par Fondapol,
le 2 mai 2013
Tribune de Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, parue dans Le Monde, le 3 mai 2013.
Chacun a lu, ou entendu citer, au moins une fois cette scène où Alice, entrée au pays des merveilles après avoir bu le contenu savoureux d’un flacon dont l’étiquette ne portait pas le mot « poison », se mit à rétrécir, à rentrer en elle-même comme une longue-vue, jusqu’à se demander, perplexe, « à quoi ressemble la flamme d’une bougie une fois que la bougie est éteinte ? ».
Avant d’accéder au pouvoir, François Hollande aurait dû demander à son parti à quoi ressemble le
socialisme à l’heure du déclin démographique, de la globalisation et du surendettement des Etats ? Les socialistes ont eu le temps de réfléchir à la question. Ils ne l’ont pas fait. Pourtant, le rétrécissement du socialisme a commencé bien avant 2012. Les socialistes n’ont jamais voulu tirer les conséquences du tournant de 1983. Michel Rocard, qui pouvait devenir le bâtisseur d’une nouvelle gauche, a même été combattu.
En 1997, la gauche retrouve la majorité parlementaire sans l’avoir conquise. La grande réforme du gouvernement Jospin est la loi des trente-cinq heures. Après la retraite à 60 ans voulue par Mitterrand, la gauche française réaffirme son credo singulier dans la réduction du temps de travail. Au même moment, l’Allemagne s’applique à « travailler plus », sous l’impulsion d’un social-démocrate, Gerhard Schröder, plus en phase avec le travailliste Tony Blair et le démocrate Bill Clinton. On est frappé alors par l’isolement du socialisme français. L’aubaine de la croissance permet à M. Jospin de masquer les problèmes créés par les lois de la période 1981-1983.
Pourtant, à côté de ce socialisme conservateur, le premier ministre surprend en privatisant plus qu’aucun de ses prédécesseurs. Il parvient même à faire piloter l’ouverture du transport ferroviaire à la concurrence par un ministre communiste, Jean-Claude Gayssot, ancien cheminot et ex-membre de la CGT. Pour battre la droite, en 2002, le ministre des finances, Laurent Fabius, propose de baisser les impôts. Le socialisme français semble alors devoir céder la place à une nouvelle gauche postsocialiste. Peut-être était-ce le début de la refondation doctrinale attendue : a-t-elle été mal assumée ? Toujours est-il que le 21 avril 2002 interrompt ce qui annonçait un aggiornamento.
Au bout de cette décennie, dans un monde en changement, François Hollande est élu président, au terme d’une campagne qui aura vu tous les candidats ignorer notre époque. Le seul coup d’éclat, « mon ennemi, c’est la finance », résonne comme un défi maladroit lancé depuis un pays surendetté. Les Français semblent déjà en retrait : moins de la moitié des électeurs inscrits a voté pour François Hollande. Seul Jacques Chirac, en 1995, avait connu une telle situation. Les Français n’ont peut-être demandé à M. Hollande que de battre M. Sarkozy. Programme accompli le 6 mai.
La chute du mur de Berlin marquait la fin du communisme. En 2008, la crise financière, rejoignant celle des dettes publiques, mettait un terme à une social-démocratie déjà érodée par le vieillissement démographique. La dépense publique, instrument principal de la boîte à outils sociale-démocrate, est devenue la cause de la panne.
Le président ne gagne qu’un peu de temps en augmentant la pression fiscale – l’une des plus élevées du monde. C’est l’inconvénient d’être socialiste dans un pays où la droite, sur ce plan, n’agit pas différemment. Cette fiscalité décourageante contribue à gripper les ressorts de l’entreprise et elle a donc sa part dans le chômage record. La gauche de gouvernement est prise au piège, entre l’évidence de son impuissance et ses prétentions idéologiques, lesquelles lui permettent peut-être de contenir une gauche de protestation.
Elu président socialiste dans un monde où le socialisme a disparu, François Hollande découvre que le nouvel état des choses ne laisse aucune place au socialisme d’hier et que son parti n’a rien préparé pour le monde d’aujourd’hui. Après avoir inutilement accusé l’argent, l’euro puis l’Allemagne, François Hollande devrait dire adieu au socialisme et définir enfin une autre politique lui permettant de retrouver un rôle dans l’histoire.
Chacun a lu, ou entendu citer, au moins une fois cette scène où Alice, entrée au pays des merveilles après avoir bu le contenu savoureux d’un flacon dont l’étiquette ne portait pas le mot « poison », se mit à rétrécir, à rentrer en elle-même comme une longue-vue, jusqu’à se demander, perplexe, « à quoi ressemble la flamme d’une bougie une fois que la bougie est éteinte ? ».
