Voici bientôt dix ans que les économistes Alberto Alesina et Edward Glaeser publiaient Combattre les inégalités et la pauvreté. Les États Unis face à l’Europe. Après avoir disséqués les facteurs économiques qui auraient pu être à l’origine des écarts de dépenses sociales entre les deux continents, les auteurs aboutissent à une conclusion étonnante : aucun facteur économique ne permet de justifier ces écarts. Selon eux, deux facteurs historiques en sont la source : la question des institutions et la question raciale.
« Nous avons soutenu qu’environ la moitié de l’écart euro-américain dans les dépenses sociales peut s’expliquer par des différences d’institution politiques : système électoral majoritaire contre représentation proportionnelle, fédéralisme et séparation des pouvoirs contre centralisation. En Europe, les institutions ont été en partie un legs de la puissance politique et militaire de la gauche, qui a réussi à dominer les petits pays industrialisés en temps de paix et les grands au lendemain de guerres épuisantes »
L’autre moitié de l’écart trouve sa source dans une cause moins avouable. Celle-ci repose sur l’idée de la « fragmentation raciale » : « Il existe de nombreux moyens de mesurer la diversité mais l’un deux paraît particulièrement
adapté : l’indice de fragmentation. Il indique quelles sont les probabilités pour que deux individus pris au hasard dans une population appartiennent à des groupes différents sur le plan racial, ethnique ou religieux ».
Et cet indice de fragmentation diverge de façon importante entre les deux zones considérées « Historiquement, la langue, la religion, la culture, l’origine géographique ont divisé les groupes humains. Or, pratiquement sur tous ces plans, de nombreux pays européens, en particulier les petits, sont d’une remarquable homogénéité. Même aujourd’hui, en dépit de la rhétorique politique sur l’immigration, plus de 90% des habitants de ces pays sont des suédois des néerlandais ou des allemands « de souche ». Autrefois, le pourcentage était encore plus élevé ». « Les Etats Unis, en revanche, sont et ont toujours été bigarrés. Au niveau national, 75.1% des habitants se déclarent blancs, 12.3% afro américains, 3.6% asiatiques et 5.5% disent appartenir à deux races ou encore davantage »
L’importance de cette différence entre les deux continents joue un rôle majeur. En effet, l’analyse des chiffres « montre la relation fondamentale entre fragmentation raciale et dépenses sociales en pourcentage de PIB. Le lien est tout à fait frappant. La corrélation globale entre hétérogénéité et redistribution est de -66%. Dans le groupe des seize pays ou la fragmentation raciale est supérieure à 40%, le maigre pourcentage du PIB consacré aux services sociaux représente en moyenne 2.42%. Dans cette catégorie de pays, le pourcentage maximum du PIB dépensé à des fins sociales est de 7.19% (au brésil), et les États Unis se classent seconds en générosité puisqu’ils consacrent 6.96% de leur PIB aux services sociaux ».
« Le groupe des pays homogènes sur le plan racial est entièrement différent. Dix-sept pays ont des valeurs de fragmentation raciale inférieures à 10%. Dans cette catégorie, le niveau moyen des dépenses sociales est de 12.87%. Et leur niveau minimum représente 1.5 fois le niveau moyen de l’ensemble des pays ethniquement diversifiés. »
La conclusion est claire « la fragmentation raciale est le meilleur facteur prédictif des dépenses sociales ». « Les partisans de l’état providence tentent en général de prendre appui sur les différences de classe ; les clivages raciaux, religieux ou ethniques écartent de ces distinctions-là et il devient plus difficile de forger une identité de classe commune ». L’empathie est plus grande au sein même d’un groupe ethnique, culturel et religieux. « Les contribuables seront automatiquement plus favorables aux dépenses sociales quand les prestations vont à des gens qui leur ressemblent physiquement et socialement ».
La théorie développée par les deux économistes trouve un écho actuel dans la réforme des dépenses sociales aux Etats Unis, dite Obamacare. Le magazine The Economist, dans un article du 7 décembre intitulé « Pourquoi les américains sont-ils tellement en colère ? », indique :
«Considérez la crise actuelle de l’Obamacare. Oubliez les cafouillages informatiques, les sites peuvent être réparés. Le problème du Président est que les électeurs voient son plan comme un soutien aux pauvres plutôt que comme un moyen plus efficient de délivrer l’aide médicale. Ce qui met en évidence une « sale » division. Plus concrètement, une majorité de blancs pense que cette loi va leur rendre la vie plus difficile, comme le suggère un sondage du National Journal, alors que les « non-blancs » pensent que cela va les aider. Ce qui concorde avec le grand changement des 15 dernières années: l’effondrement du soutien des conservateurs pour les politiques de redistribution »
Sur ces bases les économistes Alberto Alesina et Edward Glaeser formulaient une prédiction dans leur ouvrage datant de 2004 : «En Europe occidentale, la composition ethnique est en train de changer. L’immigration en provenance d’Afrique du Nord et d’Europe de l’Est va rendre la région moins homogène. Et l’extrême droite européenne joue déjà la carte raciste pour s’opposer aux politiques sociales. Nous prédisons qu’avec la montée de l’hétérogénéité en Europe, même la droite « respectable » va évoluer dans cette direction ».
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