Entre assainissement des comptes
publics et objectif de croissance, Pierre Moscovici a déclaré qu'en
Europe, "l'austérité c'est fini, le sérieux ça continue". Mais gare à la
confusion des termes et aux effets d'annonce si nous voulons vraiment
adopter une politique économique efficace.
Il ne faut pas jeter le bébé rigueur avec l’eau du bain de l’austérité. Crédit Reuters
Atlantico : Pierre Moscovici a déclaré qu'en Europe, "l'austérité c'est fini, le sérieux ça continue" dans l'émission Le Grand Rendez-vous Europe 1/i-Télé/Le Parisien. Quelle est la différence entre une politique de rigueur et une politique d'austérité ?
Mathieu Mucherie : Je
ne suis pas expert en Novlangue gouvernementale. Je ne sais pas bien ce
qu’est le « sérieux budgétaire »,
en tous les cas je ne le sais pas
d’expérience car je suis Français et j’ai 36 ans. Pour mémoire, lorsque
Giscard nous dit « au revoir », la dette publique est de 20 points de
PIB, et avec un hors-bilan très faible. Pour mémoire, les
programme budgétaires officiels français transmis à Bruxelles sont et
ont toujours été des monuments absurdes, des concours de mensonges
déconcertants pas même crédibles pour les (nombreux) Pangloss de la
politique budgétaire : regardez l’historique, il est consternant, à droite comme à gauche de l’échiquier politique, il n’y a aucun respect :
Le sérieux n’a donc pas commencé. C’est certes un peu gênant, tous
nos partenaires (qui trichent aussi dans leurs prévisions de
croissance, mais un peu moins) se moquent de nous (au mieux) se méfient
de nous (au pire). Mais ce n’est pas un drame. Bruxelles n’est
plus qu’une passoire (le vrai pouvoir est à la BCE, pas à la Commission
européenne), et les marchés financiers se moquent des questions
budgétaires car ils savent très bien que seule la politique monétaire
compte (les obligations françaises à 10 ans rodent autour de 1,8%, en
baisse continue depuis 30 ans). Ce n’est pas un drame de ne pas être
sérieux car un Etat endetté dans sa propre monnaie a toujours 20 ans, et
puis le sérieux budgétaire en pleine phase de crise (surtout quand on
n’est pas habitué) ce n’est pas très sérieux, à l’aube de la déflation
et du grand cataclysme immobilier français ce serait procyclique, comme
Bale III, comme la BCE, comme un discours de Denis Kessler.
Les
mots rigueur, austérité, sérieux, ne veulent économiquement rien dire,
c’est du charabia de consultants en communication, de la bouillie de
polycopiés de sciences-po. Si nous pouvions simplement prendre
l’habitude de faire un peu moins de bêtises (je ne parle pas de faire
quelques gains de productivité dans les services publics, cela semble
impossible !!), et dire un peu moins de mensonges, ce serait déjà une
innovation radicale dans ce pays. Plusieurs usines à gaz fiscales et de
nombreux ponts de la rivière Kwaï budgétaires pouvaient être évités (les
35 heures à gauche, le Grenelle de l’environnement à droite… et les
aides au logement un peu partout). Pour cela, il faudrait changer des
choses au niveau des institutions (plus de contre-pouvoirs), au niveau
des hommes (moins d’élus, on en a autant que les américains qui sont 310
millions : on ne fera pas un "choc de simplification" ), au niveau du
management (offrir un exemplaire des livres de Christian Morel à chaque
service administratif ?). En visant prioritairement la Sécu et les
collectivités locales, car c’est là (bien plus que dans l’Etat central)
que résident désormais les gaspillages les plus affreux. A condition de
faire tout ça proprement, sans faire gonfler discrètement le hors-bilan
des autorités françaises, qui est déjà considérable et qui mine toute
opération vérité sur les comptes publics. Et à condition surtout, de ne
pas oublier que ces tentatives de « sérieux » budgétaire sont vaines tant que la terreur monétaire règnera en Europe.
