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Pendant l'été, les ministres devaient plancher sur la France telle qu'elle serait en 2025. L'échéance était fixée par la présidence de la République au 19 août, mais cinq ministères – économie, justice, intérieur, logement et redressement productif – ont d'ores et déjà rédigé leur copie, que Le Point s'est procurée.
Ce qui frappe d'emblée, c'est l'optimisme sans doute un peu excessif des ministres. Si l'on en croit leur prose, on
assistera en effet au retour du pleinemploi, le pays se sera remis de son déclin industriel, les peines prononcées seront enfin "lisibles et efficientes", la justice sera proche des citoyens, la part du logement dans les dépenses des foyers aura reculé, etc. Bref, toutes les réformes voulues par le gouvernement auront porté leurs fruits, tous les espoirs auront été satisfaits et tous les indicateurs seront au vert dans une France qui aura réussi sa mue.
Dans chacun de ces textes, les ministres invoquent "le numérique" ou "les nouvelles technologies" comme un moyen pour résoudre toute une série de problèmes, sans avancer la moindre justification. Et tout est écrit comme si aucun ministère ne profitait déjà – et depuis longtemps – de ces "nouvelles technologies"qui, pour certaines, ne sont plus toutes jeunes...
Voici donc les maux dont le numérique devrait nous sauver, selon les services de cinq de nos ministres :
- Des services publics plus efficaces et moins onéreux
Pour le ministère des finances, il est clair que le coût des services publics est trop important pour le service rendu à la population. Prenons l'exemple de l'administration fiscale :
"Le succès de la France dépendra [...] en grande partie de notre capacité à moderniser nos services publics et à leur redonnerl'agilité promise par la révolution numérique. [...] A titred'exemple, en 2025, l'administration fiscale pourrait avoirentièrement dématérialisé la déclaration, le paiement et contrôle de premier niveau des déclarations. [...] Les agents pourront alors concentrer leur action au service des contribuables, notamment les plus fragiles, et au contrôle de cohérence des données dont ils disposent, ainsi qu'au contrôle des fraudes complexes et déterminées par analyse croisée."
- Une troisième "révolution industrielle"
Selon le ministère du redressement productif, la France et l'Europe auront en 2025 pleinement réussi leur entrée dans le XXIe siècle en négociant avec brio "la troisième révolution industrielle". Et elle ira même damer le pion aux géants de l'Internet :
"Dans le numérique, l'Europe a rattrapé son retard avec la création d'écosystèmes extrêmement compétitifs, rassemblant universités, grandes écoles, laboratoires publics et privés, grands groupes et start-up. Paris est devenu une grande place d'innovation aux côtés de Londres, Berlin et des capitales nordiques. Les étudiants et les créateurs d'entreprises du monde entier considèrent la France comme un pays propice à la créativité et au développement de nouveaux produits et services. [...] En combinant politique industrielle du numérique ambitieuse et des exigences fortes en matière de transferts de données personnelles outre-Atlantique, l'Europe est désormais en mesure de contrebalancer le poids des géants de l'Internet."
- Des enquêtes de police et de gendarmerie facilitées
Selon le minsitère de l'intérieur, les services de police et de gendarmerie sauronttirer parti des nouvelles technologies pour augmenter leur efficacité en termes de résolution d'enquêtes. Et, chose originale par rapport aux notes des autres ministères, la Place Beauveau reconnaît que ses services utilisent déjà les technologies existantes :
"L'enjeu des dix prochaines années est d'intégrer l'innovation aux stratégies de sécurité. La police et la gendarmerie doivent réaliser le saut technologique qui s'impose à elles : utilisation accrue des technologies existantes et de celles qui verront le jour d'ici là."
- Les forces de l'ordre plus proches de la population
La police enquête, mais ce n'est pas son seul rôle. Elle est également au service et au contact de la population ; elle le sera encore plus après l'avènement des outils "3.0" – sans que l'on sache exactement de quoi il s'agit :
"Les évolutions technologiques ne servent pas que les activités d'enquête : une police et une gendarmerie 2.0 – et demain 3.0 –, grâce à une présence marquée et au développement d'outils sur Internet, ont l'occasion de renforcer le lien de proximité avec la population."
- Une justice simplifiée
Au ministère de la justice également, on compte sur les nouveaux outils pour"simplifier les procédures" et minimiser les coûts. Ceci passera par des solutions logicielles et par l'envoi de "courriels électroniques" (sic) :
"Divers mécanismes ont simplifié les procédures pour les justiciables, les magistrats et les greffiers : échanges inter-applicatifs entre les services d'enquête et les juridictions permettant de suivre le dossier d'un délinquant où qu'il soit sur le territoire national, applicatifs civils permettant d'effectuer des démarches judiciaires de n'importe quel site du département, peu important que l'audience ne se tienne pas à cet endroit ; convocations aux audiences sécurisées et modernisées, via notamment l'envoi par courriel électronique correspondant mieux aux nouveaux modes de vie des concitoyens."
- Des professionnels de justice moins chers
Le ministère de la justice consacre une partie importante de sa note aux professions réglementées de la justice et du droit – notaires, experts-comptables, etc. Sans qu'il ne soit précisé comment Internet permettra un gain de productivité qui engendrera une baisse des tarifs :
"Les gains de productivité (par exemple Internet) ont une répercussion sur les tarifs fixés par le ministère" pour les professions du droit et de la justice.
- Des territoires ruraux dynamisés
Dans sa note, la ministre de l'égalité des territoires et du logement souhaite"s'appuyer sur les ressources des territoires pour promouvoir l'égalité". Et selon ce texte, elle compte sur les services numériques pour dynamiser ces territoires :
"Le développement des usages et des services numériques au sein des territoires ruraux permettrait de développer l'innovation sociale et la pérennisation d'activités professionnelles."
Souvent, l'exercice relève du vœu pieu sans qu'il ne soit question des priorités ou des mises en œuvre. Ainsi, on parle à Bercy de soutenir massivement le secteur numérique sans que ne soient explicités ni les enjeux, ni les déficits actuels en la matière, ni les pistes pour que le secteur soit soutenu.
- Jonathan Parienté
Journaliste au Monde
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