«Un bébé singe contre deux gorilles.» Le «bébé singe» c’est lui, «les deux gorilles» ce sont le Parti socialiste et l’UMP. L’économiste Christian Saint-Etienne aime manier les images.
Qu’il utilise à l’envi pour décrire la bataille des municipales : «Le combat à Paris est complexe parce que je pars quatre mois après NKM et un an après Anne Hidalgo. Je pars avec un "bébé parti", pris en étau entre deux gorilles vieillissants mais extrêmement puissants. Une étreinte de ces deux gorilles peut tuer le bébé. Je vais devoir rester extrêmement agile.» Et d’en remettre une, dans un sourire : «Il y a neuf mois de campagne à partir de juillet, donc si la grossesse se passe bien, on peut avoir un bébé, un petit David qui surprend par la résilience et la force de son projet.»
Le politique sait aussi calculer. Sans une alliance avec l’UMP, explique-t-il, l’UDI ne peut prétendre peser significativement dans l’élection. Mais le parti centriste a tout de même décidé samedi 7 septembre de la jouer solo au premier tour, en présentant des listes autonomes dans chaque arrondissement, histoire de bien mettre en valeur son poids électoral. «On ne peut imaginer un candidat tronçon. Christian Saint-Etienne a vocation à être maire de Paris, a avancé le président de la fédération UDI de Paris, Patrice Gassenbach.Comment imaginer qu’une famille politique importante comme la nôtre ne soit pas capable d’être présente dans la totalité des arrondissements, avec 2 924 adhérents ? On doit être capable de présenter 570 candidats, on les a.»
Au deuxième tour, ce sera une autre affaire. Les statuts fondateurs du parti centriste indiquant que les alliances électorales doivent se faire à droite, Christian Saint-Etienne se voit bien œuvrer à l’émergence d’une alliance entre «ceux qui (à l’UMP) regardent au centre» - tendance Fillon - et les siens, tandis «que la partie gouvernante (de l’UMP) regarde vers l’extrême droite».
Lui qui, après avoir rédigé le programme économique de François Bayrou pour la présidentielle de 2012, a été l’un des premiers signataires de l’appel de Jean-Louis Borloo pour la création de l’UDI, tient aux «valeurs humanistes» du centre. «Si nous faisons de bons score, et que nous pesons un tiers de sièges de la majorité, il est clair que nous ne ferons pas la même politique que si c’est la branche dure de l’UMP qui tient Paris», dit-il. Ajoutant : «Pour être centriste, il faut vraiment y croire.»

«ON A UNE MINI-AVENUE»

Le pari de l’alliance UMP-UDI, pour gagner Paris, est connu : Nathalie Kociusko-Morizet prendra la tête de liste dans le XIVe arrondissement, Christian Saint-Etienne s’attaquera au IXe. «Nous espérons que l’UMP fera le job dans le Ve pour le garder à droite, ce n’est pas une mince affaire., relève ce dernier. De mémoire, Hollande a du toucher les 55-56% (1). Gagner suppose de ne perde aucun des huit [arrondissements] que nous avons». Mais Saint-Etienne estime être face à une équation favorable. Dans le IXe, comme dans le XIVe — où le député Pascal Cherki s’est vu enjoindre de céder sa place en tête de liste — les maires socialistes sortants ne se représentant pas : «Jacques Bravo avait un "appeal" politique qui allait très au-delà de la gauche. C’est une personnalité majeure, un homme qui avait beaucoup de liens avec son opposition. Il était difficilement déboulonnable, comme Delanoë à Paris. Ce ne sera pas forcément le cas de son successeur.»
La sociologie électorale du IXe, avance-t-il encore, laisse entrevoir un espoir pour le centre. «Nous avons deux points d’appui : un pôle familial assez fort, et des bobos, la jeunesse dynamique et ouverte, qui ne feront pas seuls l’élection. (...) Une liste d’union conduite par un UDI peut séduire pas mal de gens qui ne se seraient pas déplacés pour voter UMP, et des gens qui avaient voté pour Delanoë en 2008».D’autant que traditionnellement, le parti au pouvoir est sanctionné aux municipales.«Cela sert de rappel à l’ordre donné au gouvernement. (...) Et la crise économique va continuer à produire des effets durant l’hiver et le printemps prochains»,explique doctement Saint-Etienne, qui espère que l’UDI pourra doubler ses onze sièges au Conseil de Paris. «On n’a pas un boulevard, résume-t-il, mais on a une mini-avenue».
Qu’il s’agisse de configurations politiques ou de sa personne, l’homme semble analyser avec sang froid les équations, sans (trop) donner dans l’affect. Ainsi lâche-t-il avec le même naturel qu’il est «bon en campagne», ce dont on se vante rarement, ou que son cas a juste «servi de rappel au règlement», après qu’il a annoncé son investiture sur Twitter un peu en avance et la remontée de bretelles publique par Jean-Christophe Lagarde qui s’en est suivie. «En même temps, s’amuse-t-il, cette petite confusion, que la classe médiatique adore, a permis de lancer ma campagne. C’est l’effet Hollywood.»