Avant d’accéder au pouvoir, François Hollande aurait dû demander à son parti à quoi ressemble le
socialisme à l’heure du déclin démographique, de la globalisation et du surendettement des Etats ? Les socialistes ont eu le temps de réfléchir à la question. Ils ne l’ont pas fait. Pourtant, le rétrécissement du socialisme a commencé bien avant 2012. Les socialistes n’ont jamais voulu tirer les conséquences du tournant de 1983. Michel Rocard, qui pouvait devenir le bâtisseur d’une nouvelle gauche, a même été combattu.
En 1997, la gauche retrouve la majorité parlementaire sans l’avoir conquise. La grande réforme du gouvernement Jospin est la loi des trente-cinq heures. Après la retraite à 60 ans voulue par Mitterrand, la gauche française réaffirme son credo singulier dans la réduction du temps de travail. Au même moment, l’Allemagne s’applique à « travailler plus », sous l’impulsion d’un social-démocrate, Gerhard Schröder, plus en phase avec le travailliste Tony Blair et le démocrate Bill Clinton. On est frappé alors par l’isolement du socialisme français. L’aubaine de la croissance permet à M. Jospin de masquer les problèmes créés par les lois de la période 1981-1983.
Pourtant, à côté de ce socialisme conservateur, le premier ministre surprend en privatisant plus qu’aucun de ses prédécesseurs. Il parvient même à faire piloter l’ouverture du transport ferroviaire à la concurrence par un ministre communiste, Jean-Claude Gayssot, ancien cheminot et ex-membre de la CGT. Pour battre la droite, en 2002, le ministre des finances, Laurent Fabius, propose de baisser les impôts. Le socialisme français semble alors devoir céder la place à une nouvelle gauche postsocialiste. Peut-être était-ce le début de la refondation doctrinale attendue : a-t-elle été mal assumée ? Toujours est-il que le 21 avril 2002 interrompt ce qui annonçait un aggiornamento.
ILLUSION DE VIGUEUR
La décennie 2002-2012 est celle du grand désarroi : les classes populaires se détournent du PS qui subit trois défaites successives à la présidentielle. L’Europe, qui réunissait encore les socialistes en 2002, les divise en 2004 et provoque leur déchirement en 2005. Battu sur le plan national, le PS engrange de nombreuses victoires locales sans avoir rien fait pour les mériter. Cette illusion de vigueur l’a figé dans un conservatisme doctrinal éloignant le « parti de la culture » du monde en mouvement.Au bout de cette décennie, dans un monde en changement, François Hollande est élu président, au terme d’une campagne qui aura vu tous les candidats ignorer notre époque. Le seul coup d’éclat, « mon ennemi, c’est la finance », résonne comme un défi maladroit lancé depuis un pays surendetté. Les Français semblent déjà en retrait : moins de la moitié des électeurs inscrits a voté pour François Hollande. Seul Jacques Chirac, en 1995, avait connu une telle situation. Les Français n’ont peut-être demandé à M. Hollande que de battre M. Sarkozy. Programme accompli le 6 mai.
La chute du mur de Berlin marquait la fin du communisme. En 2008, la crise financière, rejoignant celle des dettes publiques, mettait un terme à une social-démocratie déjà érodée par le vieillissement démographique. La dépense publique, instrument principal de la boîte à outils sociale-démocrate, est devenue la cause de la panne.
ILLUSION DE MOUVEMENT
M. Hollande ne peut ni relancer l’économie par la dépense ni mettre en place ces réformes dans lesquelles le mot « socialisme » trouvait sa raison d’être. Le mariage pour tous relève de ces dernières réformes bienvenues que l’on peut encore accomplir parce qu’elles ne coûtent rien et donnent l’illusion du mouvement. La création de quelques postes de fonctionnaires et la restauration de la retraite à 60 ans pour une poignée de salariés sont le dernier coup de menton – coûteux – d’un socialisme à bout de souffle.Le président ne gagne qu’un peu de temps en augmentant la pression fiscale – l’une des plus élevées du monde. C’est l’inconvénient d’être socialiste dans un pays où la droite, sur ce plan, n’agit pas différemment. Cette fiscalité décourageante contribue à gripper les ressorts de l’entreprise et elle a donc sa part dans le chômage record. La gauche de gouvernement est prise au piège, entre l’évidence de son impuissance et ses prétentions idéologiques, lesquelles lui permettent peut-être de contenir une gauche de protestation.
Elu président socialiste dans un monde où le socialisme a disparu, François Hollande découvre que le nouvel état des choses ne laisse aucune place au socialisme d’hier et que son parti n’a rien préparé pour le monde d’aujourd’hui. Après avoir inutilement accusé l’argent, l’euro puis l’Allemagne, François Hollande devrait dire adieu au socialisme et définir enfin une autre politique lui permettant de retrouver un rôle dans l’histoire.
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