Guy Martin : Le mot Rigueur n’est pas employé par Pierre Moscovici dans son intervention au Grand Rendez-vous, pas une fois en 47 min d’interview. Ce mot est pourtant omniprésent. C’est un marqueur qui renvoie directement au « tournant de la rigueur » de 1983.
François Mitterrand abandonna alors le programme commun qui l’avait
fait élire au profit du maintien du Franc dans le système de change
européen (SME).
Cet héritage est un spectre pour la gauche, un échec idéologique dont le deuil n’a toujours pas été fait. Comme en 1982 François Hollande doit arbitrer entre sa politique sociale et l’Europe. Mitterrand choisît l’Europe. Jean-Marc Ayrault, en annonçant une vague de privatisations est en train de prendre la même voie.
Notons qu’en 1982, la rigueur
s’est imposée à l’Etat lorsque les taux d’emprunt passèrent les 16%
annihilant tous les bénéfices des dévaluations de 1981 et 1982.
Aujourd’hui les taux d’emprunts de la France sont en dessous des 2%,
maintenus artificiellement bas par la politique de la BCE. Dans un sens
cela nous laisse une marge pour reformer, dans un autre cela ne nous y
incite pas et nos comptes continuent de se dégrader en 2013. Malgré l’engagement –revu à la baisse- de ramener le déficit de 4,8% à 3,7% de PIB, la partie est encore mal engagée.
Quant à l’austérité, c’est un chiffon agité pour faire accepter la rigueur. Austérité vient du latin austeritas. Le terme est utilisé par Pline l’ancien pour désigner un raisin à la « saveur âpre ». L’austérité
est d’abord le gout amer qu’elle laisse dans la bouche. Bien sûr on
peut toujours vouloir faire passer la rigueur pour douce et sucrée… Non vraiment il n’y a pas de différence politique entre rigueur et austérité. C’est de la rhétorique.
La France doit-elle jeter le bébé “rigueur” avec cette eau du bain nommée “austérité” afin de se focaliser en priorité sur la croissance "à tout prix" ou doit-elle tout de même se fixer un objectif d'assainissement des comptes publics ? Quid pour l'Europe ?
Mathieu Mucherie : Ce n’est pas « la croissance à tout prix ». En instantané, c’est la récession, nous sommes en dessous de zéro (pour la zone euro : - 0,6% en 2012, autour de - 0,8% en 2013). Pour 2014, ce sera encore pire à policy-mix constant. L’assouplissement dans la correction budgétaire est déjà en route, mais change assez peu de choses dans une crise qui est monétaire. C’est l’assouplissement monétaire dont nous avons besoin pour repasser au dessus de la ligne de flottaison, et écarter la spirale déflationniste. Ce n’est pas du laxisme. Le laxisme, c’est quand on a 3% de croissance et que l’on réclame des politiques publiques accommodantes pour viser les 4%, à un moment où les actions cartonnent et où l’immobilier fait du 12%/an. Nous ne sommes pas dans cette situation. Seule la croissance est prioritaire quand on est en récession, notamment car c’est la seule façon de ne pas compromettre l’assainissement des comptes publics. Mais le retour de la croissance sans une dévaluation comparable à celles de Jacques Rueff (1928 sous Poincaré, 1959 avec De Gaulle) ou comparable à la Suède de 1994, ou à la Corée du Sud de 1998, franchement, je n’y crois pas.
Guy Martin : Pierre Moscovici le rappelle lui-même, la France ne fait pas d’austérité. C’est l’Europe qui la fait mais pas avec la France dont elle a trop peur de la faillite.
Et encore, prenons le cas de la Grèce, épicentre des ravages de l’austérité
européenne depuis 3 ans. Les données d’ELSTAT -l’organisme de
statistiques grec- laissent perplexes. Depuis 2008, la Grèce a perdu
près de 20% de PIB. Dans la même période, les dépenses sociales n’ont
régressé que de 3% en valeur pour atteindre 22,9% du PIB en 2012, soit
un taux jamais égalé depuis l’entrée de la Grèce dans l’Euro. Ainsi les
dépenses sociales ont été maintenues. En revanche pour tenter
d’équilibrer ses comptes, la Grèce a tranché dans ses investissements et
ses dépenses militaires. Est-ce là l’austérité ? Comment juger une
politique qui n’a pas été mise en œuvre ? Ce n’est pas l’austérité qui ne marche pas… c’est la relance par la consommation.
