mercredi 9 avril 2014

Grand oral économique pour Manuel Valls : 5 experts pour évaluer les annonces du Premier ministre


Coup de pouce pour les revenus modestes, suppression des charges pour l'employeur d'un salarié payé au Smic, 50 milliards d'économies sur trois ans, le taux normal de l'impôt sur les sociétés réduit à 28% en 2020... Le Premier ministre est entré dans le détail de la politique que va mener son "gouvernement de combat", déclinant toute une série d'annonces lors de son discours de politique générale. Analyse de 5 économistes.

Analyse économique

Publié le 9 avril 2014
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Le Premier ministre a prononcé devant les parlementaires son discours de politique générale hier.
Le Premier ministre a prononcé devant les parlementaires son discours de politique générale hier.  Crédit Reuters

>>> Allègement des cotisations patronales et salariales <<<

Sur les cotisations patronales : suppression totale des cotisations patronales à l'URSAFF au 1er janvier 2015 et des charges sur les employés au smic ; jusqu'à 1,6 fois le smic, 4,5 milliards d'euros d'allègements ; jusqu'à 3,5 fois le smic, un abaissement des cotisations familiales de 1,8 point au 1er janvier 2016, c'est-à-dire 4,5 milliards d'euros d'allègements (pacte de responsabilité) ;
et sur les cotisations salariales : une diminution des cotisations salariales pour les salariés au smic, ce qui représentera 500 euros par an de salaire net en plus (pacte de solidarité).

