vendredi 11 octobre 2013

La jeune Pakistanaise Malala Yousafzaï obtient le prix Sakharov

Le Monde.fr |  • Mis à jour le  |


Malala en septembre 2013 à Dublin, recevant le prix le prix de l'Ambassadeur de la conscience 2013 d'Amnesty International.

Déjà en lice pour le prix Nobel de la paix 2013, la jeune Pakistanaise Malala Yousafzai s'est vue honorée, jeudi 10 octobre, par le prestigieux Prix Sakharov pour la liberté de l'esprit du Parlement européen. Cette jeune Pachtoune, qui dit s'inspirer des combats menés par Martin Luther King et Nelson Mandela, est devenue depuis 2009 le fer de lance du combat pour l'éducation des filles auPakistan. Elle a été préférée à l'Américain Edward Snowden, auteur des révélations sur la surveillance électronique mondiale effectuée par les Etats-Unis, et à des opposants bélarusses emprisonnés.






Aujourd'hui âgée de 16 ans, Malala Yousafzai veut consacrer sa vie à ce combat."Plus tard, je serai une femme politique. Je veux changer l'avenir de mon pays etrendre l'éducation obligatoire", a-t-elle confié, le 7 octobre, à la BBC. Une vie qu'elle raconte dans un livre paru mardi 8 octobre et dont des extraits ont été publiés par le Sunday Times
LE COMBAT POUR L'ÉDUCATION DES FILLES
Malala Yousafzai n'a que onze ans quand elle devient célèbre en signant, sous le pseudonyme Gul Makai, le blog en ourdou "Journal d'une écolière pakistanaise"(extraits en anglais) sur le site Internet de la chaîne britannique BBC. La jeune Pachtoune y dénonce les violences commises par les talibans qui, après avoirpris le contrôle de la vallée de Swat au nord-ouest du Pakistan en 2007, incendient les écoles pour filles et assassinent leurs opposants dans la région. Tout comme son père Ziauddin, militant antitaliban qui préside une association de 500 écoles privées dans la vallée, Malala fait de l'éducation pour les filles son combat. Aprèsavoir détruit plus de 150 écoles dans la vallée en 2008, les talibans avaient édicté en janvier 2009 un décret religieux interdisant l'école aux filles.
Sur le site du New York Times a été diffusé le documentaire L'Odyssée d'une écolière réalisé en 2009 par Adam B. Ellick.
A la veille du dernier jour d'école avant les vacances, le 14 janvier 2009, Malala écrivait : "Cette fois-ci, les filles ne sont pas très enjouées à l'annonce des vacances car elles savent que si les talibans appliquent leur décret, elles ne pourront plus retourner à l'école. Certaines filles étaient optimistes quant à une réouverture de l'école en février, mais d'autres ont dit que leurs parents avaient décidé de quitter la vallée de Swat et d'aller s'installer dans d'autres villes pour leuroffrir une éducation."
A l'instar de nombreuses familles de la région, Malala et ses parents ont quitté la vallée et n'y étaient revenus que quelques mois plus tard. Une vidéo montrant des talibans fouettant une jeune fille avait soulevé l'indignation et précipité une vaste offensive de l'armée pakistanaise pour déloger les talibans dirigés par le chef religieux Maulana Fazlullah, affiliés au Mouvement des talibans du Pakistan (TTP), de la vallée, surnommée la "Suisse du Pakistan" pour son fort potentiel touristique et ses montagnes.
LES REPRÉSAILLES DES TALIBANS
Devenue "la face progressive de Swat", Malala reçoit en 2011 le premier prix national pour la paix créé par le gouvernement pakistanais. Mais cette nouvelle notoriété en fait une cible pour les talibans. Le 9 octobre 2012, Malala Yousufzai est blessée par balle à Mingora, principale ville de la vallée de Swat, par des hommes armés qui ont stoppé le bus scolaire dans lequel elle circulait.
L'attaque est revendiquée par les insurgés du TTP, allié au réseau Al-Qaida."C'est une fille à la mentalité occidentale qui passe son temps à nous dénoncer. Quiconque critiquera les talibans subira le même sort", justifie Ehsanullah Ehsan, le porte-parole du TTP. "Nous l'avions prévenue plusieurs fois qu'il fallait qu'elle cesse de parler contre les talibans, qu'elle arrête de soutenir les ONG occidentales et qu'elle prenne le chemin de l'islam", a-t-il ajouté.