La
situation française est comparable. Le budget de l’armée est massacré
et l’investissement public en baisse depuis 2010, c’est-à-dire que les
300 milliards d'euros d’augmentation de la dette publique depuis 3 ans
ont servi aux dépenses de fonctionnement et de redistribution.
Notre problème n’est pas l’objectif de 3% de déficit, aussi arbitraire soit-il, ce sont les moyens.
La politique de consommation, ce fameux pouvoir d’achat qui a séduit la
France en 2008, a échoué. Peut-être faudrait-il se mettre réellement à
la rigueur :
- couper les dépenses publiques et non pas les geler en apparence
-
travailler plus, non pas pour gagner plus ou pour notre consommation
personnelle mais pour l’avenir de notre pays et pour nos enfants,
c’est-à-dire investir.
Le très
confidentiel rapport Charpin remis à Jean-Marc Ayrault à l’été 2012
chiffre à 20 milliards d'euros par an les économies possibles uniquement
en améliorant l’efficacité de l’Etat. L’iFrap en a trouvé pour
60 milliards d'euros tous les ans. Pendant ce temps-là, Jean-Marc
Ayrault ne demande que 5 milliards d'euros d’économies à ses
ministres.
Si une politique de rigueur est adoptée, quels leviers est-il alors possible d'actionner pour s'assurer un retour à la croissance en France ? Outre la France, tous les pays européens peuvent-ils actionner ces leviers ?
Mathieu Mucherie : C’est une crise monétaire : il y aura détente monétaire, ou tout explosera. Les réformes structurelles relèvent de la diversion linguistique, un attrape-gogos, jadis dénoncé par Milton Friedman au chapitre des tentatives de fragmentation des responsabilités mobilisées par les banquiers centraux trop indépendants dans les phases de crise (pour la Fed en 1932 comme pour la BoJ en 1998 et comme pour la BCE de nos jours : « tout est structurel »). D’abord, ça prend du temps, et en ce moment la maison brûle. Ensuite il faut les financer, indemniser les perdants, lisser le choc : comment ? Avec quel argent ? Tous les cas de réformes structurelles réussies ont été couplés avec des dévaluations massives, en Suède et ailleurs, je ne connais pas d’exception, y compris pour l’Allemagne. Enfin, sur le plan du timing, libérer l’offre productive au moment de la plus grave crise de demande agrégée que l’Europe ait connue depuis les années 30, et au moment où les capacités existantes sont loin d’être employées, ce n’est pas très malin. Par définition, tout le monde ne peut pas être compétitif (les Européens échangent entre eux principalement). Il n’y a pas d’alternative au duo « quantitative easing massif / taux directeurs négatifs assortis d’un fort engagement à les y maintenir ». Pas d’autres leviers. La Bundesbank le sait mais ne bougera pas. Echec et mat.
Guy Martin : La
croissance est un mauvais chiffre. Elle nous obsède car nos politiques
de redistribution sont fondées sur des prévisions de croissance à 3%. En
dessous les déficits se creusent. Or la redistribution, c’est plus de
60% des dépenses publiques. C’est un serpent de mer qui est en train de
nous asphyxier à mesure que les dépenses augmentent et les recettes
baissent. Notre objectif devrait être l’équilibre de notre balance commerciale et l’assainissement de nos comptes publics. Car au-delà d’un nouveau téléviseur pour Noël, c’est notre souveraineté qui est en jeu et l’avenir de notre pays. Pour
y parvenir il nous faut opérer un transfert massif de la redistribution
vers l’investissement : en formation, en nouvelles entreprises, en
recherche… Ce constat existe depuis longtemps. Il faudrait voir
à l’appliquer réellement. Alors nous n’aurons plus besoin de vendre
Dailymotion à Yahoo! car nous n’aurons plus besoin de leur financement.
Et alors si ce n’est pour nous, nos enfants pourront retrouver un pays
en croissance.
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