Le 10 juillet 2014 par Sandrine Gorreri
Longtemps soutenu par les pouvoirs publics, la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM) ne s’est pas adaptée au changement d’environnement économique, s’approchant un peu plus chaque jour de la faillite à force de vouloir pratiquer le compromis politique et social. Aujourd’hui, la société doit affronter la réalité : le placement sous la procédure du redressement judiciaire. Quelle que soit l’échéance, cette issue était connue, et tous ceux qui ont soutenu la SNCM, alors même qu’elle aurait dû depuis longtemps entamer sa mue, sont aussi coupables. Une morale qui devrait servir pour le cas d’autres grandes entreprises publiques. Le fait de passer par la case du redressement judiciaire en dit long du gâchis public et syndical sur ce dossier.
La grève de la SNCM est intervenue en pleine saison estivale sabordant les chances que la société renfloue quelque peu sa trésorerie avec l’afflux de touristes se dirigeant vers la Méditerranée. Après 16 jours de grève dure qui aura coûté 10 millions d’euros à la société, les tensions étaient vives entre les professionnels du tourisme et les syndicats – CGT en tête, obligeant le gouvernement à recourir à une médiation.
Une fois encore il aura fallu que la Commission européenne mette les pouvoirs publics français face à leurs
contradictions pour que les choses s’accélèrent, en demandant à l’État français le remboursement de deux fois 220 millions d’euros au titre de l’infraction à la réglementation européenne sur les aides d’État, une somme que, bien entendu, ni la société, ni ses actionnaires ne sont en mesure de payer.
En 2013, la Commission européenne avait conclu que si les compensations de service public reçues par la SNCM au titre de la continuité territoriale pour les liaisons vers la Corse étaient conformes aux aides d’État, le service dit complémentaire était, lui, en infraction. Le service complémentaire était une aide supplémentaire délivrée par la collectivité de Corse pour couvrir les périodes de pointe pendant la saison touristique La Commission avait estimé qu’elles « ne viennent compenser aucun besoin réel de service public, procurant un avantage injustifié à la SNCM ». Un argument balayé par le gouvernement qui, à l’époque, considérait ce service complémentaire comme un besoin réel de service public et une nécessité pour maintenir une concurrence sur le marché.
De son côté, la SNCM avait explicitement désigné Corsica Ferries comme étant à la manœuvre et avait annoncé sa décision de faire appel tout en concluant « nous serrons les rangs afin que cette décision ne renforce pas ceux qui ne croient pas, à tort, à un avenir industriel à la SNCM ».
En parallèle, la Commission avait déjà réclamé le remboursement de 221 millions d’euros d’aides allouées au moment de la privatisation en 2006 sous forme d’avance en capital et avance en compte courant au moment de la reprise par le fonds d’investissement Butler Capital.
Début 2014, la Commission avait réitéré ses demandes de remboursement à l’État français, demandes que le gouvernement n’avait pas souhaité mettre à exécution car il savait que cela condamnerait l’entreprise. Le Canard enchaîné avait même parlé d’un plan alambiqué visant à renflouer la société à hauteur de 800 millions pour lui permettre d’acheter 4 navires.
Actionnariat de la SNCM | Parts du capital social |
---|---|
Etat | 25% |
Salariés | 9% |
Veolia Transport (dont Caisse des dépots) | 66% (33%) |
Mais finalement l’État, via les administrateurs, n’avait pas soutenu le plan de redressement présenté par le directoire, tandis que le patron de Véolia co-actionnaire, avec la CDC de Transdev actionnaire à 66% de la SNCM, avait déclaré vouloir mettre la société sous redressement judicaire. Depuis, Véolia a réaffirmé son souhait de revendre sa participation pour 1 euro. Et le gouvernement a, par la voix du ministre des transports, déclaré la nécessité de mettre la société sous redressement judiciaire, décision confirmée par le Premier ministre, même si ceux-ci ont, pour débloquer la grève, annoncé un sursis jusqu’à la fin de l’année.
De décision en revirement, le mouvement de grève n’est pas arrêté mais seulement suspendu et il est probable que les difficultés reprendront de plus belle à l’issue du moratoire. Les syndicats craignent à juste titre que la mise sous redressement signifie la soumission de l’entreprise à des repreneurs potentiels. Une précédente offre de reprise par une compagnie maritime norvégienne avait pourtant été découragée.