La tentative d'assassinat dont elle a été la cible a choqué le Pakistan tout entier et fait ressurgir la crainte d'une vague d'assassinats ciblés dans sa vallée de Swat, reprise il y a trois ans par l'armée aux insurgés talibans. "Malala Yousafzai est dans un état critique, comme le Pakistan. Nous sommes affligés par le cancer de l'extrémisme et si rien n'est fait pour retirer la tumeur, nous allons glisser encore davantage vers la bestialité...", regrette alors dans son éditorial le quotidien anglophone pakistanais The News
"Malala était une voix isolée dans le désert", a commenté Feryal Gauhar dans le quotidien pakistanais Express Tribune"Sa voix est celle qui nous a amené àréaliser qu'il pouvait y avoir des alternatives et une résistance à toutes formes de tyrannie. La tentative de faire taire cette voix doit seulement la rendre plus forte ; le sang qui entache son uniforme d'écolière doit seulement alimenter la conviction qu'aussi longtemps qu'il y aura de la vie, la lutte doit se poursuivre."
L'adolescente, touchée à l'épaule et à la tête, est transférée le 15 octobre au Queen Elizabeth Hospital de Birmingham, un établissement spécialisé dans le traitement des soldats britanniques blessés en Afghanistan.
UNE VAGUE DE SOUTIENS
D'Angelina Jolie, qui a lancé une souscription, à Madonna, qui lui a dédié une chanson, d'Hillary Clinton, qui a exprimé son indignation, à Catherine Ashton, qui a présenté Malala comme "une source d'inspiration pour tous", les réactions ont afflué. Et le visage de Malala s'est imposé comme l'incarnation de la première Journée internationale des filles proclamée par l'ONU, et organisée deux jours plus tard. En quelques jours, plus d'un million de personnes avaient déjà signé une pétition pour soutenir l'écolière. Et Gordon Brown, l'ancien premier ministre britannique devenu envoyé spécial de l'ONU pour l'éducation mondiale, fonçait à Islamabad pour rencontrer le président pakistanais, Asif Ali Zardari, lui présenter la pétition et affirmer que "tant qu'il y aura des filles qui ne vont pas à l'école dans le monde, Malala sera leur lueur d'espoir".
Un déluge de messages, d'encouragements, d'invitations parvenait à l'adolescente, tandis qu'un autre texte d'initiative canadienne appelant à luidécerner le prochain prix Nobel de la paix recueillait des milliers de signatures. En France, 150 parlementaires ont déposé une demande identique auprès du comité Nobel. Au Pakistan, une journée "pour Malala" est organisée en collaboration avec les Nations unies et de nombreuses ONG, le 10 novembre. Les images de l'adolescente sont diffusées en boucle sur les chaînes locales, des prières ont lieu dans les écoles. Le gouvernement annonce alors sa volonté de promouvoirl'éducation des filles et la création d'un programme attribuant une modique somme d'argent à 3 millions d'enfants pauvres, en échange de leur présence en classe. L'Unesco crée un fonds, baptisé "Plan Malala", visant à scolariser d'ici à 2015 les 32 millions de fillettes qui, selon Gordon Brown, ne le sont pas encore. 
Lire (en édition abonnés) : "Malala, au nom des filles" 
UN ANNIVERSAIRE À L'ONU
Transférée au Royaume-Uni, Malala Yousafzai a été opérée avec succès à Birmingham, où elle réside et où elle est scolarisée depuis mars. "Ça a été difficile de s'adapter à une culture et une société nouvelles, surtout pour ma mère, car on n'avait jamais vu des femmes aussi libres, libres d'aller sur n'importe quel marché, seules, sans frère ou père pour les accompagner", raconte-t-elle.
Son premier discours en public, elle le prononce à New York devant l'Assemblée générale des Nations unies, le jour de ses 16 ans. Parmi le parterre de personnalités se trouvent le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, Gordon Brown, et plusieurs centaines de jeunes de 12 à 25 ans représentant 85 pays. Les talibans "pensaient qu'une balle pourrait nous réduire au silence mais ils ont échoué, du silence sont sorties des milliers de voix", dit la jeune miraculée, entièrement vêtue de rose et les épaules recouvertes du châle blanc de Benazir Bhutto, l'ancienne première ministre du Pakistan tuée dans un attentat en 2007.
"Les extrémistes ont peur des livres et des stylos. Le pouvoir de l'éducation les effraie", a déclaré la jeune fille. Accueillie par des applaudissements, Malala a lancé un appel aux gouvernements "à assurer une éducation libre et obligatoire à chaque enfant dans le monde""Un enfant, un enseignant, un livre et un stylo peuvent changer le monde", a-t-elle clamé devant ses parents émus.

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