«LE MOT FRANCE VEUT ENCORE DIRE QUELQUE CHOSE»

Rien n’est chez lui, insiste-t-il, affaire personnelle. Sur Jean-Christophe Lagarde :«J’entretiens les meilleurs relations [avec lui]». Sur François Bayrou, qu’il a quitté après la campagne de 2012 : «Ce n’était pas une question de personne, mais de management.» L’engagement «pour la cité», rien que pour la cité. Même s’il ne rechigne pas à raconter que c’est après l’un de ses rapports sur les métropoles et les pôles métropolitains que les termes se sont popularisés : «Je suis un peu le père spirituel de ces notions.»
Son père à lui était directeur d’école pour «enfants inadaptés» , avait «des engagements dans la cité, comme secrétaire de mairie mais n’a jamais eu la carte d’aucun parti». Le grand-père est un petit viticulteur ardéchois, le fils sera docteur en économie : «une ascension républicaine classique», dit-il dans un grand sourire. Après des études en France et aux Etats-Unis, Christian Saint-Etienne entre comme économiste à l’OCDE, et, dans les années 80, rejoint les supporters de Raymond Barre.
Il dit aussi : «On peut se foutre de ma gueule, mais le mot France veut encore dire quelque chose.» Ses figures tutélaires sont «Barre pour la référence économique, De Gaulle pour son action patriotique, Mendès France pour son thème majeur qui est la vérité en politique.» Drôle de coïncidence, le député centriste Charles de Courson, son «vieil ami», a présidé la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Cahuzac. Au téléphone, Courson confirme : «Christian est un homme intègre. C’est un garçon qui a beaucoup de fond, il dit à temps et à contre-temps ce que les centristes et même une partie de la gauche finissent par admettre. Il ne cède pas aux modes.»


PARIS, UNE «VILLE MUSÉE»

C’est dans le Ve arrondissement, près de Maubert-Mutualité où nous le rencontrons, que Saint-Etienne vit depuis quarante ans, presque toute sa vie d’adulte, de«chambres de bonnes au 6e étage» à l’appartement familial d’aujourd’hui. Il y vit, il y travaille - il donne des cours à Sciences Po en plus de sa chaire au Conservatoire des Arts et métiers - et le représente, depuis 2008, au Conseil de Paris, où il a été élu sur la liste conduite par Jean Tibéri. A l’époque, avec Jean-Marie Cavada dans le XIIe, Saint-Etienne crée une micro-structure, Avenir démocrate, qui s’allie à l’UMP,«à condition de faire une campagne séparée et (d’avoir) une enveloppe de financement spécifique», insiste Saint-Etienne, «j’accompagne la politique qui est suivie mais je reste indépendant». Aux législatives de juin 2007, il avait fait pour l’UDF le deuxième meilleur résultat du centre parisien : 18%. Et aujourd’hui s’amuse du «nombre de gens qui ne doutent de rien, qui viennent à la fédération de Paris en disant "moi je ferais une bonne tête de liste !". Ils débarquent, en ignorant tout de la vie politique locale, le combat de terrain de ceux qui ont porté les campagnes dans les pires moments !».
De Paris, il dit qu’elle est «devenue un musée, une ville assez mal tenue». «Les étrangers sont assez surpris de voir une ville qui ne favorise pas la qualité de vie et de déplacements des gens qui viennent de l’extérieur (...) C’est une ville devenue très dure à vivre : entre les prix de l’immobilier et des loyers, et les hausses de fiscalité, on arrive à un coût de la vie, simplement pour se maintenir à Paris, qui est très élevé.» L’UDI, qui doit annoncer à Paris son programme en octobre et son équipe courant septembre, «veut que Paris redevienne une terre plus favorable à la vie des classes moyennes, des familles, des jeunes travailleurs (...) et porte des aspirations artistiques et culturelles très fortes». Christian Saint-Etienne promet «une très belle équipe» : «nous sommes déjà au travail, les gens vont être surpris». Avec l'air de dire «à l'abordage !», ni à babord ni à tribord. La barre au centre, évidemment. 
(1) François Hollande y a obtenu 55,6 % des suffrages exprimés.
Kim HULLOT-GUIOT