Efficacité

Jacques Bichot : Les réductions de cotisations patronales de sécurité sociale ont été largement pratiquées par la droite comme par la gauche. Elles n'ont nullement évité le déclin de la compétitivité des entreprises françaises et la montée du chômage. Bien entendu, certains disent que sans ces "allègements de charges" la situation aurait été encore pire, mais les études sur lesquelles ils se basent ne sont guère convaincantes. En réalité, ces mesures traduisent une conception étatiste de la sécurité sociale qui est une des causes majeures de nos difficultés. Les organisations patronales, en réclamant la réduction des cotisations patronales, ont contribué à faire croire qu'il s'agit d'une politique libérale, ce qui est faux. Pour sortir de l'ornière où nous a enlisés un État providence devenu obèse et ingérable, il faudrait procéder à une vraie réforme de notre sécurité sociale, et particulièrement transférer sur les cotisations salariales la totalité des cotisations patronales, de façon à ce que les travailleurs comprennent bien que ce sont eux qui paient la sécu, et pas les entreprises. Un tel changement, facile à réaliser, ne modifierait dans l'immédiat ni le salaire net, ni le coût du travail, mais il induirait une modification radicale des comportements : les employeurs négocieraient avec les travailleurs le vrai coût du travail, et les employés freineraient la tendance de la sécurité sociale au "toujours plus". C'est à la négociation salariale de modérer le coût du travail, pas à l'État, qui n'est pas outillé pour ! C'est ainsi que les entreprises allemandes ont réussi à devenir très compétitives, sans quémander des aumônes auprès de l'État fédéral. La politique de réduction des charges est le résultat d'une connivence entre deux bureaucraties, celle des organisations patronales et celle de l'État, elle est typiquement "top-down" alors que ce qui marche c'est le "bottom-up" (ce qui va de la base vers le sommet et non l'inverse).
L'allègement des cotisations salariales sur les bas salaires mérite une attention particulière. Une telle mesure signifie que l'État va subventionner encore plus les emplois les plus modestes, traitant ainsi leurs titulaires en assistés. Ce n'est pas respectueux pour la dignité de ces personnes : un travail à temps complet doit fournir de quoi vivre, y compris de quoi acheter les services de protection sociale dont on a besoin. La solution au sous-emploi ne réside pas dans le subventionnement de leurs titulaires. Plus intéressant serait une diversification du SMIC selon les bassins d'emploi : on peut vivre correctement dans le Cantal avec bien moins d'argent qu'à Paris. Des départements aujourd'hui en déclin pourraient revivre si des entreprises de main d'œuvre venaient s'y implanter avec un net avantage salarial correspondant à la nature des choses et non à une décision politique ou administrative arbitraire.  
Gérard Thoris : Il faut toujours commencer par rappeler que l’idée même qu’une cotisation sociale puisse être partagée entre "patronale" et "salariale" est une fiction liée à l’histoire même des cotisations sociales. Par contre, ce fut, historiquement, un instrument bien commode de gestion de l’électorat. Alors que, en 1930, les parts patronales et salariales représentaient également 5 % du salaire, la première a dérivé bien plus rapidement que la seconde. C’était facile de laisser entendre aux salariés que la Sécurité sociale n’avait pas de coût. Au moment où la France a fait le choix de signer les accords de Maastricht (1992), elle s’engageait en même temps à ne plus dévaluer sa monnaie. Il devenait impossible de diminuer le niveau des coûts salariaux par la dévaluation. D’une manière très singulière, elle a choisi la voie de la socialisation des bas salaires. C’est en septembre 1993 que la première exonération de cotisations patronales a eu lieu. Par la suite, l’instrument n’a cessé d’être utilisé et instrumentalisé. Avec le projet d’Emmanuel Valls, une étape nouvelle vient d’être franchie : la modulation des cotisations d’assurances sociales sert désormais à distribuer du pouvoir d’achat directement. Nul doute que cette mesure est la première d’une longue série qui occupera nos parlementaires année après année. 
Quant à savoir si cette mesure est efficace, il est bien difficile d’en juger. Commençons par la distribution de pouvoir d’achat aux salariés. Il devrait être évident que beaucoup de salariés continuent à raisonner en salaire net. En fonction du calendrier de sa mise en application, cette mesure pourrait être intégrée aux négociations annuelles de salaire. Evidemment, les salariés qui n’en bénéficient pas veilleront à obtenir une compensation. Au final, bien malin celui qui pourra démêler les gagnants et les perdants.
Quant à la réduction des charges patronales, la question clé est celle des contreparties. Il faut lire et relire la conférence de presse du 14 janvier dernier : "Elles doivent être définies au niveau national et déclinées par branches professionnelles. Elles porteront sur des objectifs chiffrés d'embauches, d'insertion des jeunes, de travail des séniors, de qualité de l'emploi, de formation, d'ouvertures de négociations sur les rémunérations et la modernisation du dialogue social". Alors, cet engagement solennel du Président de la République est-il déjà obsolète ? Le short termism des hommes politiques va-t-il à nouveau frapper au point qu’on aurait renoncé à  l’Observatoire des contreparties ? Voilà une clé, parmi d’autres de l’efficacité des politiques de réduction des charges sociales.
Christophe Boucher : Ces annonces apparaissent d’inspiration très libérale et font le pari qu’une politique de l’offre en faveur des entreprises et des ménages les plus modestes générera un choc  fiscal susceptible d’améliorer la compétitivité-prix des entreprises françaises et des créations d’emploi pour les travailleurs les moins qualifiés. Les études menées depuis deux décennies confirment que les baisses de coût du travail sont d'autant plus efficaces sur l'emploi qu'elles sont ciblées sur les bas salaires. On peut donc s’attendre  à un impact sur l’emploi des allégements de charges au niveau du smic.Les effets sur l'emploi pourraient être très importants, en particulier dans les services aux personnes et aux entreprises, ainsi que dans le commerce et la construction. 
Pour éviter une concentration des emplois au niveau du smic et favoriser les progressions salariales, il faut que l'essentiel des exonérations soit concentré sous le salaire médian, soit environ 1,6 smic. Au-delà de 1,6 smic, les allégements de charges produisent le plus souvent des hausses de salaires et moins de créations d’emploi. Toutefois, pour les entreprises à forte valeur ajoutée, la compétitivité des entreprises se joue bien ailleurs que sur le coût du travail le moins qualifié. Le renforcement de la compétitivité de ces entreprises passe par des mesures plus structurelles, comme le développement de l'enseignement et la recherche, une formation professionnelle plus efficace ou leur financement.
Par ailleurs, le soutien au pouvoir d’achat des ménages les plus modestes grâce à la baisse des cotisations payées par les salariés au smic est un dispositif qui va dans le bon sens. Toutefois, pour le moment, la question est de savoir s’il s’agit de réduire les ressources de l’Unedic, des régimes de retraite ou de l’assurance  maladie.
Philippe Crevel : Le taux des  cotisations URSAFF est de 4 % appliqué à un salaire jusque dans la limite de quatre fois le plafond de la sécurité sociale soit environ 18 milliards d’euros si cela était appliqué à tous les salariés La suppression des charges sociales au niveau du SMIC représentera un gain pouvant atteindre 188 euros pour un employeur. L’idée est de redonner de l’air aux entreprises dont le taux de marge a dégringolé dangereusement et qui se situe autour de 25 % contre plus de 40 % en Allemagne. Si sur le SMIC, l’effort sera modeste et vise à terminer le processus d’exonération de charges sur les bas salaires. Cette mesure vise à faciliter la création d’emplois. A court terme, elle peut avoir un impact mais elle risque d’empêcher l’élévation en gamme de la production française. Notre combat est d’emmener le maximum de salariés sur le haut de gamme et non de concurrencer les Chinois. A cette fin, il faudrait mettre en place un système progressif de cotisations sociales pour lisser les effets de seuil. L’instauration d’un abattement de charges de salaires sur les 500 premiers euros de salaire pourrait être imaginé.
Jean-Marc Sylvestre : La suppression, pour les salariés au smic, et l’allègement pour les autres est sans doute la décision la plus spectaculaire. Elle répond à une demande récurrente des organisations patronales et surtout les PME-PMI... Le crédit impôt-compétitivité d’un coté, qui commence à être versé et que les entreprises découvrent et ne refusent pas, puis l’allègement des charges de l’autre, à partir du 1er janvier 2015 ou 2016, va forcément provoquer un impact positif sur l’emploi et notamment l’emploi des jeunes. Mais quand ? C’est mille fois plus intelligent que les emplois d’avenir ou les emplois aidés, qui disparaissent quand l’aide est suspendue.