Dans cette dégringolade, les syndicats qui ont, avec la menace permanente de la grève, obtenu d’innombrables concessions de la direction, même après la privatisation, ont une grande part de responsabilité. Les salaires des personnels de la compagnie sont édifiants :
- Assistant maître d’hôtel : 3.352 euros net par mois,
- Assistant mécanicien : 3.751 euros,
- Garçon : 2.288 euros.
Le nombre de jours de congés y est aussi de 182 jours par an selon un rapport commandé en 2013 par le ministre des Transports alors que la direction évoque plutôt 169, ce qui fait quand même presque autant de jours travaillés que de congés dans l’année.
Quant aux rotations : alors que son concurrent Corsica Ferries, fait repartir après deux heures d’escale le bateau qui fait la traversée vers la Corse, le bateau de la SNCM passe, lui, la nuit au quai, à Ajaccio.
Tous ces accords – 324 signés depuis 2006 – ont lentement mais sûrement coulé le navire SNCM. L’attitude des responsables politiques est tout aussi coupable que celle des syndicats :
la complaisance des politiques locaux à Marseille vis-à-vis du pouvoir syndical ;
la complaisance de la société Véolia engagée dans d’autres délégations de services publics à Marseille et qui ne voulait pas de vagues ;
celle de l’État qui n’a pas voulu sortir cette affaire avant les municipales et qui maintenant fait la leçon à la CGT en pointant du doigt les sureffectifs ;
celle aussi de la collectivité de Corse qui a écarté les propositions du concurrent Corsica Ferries pour assurer la délégation de service public sont autant d’attitudes saisissantes.
la complaisance des politiques locaux à Marseille vis-à-vis du pouvoir syndical ;
la complaisance de la société Véolia engagée dans d’autres délégations de services publics à Marseille et qui ne voulait pas de vagues ;
celle de l’État qui n’a pas voulu sortir cette affaire avant les municipales et qui maintenant fait la leçon à la CGT en pointant du doigt les sureffectifs ;
celle aussi de la collectivité de Corse qui a écarté les propositions du concurrent Corsica Ferries pour assurer la délégation de service public sont autant d’attitudes saisissantes.
Et ce sans compter l’influence de l’autre syndicat très actif de la SNCM : le STC – syndicat des travailleurs corses – à l’origine du fameux détournement du bateau Pascal Paoli par les marins corses avant d’être repris par le GIGN en 2005. Les responsabilités sont donc largement partagées. Et bien entendu, une telle succession d’impérities a découragé tout éventuel repreneur.
Pax : Passagers, PDM : Part de marché (Source l’Observatoire Régional des Transports de la Corse)
Voir notre précédente note SNCM, Corsica Ferries : le contribuable aussi peut être gagnant
Cette affaire est assez symptômatique de la situation du monopole public bousculé par l’arrivée de la concurrence : à partir des années 2000, la société Corsica Ferries, autorisée à opérer des liaisons depuis Toulon à destination de la Corse, a bousculé les habitudes de l’opérateur historique avec ses méthodes du low cost (rotations plus nombreuses, rationalisation du personnel) et surtout en appliquant des salaires moins élevés. La société battant pavillon italien a plusieurs fois été accusée de ne pas respecter les règles du cabotage maritime sans être à notre connaissance mise en cause. Très vite, elle a grignoté des parts de marché à la SNCM. Mais la crise, l’environnement nettement plus compétitif dans le domaine des transports de voyageurs, etc. auront raison des plans de sauvetage successifs. L’attitude des salariés, très mal préparés aux réalités économiques et très mal conseillés par leurs syndicats est compréhensible. Elle n’est pas sans rappeler d’autres dossiers comme SeaFrance, ou Sernam. Ces deux filiales de la SNCF qui, dans le giron d’un opérateur public, n’avaient pas cherché à s’adapter pour se maintenir sur ces marchés. Tous ces exemples montrent à quel point l’État, et au sens large les pouvoirs publics, devraient avoir la sagesse de s’en tenir à mettre en place un environnement économique et social favorable à la croissance et à l’emploi sans s’immiscer dans la gestion des entreprises.
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