lundi 15 septembre 2014

François Hollande et la liste de nos réformes

Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, agrégé de philosophie, Gaspard Koenig est Président du think-tank GenerationLibre.

Dans la célèbre histoire de la Révolution française écrite par François Furet, on peut lire que, à l'époque des cahiers de doléances, «la Révolution est déjà anticipée dans beaucoup d'esprits, mais les Français dans leur masse attendent encore de Louis XVI les réformes qu'ils jugent indispensables».
Aujourd'hui, les Français dans leur masse attendent-ils encore du pouvoir les trop fameuses réformes-que-tout-le-monde-connaît-mais-que-personne-n'a-le-courage-de-faire? Leur liste est en effet connue, répétée, ressassée jusqu'à plus soif dans les rapports de l'OCDE ou du FMI, les publications du Conseil d'analyse économique ou les écrits des savants professeurs: assouplissement du marché du travail en faveur
des exclus d'aujourd'hui (jeunes et chômeurs), coupes budgétaires pour préserver nos enfants de la banqueroute, ouverture à la concurrence des services afin de faire baisser les prix, suppression des rentes qui inhibent les outsiders, passage à la retraite à points pour mettre fin à l'injustice générationnelle, allégement du fardeau fiscal et administratif qui pèse sur les entrepreneurs, libéralisation du foncier pour relancer la construction, réforme d'un État aujourd'hui ventripotent et maladroit, etc., etc. Ces idées agitaient déjà les cercles de gauche réformiste et de droite libérale dans les années 1980, et nos batailles ressemblent tristement à celles de nos aînés.
De fait, la France est atteinte de ce que j'appellerai le syndrome Des Esseintes, du nom du héros de Joris-Karl Huysmans dans son roman À rebours, apothéose du symbolisme Belle Époque. Dandy extrême, Des Esseintes envisage un jour de se rendre à Londres. Il s'y prépare avec un soin maniaque, se pénétrant de littérature britannique, s'entourant d'objets de style anglais et dégustant des whiskies fumés, tant et si bien qu'il finit par se sentir à Londres «dont les senteurs, dont l'atmosphère, dont les habitants, dont les pâtures, dont les ustensiles, l'environnaient». Pourquoi partir, alors? «Maintenant il faudrait se précipiter aux guichets, se bousculer aux bagages ; quel ennui!, réfléchit Des Esseintes. Il faudrait être fou pour aller perdre, par un maladroit déplacement, d'impérissables sensations.» Et le voilà qui renvoie ses malles, soucieux de ne pas gâcher son voyage spirituel par le contact toujours décevant avec la réalité.
Comme Des Esseintes, l'intelligentsia française a si bien et depuis si longtemps pensé les «réformes structurelles», conceptualisé leur fondement théorique, imaginé leur déroulé dans le moindre détail, chiffré leurs effets à court et moyen terme, que plus personne ne se donne la peine de les mettre en œuvre. Quel ennui! Libre à ceux qui veulent goûter la réalité d'une société plus libre de prendre un aller simple pour Londres, devenue en quelques années la sixième ville de France.
Hélas, le monde charmant de fumigations et d'incantations dans lequel se complaisent nos Des Esseintes est en train d'exploser sous l'effet d'une triple crise fiscale, sociale et politique. Allons-nous devoir nous atteler à l'ennui des réformes structurelles? En un sens, il est trop tard. Notre chance serait donc de pouvoir sauter les réformes de la mondialisation comme on saute une classe, pour lancer directement celles de la révolution technologique, et réenchanter la politique par un libéralisme moderne.
Car notre monde soudain hyperconnecté promet à la fois une autonomie individuelle sans précédent et de nouvelles possibilités d'autorégulation. Qu'est-ce que «l'économie du partage» sinon l'apothéose du capitalisme populaire, affranchi de tout intermédiaire? L'essor de modes de travail alternatifs et autonomes n'annonce-t-il pas la disparition de l'opposition salariat/chômage, remplacée par des activités continues et multiples, variables en intensité comme en durée? Les start-up disruptives ne menacent-elles pas tous les marchés établis, des taxis aux banques? L'avènement du low-cost ne permettra-t-il pas de démocratiser l'accès à la plupart des produits et services? Le streaming, les MOOCs et demain l'e-santé ne nous font-ils pas entrer dans le règne du sur-mesure? Les réseaux sociaux ne constituent-ils pas une nouvelle forme d'agora?
Cette nouvelle ère, à la fois plus créative et plus risquée, implique cinq réformes majeures que le think-tank Générationlibre étudie: restructuration de la dette publique (défaut partiel, ordonné et proactif) pour faire tabula rasa des erreurs passées ; généralisation de l'autoentrepreneur comme nouvelle norme de l'emploi, chacun devenant son propre patron ; mise en place d'un revenu universel (sous forme d'impôt négatif) pour garantir un véritable filet de sécurité et rationaliser le système socio-fiscal ; abolition de l'archaïque statut de la fonction publique, auquel se substituerait le principe d'autonomie locale pour les services publics ; démocratie digitale directe, sur le modèle des votations suisses, pour redonner aux citoyens leur pouvoir de décision.
Voilà à tout le moins les questions que nous devrions nous poser. Ne nous trompons pas de révolution!

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