Financement et délai

Jacques Bichot : L'endettement de la France et le déficit de ses finances publiques sont excessifs. Supprimer des rentrées, c'est accroître les économies à réaliser pour aller vers une amélioration de ces finances publiques. Or nous le voyons depuis longtemps : nos dirigeants, de droite comme de gauche, sont très malhabiles quand il s'agit de dépenser moins sans pour autant diminuer l'efficience déjà insuffisante de nos services publics. En conséquence, les réductions de cotisations sociales déboucheront sur une moindre réduction du déficit, ou sur la création de nouveaux prélèvements. Ces derniers seront-ils moins nocifs que les cotisations ? En dehors de la TVA, on ne voit pas quel impôt pourrait ne provoquer que des dommages raisonnables. Mais il n'entre probablement pas dans la perspective de la majorité actuelle d'aller au-delà des augmentations de TVA déjà réalisées.
Gérard Thoris : La course contre la montre dans laquelle s’engage Manuel Valls repose sur l’idée que les allègements de charges vont débloquer les décisions d’investissement. Celles-ci vont entraîner embauche et croissance et donc recettes fiscales. Mais comment des entreprises laminées par la pluie de taxes qui s’est abattue sur elles depuis au moins trois ans peuvent-elles avancer les fonds propres qui servent de caution aux banquiers ?
Or, la socialisation des charges sociales équivaut en pratique à un transfert d’une catégorie de salariés sur les contribuables. Cependant, aujourd’hui, les contribuables ne veulent plus payer davantage d’impôts. C’est donc la dette publique qui augmente. En négociant à Bruxelles un report du calendrier d’équilibrage budgétaire, nos ministres de l’Economie et des Finances ont certainement envisagé une négociation avec les principales banques qui acceptent de financer une dette publique croissante. 
Christophe Boucher : Il s’agit surtout de clarifier l’ensemble du dispositif entre le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), entré en vigueur en janvier 2013, le pacte de responsabilité annoncé il y a quelques semaines et les exonérations générales de cotisations des employeurs déjà en place pour les salaires au-dessous de 1,6 smic. Trois dispositifs publics différents coexistent pour atteindre un objectif unique, réduire le niveau global du coût du travail.
Philippe Crevel : Il y a une règle simple : toute exonération de charges sociales doit être compensée. Cette compensation est d’autant plus logique que les régimes sociaux sont en déficit. Les partenaires sociaux viennent d’approuver un accord durcissant l’accès à l’indemnisation chômage afin de réduire le déficit. La suppression de toutes les charges sociales au niveau du smic nécessitera des compensations à tous les régimes sociaux concernés ce qui devrait se traduire par un grand jeu de bonneteau.
Jean-Marc Sylvestre : Le problème de cette mesure c’est qu’elle ne touche pas les jeunes cadres ceux qui, en sortant de leur école d’ingénieurs espèrent gagner 3000 euros par mois. Ce sont eux l’avenir de ce pays. Ce sont eux qui créent de la valeur et qui consomment. Ce sont eux qui partent à l’étranger par milliers, au Canada, auxEtats-Unis ou en Australie. Ils partent pour travailler ou créer des entreprises. Le problème, c’est aussi le calendrier trop flou, trop éloigné de la cible. Quant au financement ? Le mystère ! 

