difficulté vient, par exemple, de la qualité des professeurs et de leur enseignement, on peut faire varier le salaire des professeurs en fonction des résultats de ses élèves, comme l’ont fait 79% des académies anglaises[9]. La Cour des comptes va en France dans le sens de ce renforcement de l’autonomie dans ses recommandations : « il faut renverser la logique, issue de la massification de l’enseignement et de la pression à l’égalitarisme, selon laquelle tous les enseignants sont interchangeables et tous les élèves ont les mêmes besoins ».
En France, 14,4% d’élèves[10] relèvent de l’éducation prioritaire, témoignant de leurs insuffisances. Le gouvernement actuel a reconnu le problème réel de l’enseignement français : celui de l’inégalité. Il a annoncé l’année dernière qu’il visait à "ramener à moins de 10% les écarts de réussite scolaire entre les élèves de l’éducation prioritaire et les autres élèves de France" ... Mais la série de mesures, annoncées récemment, que le gouvernement va mettre en œuvre à la rentrée 2015, se résume à davantage de règles et plus de moyens ! On pourrait penser que plus de moyens représente une idée positive ; mais des moyens accrus peuvent signifier également une augmentation du gaspillage de l’argent public, si la qualité de l’enseignement ne s’est pas améliorée.
Le gouvernement français lui-même admet des défauts dans le système, en s’exprimant ainsi sur le site web du Ministère de l’Education "la carte de l’éducation prioritaire n’a pas cessé de s’étendre depuis la création des ZEP en 1981" et "malgré les efforts des personnels, les mesures mises en œuvre n’ont pas permis d’obtenir les résultats attendus". Cela explique pourquoi le système d’éducation prioritaire change constamment. Plus de dialogue serait peut-être productif : 87% des professeurs des écoles jugent "insatisfaisante" leur relation avec la Rue de la Grenelle[11] ! Pourtant, ce sont les professeurs qui connaissent le mieux les besoins de l’enseignement, pas les fonctionnaires du gouvernement. Ne faut-il pas leur confier plus d’autonomie dans la gestion des écoles ?

La concurrence et le choix scolaire

La carte scolaire française ressemble plus ou moins au système qui a cours en Angleterre. On garantit une école près du domicile, mais les gouvernements locaux assignent les places selon la disponibilité de celle-ci. Dans la mesure où il est difficile de changer l’école désignée, il existe donc à l’évidence un défaut de choix.
Le nouveau système anglais offre une solution, avec ce que l’on nomme les "free schools". Tous les types de groupes, soit les parents, soit des professeurs, ou encore une organisation religieuse peuvent faire une demande d’établissement d’une nouvelle "free school".
Ce qui veut dire que de nouvelles écoles peuvent venir faire concurrence aux écoles assignées aux parents et offrir un choix à ceux-ci pour leurs enfants. L’origine de ce concept est économique. Le gouvernement raisonne sur le fait que si une personne quelle qu’elle soit, ou presque, peut demander la création d’une nouvelle école, les écoles existantes chercheront à adapter leur offre pour résister à la pression de la compétition. A long terme, la qualité générale de l’enseignement devrait s’accroitre.
Cette philosophie a-t-elle réussie à l’Angleterre avec ses "free schools" ? Nous n’avons pas le recul nécessaire pour le dire. Cependant il existe quelques signes positifs. Selon une enquête (11 décembre, 2013) réalisée par le National Audit Office (NAO) environ 70 % des « free schools » ont été établies dans les quartiers où il y avait un besoin criant de places scolaires. L’enquête continue en affirmant qu’il est trop tôt pour juger de la qualité de ces écoles, mais les inspections jusqu’à présent donnent des résultats qui paraissent prometteurs : on juge que 70% de ces "free schools" sont bonnes ou exceptionnelles.
Qui plus est, le NAO a évalué la méthode destinée à choisir les demandes de fondation d’une "free school" pour prévoir sa réussite éventuelle. On a constaté que la priorité avait été donnée à la qualité de l’enseignement et à sa pérennité plutôt qu’à son coût.

Conclusion : un exemple pour la France

Le système anglais n’est pas parfait, mais il est prometteur avec ses nouvelles réformes et l’expansion de ses académies. Certes, le gouvernement français se réforme..., mais dans l’autre sens. Il a des moyens et l’intention d’améliorer le système, mais il manque d’idées. Le système éducatif français souffre de son étatisation : le Mammouth est inefficace.
Il suffirait que la Rue de la Grenelle lise attentivement les études de PISA, et y constate le bien-fondé des réformes d’Outre-Manche, qui concluent que l’étatisation empêche toute modernisation, tandis que l’autonomie et l’indépendance peuvent conduire au succès.
La France a déjà des écoles dites « écoles libres » qui jouent le même rôle d’aiguillon que les académies anglaises. Mais le système français a bridé les effectifs des écoles libres qui ne peuvent pas augmenter leur quota d’élèves ni disposer de plus de professeurs sauf cas particuliers. En libérant les ouvertures de classes des écoles libres en fonction de la demande, se créerait un vrai marché qui pourrait faire réagir l’enseignement public, surtout si plus de liberté de gestion était accordée à celui-ci.
Il serait même encore mieux de permettre la création d’écoles entièrement privées en autorisant les parents qui le souhaitent à bénéficier pour leurs enfants d’un bon scolaire représentant un montant équivalent au cout moyen d’un élève de chaque classe concernée, que les parents pourraient remettre à l’école privée de leur choix. Il y aurait alors une vraie et salutaire concurrence au bénéfice des enfants.
Emma Toogood et Nicolas Lecaussin

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