Publié le 7/08/2013 par contrepoint
La laïcité donne aux étatistes l'occasion d'illustrer leurs méthodes : transformer les libertés en droits qu'ils peuvent supprimer à leur convenance.
Par Baptiste Créteur.
La laïcité est une notion à géométrie variable. Alors que Manuel Valls veut un calendrier religieux commun à tous les Français, certains veulent réduire la liberté religieuse au plus petit commun dénominateur. Le voile fait l'objet de nombreux débats, aussi bien sur le type de voile acceptable dans l'espace public – comprenez partout sauf chez soi – que sur la possibilité de porter un morceau de tissu.
Car ce n'est pas qu'un morceau de tissu ; le voile fait partie dessignes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. Le droit de porter le voile est donc remis en question dans un rapport du Haut Conseil à l'Intégration.
De telles discussions sont rendues possibles par un glissement sémantique et conceptuel : il n'existe plus de différence entre droit négatif et droit positif, entre les libertés individuelles et les "droits" que l’État a décidé d'accorder. Ce n'est pas anodin : faire d'une liberté un droit permet de l'accorder ou de le supprimer, de le rendre subjectif pour en faire un instrument de pouvoir.
Sans aller jusqu'à étendre à l'enseignement supérieur la loi de 2004 en vigueurdans le second degré, l'idée est bien d'interdire aux étudiantes musulmanes de porter le voile islamique pendant les cours. Une proposition potentiellement polémique, alors que se discute l'opportunité d'interdire les signes religieux, et principalement le voile, dans d'autres sphères de la société française.
Certains motifs d'interdiction du voile pourraient être discutables. On pourrait débattre de l'identification des individus lorsqu'elle est nécessaire, par exemple dans le cas de contrôles d'identités ou d'examens universitaires, si le voile était susceptible de l'empêcher. Mais quelle est la légitimité d'interdire le voile aux musulmanes parce qu'il témoigne de leur appartenance religieuse ?
Tant que la religion est individuelle et n'interfère pas dans les préférences d'autrui, elle ne regarde que ceux qui la pratiquent. Le rôle de l’État est de garantir les libertés individuelles, la sûreté et la propriété des citoyens ; pas de leur imposer un dress-code. Son rôle n'est pas non plus de s'immiscer dans les règlements intérieurs pour autoriser ou interdire un dress-code. Les arguments supposés justifier une telle interdiction sont révélateurs.
À l'appui de leur proposition, les rapporteurs rappellent la loi Savary de 1984 [sic], qui précise que la liberté d'expression accordée aux usagers de l'enseignement supérieur "ne doit pas porter atteinte aux activités d'enseignement et à l'ordre public".
On voit mal en quoi le port du voile porte en soi atteinte aux activités d'enseignement et à l'ordre public. Mais encore ?
Les rapporteurs précisent aussi que le code de l'éducation prévoit que "le service public de l'enseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique". Ils "voient donc mal pourquoi l'enseignement supérieur camperait dans un hypothétique statut d'extraterritorialité".
L'enseignement est-il moins laïc si les enseignants ou les étudiants portent le voile ? Manifestent-ils par là une emprise religieuse, ou simplement une préférence individuelle ? Ce n'est pas contre l'extraterritorialité hypothétique de l'enseignement supérieur que le rapport entend lutter, mais pour étendre le pouvoir de l’État sur l'individu.
Entendons nous bien. Je ne milite pas pour le port du voile, et ne défends pas le port du voile en tant qu'hypothétique obligation d'une religion donnée. Je le défends en tant que liberté, en tant qu'expression d'une préférence individuelle n'interférant nullement avec la liberté d'autrui.
Selon les auditions menées ces derniers mois par la mission sur la laïcité,"certaines universités" sont en butte à "des demandes de dérogation pour justifier une absence, au port de signes d'appartenance religieuse, à des actes de prosélytisme, à la récusation de la mixité tant au niveau des étudiants que des enseignants, à la contestation du contenu des enseignements, à l'exigence de respect des interdits alimentaires, à l'octroi de lieux de culte ou de locaux de réunion à usage communautaire..."
Il y a là, en revanche, de vrais sujets. Les demandes de dérogation sont à traiter au cas par cas, le port de signes d'appartenance religieuse n'est pas en soi un problème. En revanche, la non mixité, le choix du contenu des enseignements et l'octroi de lieux de culte ou locaux de réunion ne sont pas des droits.
Pour autant, est-il si difficile pour l'enseignement supérieur d'être ferme, d'accepter ce qui est acceptable et de refuser ce qui ne l'est pas ? En quoi est-il nécessaire d'imposer une laïcité sans bornes, d'imposer un dress-codeet de restreindre certaines libertés pour disposer d'arguments pour refuser certaines requêtes ?
Largement fondé sur une enquête de la Conférence des présidents d'université (CPU) de 2004, le rapport évoque aussi, sans les quantifier ni les situer, des atteintes à la laïcité "dans certaines universités où des tenants de courants chrétiens évangéliques ou néobaptistes critiquent les théories darwiniennes de l'évolution au profit de thèses créationnistes. Ailleurs, des écrits de Voltaire, de Pascal ou de Camus peuvent être rejetés". La mission "laïcité" du HCI relaie donc le "malaise d'un nombre croissant d'enseignants" face à ces "symptômes de la montée de revendications identitaires et communautaristes, de fermeture, voire d'ostracisme, de refus de certains savoirs".
Horreur, malheur et damnation : on critique des théories et rejette des auteurs. Où est le mal ? Où est le mal à refuser certains savoir ou certaines œuvres ? Je ne suis pas d'accord avec les théories marxistes, largement répandues dans le milieu universitaire. Au plus haut niveau de l’État se trouvent des individus hermétiques à toute compréhension de la philosophie de la liberté ainsi qu'à toute compréhension de l'économie autrichienne. Où est le mal ?
Rien n'empêche les universitaires d'attendre des étudiants une compréhension et une connaissance des savoirs, mais rien ne les autorise à exiger qu'ils soient pris pour argent comptant.
Dans la même ligne, "les Crous étant soumis au principe de laïcité, ils ne peuvent compter de lieu de culte sur leur site, ni fournir de restauration de nature confessionnelle".
Il y a toujours un moment où les constructivistes vont trop loin, et cela survient en général assez tôt. Les Crous ne sont pas tenus de fournir de restauration de nature confessionnelle, mais leur interdire est plutôt ridicule : sont-ils tenus de vérifier que les plats proposés ne respectent les obligations alimentaires d'aucune religion ?
L'Observatoire de la laïcité, dans son point d'étape remis le 25 juin au président de la République, établit aussi un bilan positif de la loi de 2004, mais ne paraît pas pour autant enclin à reprendre les conclusions du HCI. "Nous entendons nous faire notre propre religion", indique-t-on à l'Observatoire. Ces recommandations devraient être publiées dans le rapport annuel du HCI, à l'automne, à moins que l'Observatoire de la laïcité, soucieux "d'apaisement" sur ces sujets, ne préfère les enterrer.
Cette blague malheureuse est assez révélatrice de la confusion qui entoure la notion de laïcité et dont entendent bien profiter les étatistes, en se substituant au religieux. Avec une morale qui veut des individus non pas égaux, mais identiques, qui acceptent tout enseignement comme vérité enfin révélée en rejetant par là leurs convictions personnelles.
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