>>> Allègement de la fiscalité des ménages les plus modestes : 5 milliards de réduction d'impôts en 2017 (pacte de solidarité) <<<

Efficacité

Jacques Bichot : C'est une mesure purement démagogique, destinée à redorer le blason du PS auprès d'une partie de l'électorat qui a bien compris qu'il représente la gauche caviar, et à s'assurer si possible la neutralité de l'extrême gauche. Ce dont la France qui souffre de la situation actuelle a besoin, c'est de créations d'emplois et d'accompagnement efficace pour accéder aux postes qui ne trouvent pas preneurs. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dit que chacun, donc aussi les gens modestes, doit participer, "selon ses capacités" aux dépenses publiques ; c'est une question de dignité. L'assistance fiscale est la preuve du mépris des dirigeants pour les Français modestes.
Gérard Thoris : Pour répondre à cette question, il faut savoir comment ces sommes seront redistribuées et comment elles seront financées. Evidemment, l’hypothèse de base est que les plus modestes vont consommer immédiatement ces sommes et que cela va contribuer à relancer la demande. On ne peut exclure néanmoins qu’elles ne contribuent à diminuer l’offre de travail si elles viennent perturber les calculs de droits aux allocations diverses et variées. Par ailleurs, il faut savoir à quoi ces sommes seront utilisées. S’il s’agit de biens ou services importés, c’est un classique, cela ne sert qu’à stimuler les importations. Dans tous les cas, la modestie de la somme (5 milliards €) en fait un davantage un symbole qu’un instrument de relance.
Christophe Boucher : Manuel Valls a annoncé un allègement de la fiscalité sur les ménages modestes, et  en particulier ceux qui sont entrés dans le champ de l'impôt sur le revenu ces dernières années. L’objectif est ici plus social en revenant sur les augmentations d’impôts pour  les bas salaires nouvellement imposés.
Philippe Crevel : L’objectif est de redonner du pouvoir d’achat. 500 euros par an a été avancé par le Premier ministre. Sur le papier, c’est intéressant et cela peut favoriser la consommation qui est, depuis des mois, étalée.

Financement et délai

Jacques Bichot : La réponse est la même que précédemment : toute rentrée en moins doit être compensée par de nouveaux impôts ou par des économies ; or nous ne savons faire ni de bons impôts, ni des économies intelligentes. On voit déjà nos soldats aller au Mali ou en Centrafrique avec du matériel à bout de souffle, et en nombre très insuffisant par rapport à leur mission, parce que la "grande muette" est la victime numéro un des coupes budgétaires. Si Manuel Valls veut vraiment accentuer encore la paupérisation de notre armée, de notre justice, de nos centres de détention, de nos services de suivi et de réhabilitation des délinquants, de notre police, etc., qu'il le dise carrément !
Gérard Thoris : Si cet assouplissement fiscal a pour contrepartie un durcissement fiscal pour les classes moyennes, il est évident que l’effet global de la mesure est nul. En réalité, comme on aura rendu le système fiscal encore plus illisible, il est vraisemblablement négatif car démoralisant pour ceux qui 1/ ne bénéficient pas de l’allègement des charges salariales ; 2/ ne bénéficient pas de l’allègement fiscal !
Christophe Boucher : Pour le moment cette annonce s’est réalisée sans en détailler les modalités mais pour un montant équivalant à 3 milliards d'euros.
Philippe Crevel : Les questions sont  toujours les mêmes, comment finançons-nous cette mesure ? Quelle compensation pour les régimes sociaux ? La CSG sera augmentée ? Les prestations sociales seront-elles plafonnées en fonction du revenu ? Il faudra trouver des solutions…

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