Chers encore élus,
Que s’est-il passé dimanche dernier à Brignoles ? Vous avez tous perdu. Tous. Ceux qui ont soutenu le Front républicain l’ont fait sans joie, sans foi, seulement pour se défendre. Là est la véritable défaite, cruelle : les gens qui vous soutiennent ont perdu tout enthousiasme. La fièvre est en face, aussi mauvaise soit-elle. Ce fragment de notre territoire a confirmé sa détermination à virer les partis qui depuis trente ans réclament nos suffrages pour ne pas gouverner, pour ne pas défier franchement le réel. La fin du déni de réalité a sonné dans les esprits, bien au-delà de Brignoles. Trente ans d’étatisme stérilisant de gauche et de droite, de fameux « modèle que le monde nous envie », se soldent par l’irruption du pire, par l’exaltation de non-solutions dont il ne sert à rien de dénoncer l’évidente sottise. La révolte de notre grand peuple a débuté. A force de tondre la nation, les crânes rasés déboulent à présent derrière de jeunes élus proprets.
Alors je m’adresse ici à tous ceux qui prétendent encore au leadership de notre République. Serez-vous les chefs de la révolte encore sourde qui monte de partout, de nos régions en capilotade, de nos professions paupérisées et de nos familles désemparées dont les enfants rêvent d’émigration ? Oui, serez-vous des chefs de révolte joyeuse ou continuerez-vous à coopérer avec un système délité qui, peu à peu, ligue les colères, liquide sûrement notre plaisir à vivre ensemble et néantise l’élan des Français nés pour la liberté ? Cesserez-vous de collaborer avec un système politico-administratif débile qui, à un moment ou à un autre, va exploser durement par je ne sais quel enchaînement ? Aurez-vous assez de cœur pour entrer en désobéissance civile, assez de courage et d’amour fou de la France pour assimiler vite les leçons d’un Gandhi qui, sans violence aucune, cessa un jour de coopérer avec ce qui, en réalité, ne pouvait plus durer. Ou, éternels cajoleurs, attendrez-vous sagement que les Français vous virent les uns après les autres parce que vous n’aurez pas su rompre avec vous-mêmes, avec vos réflexes obsolètes ? Soyez des chefs de révolte ! Oubliez ce que vos maîtres vous ont appris dans vos écoles, vos cadres de pensée ! Inventez vos modes de non-coopération symbolique et réelle ! Grisez-nous d’audaces. L’Histoire va reprendre ses droits ; et elle le fera avec ou sans vous.
Il y a une folie pure à laisser le FN incarner seul le besoin de révolte de la Nation. Il n’est pas raisonnable d’être trop raisonnable quand gronde la France dans ses profondeurs. Les républicains ne peuvent plus être un club de conservateurs effrayés qui n’envisagent que des réformes à la marge, un assemblage de timorés policés, de partisans de l’action de façade, de fâchés avec la joie de réinventer drastiquement la France. Le boucan de la réforme doit revenir par eux. Les choses étant ce qu’elles sont, oserez-vous sortir du cadre avec une générosité charlienne (de G.) ? Sarkozy, seras-tu enfin mieux que toi, désencombré de ton ego dilaté, enfin amoureux du génie de la société civile ? Fillon, seras-tu l’homme que tu n’as jamais osé être ? Copé, seras-tu capable de t’inventer homme de risque réel, soldat de vraie rupture ? Hollande, resteras-tu un secrétaire général du parti socialiste louvoyant face au réel abrupt ? Fabius, sauras-tu t’inventer le destin culotté que tu as longtemps cherché ? Aubry, seras-tu l’inventrice d’une gauche vraiment éprise du réel ? Royal, courras-tu le risque de sortir du cadre classique dont, malgré toutes tes rodomontades, tu n’es jamais sortie ? Valls, sentiras-tu que l’heure est à la fronde audacieuse, pas aux génuflexions devant la prudence ? Cesse de calculer ! Aime la France ! Borloo, Bayrou cessez vite de jouer à la belote ! Dormez-vous ? Juppé, quitteras-tu tes habitudes flegmatiques d’élève surdoué ? Serez-vous, enfin, les uns et les autres des porteurs de joie authentique, prêts à chevaucher la part de désordre qui accompagne nécessairement la renaissance d’un grand peuple comme le nôtre ? Serez-vous des chefs de rupture ?
Quelle peur mystérieuse vous retient-donc ? Savez-vous seulement la nommer ? La société vous supplie de tout valdinguer avec bonheur et vous continuez tous à faire « comme avant ». Etes-vous déjà morts ? La France vous implore chaque jour de ne pas la laisser se donner au FN et, incapables de vous enivrer, de vous révolter, vous la laissez s’aventurer dans des zones hors de contrôle. Etes-vous devenus fous ? Comment vos intelligences ne voient-elles pas ce qui est évident pour nous tous : la nation au front brûlant ne joue plus le jeu. C’est fini, le désir que tout continue comme avant n’existe plus dans aucune profession. A bout, les gens utilisent le FN parce qu’ils n’ont, pour l’instant, pas d’autre solution. La France cherche des retourneurs de table et aucun d’entre vous ne modifie sa conduite, ne s’octroie les grandes libertés qu’elle espère. Faut-il que les plus vivants de vos partis vous évacuent brusquement de la scène et osent se révéler chefs d’espérance ? Les Laurent Wauquiez, les Rama Yade, les Benoist Apparu, les Gérard Collomb, les Julien Dray, les Jérôme Chartier, les Edouard Philippe, les grands maires de gauche ?
Sinon, faute de leader providentiel, ne restera plus qu’à réveiller un peuple providentiel. Des gens de cœur, incapables d’admettre de vivre sous le régime de Marine Le Pen, se lèveront alors et feront librement le boulot que vous n’aurez pas osé accomplir. De manière charlienne (de G.), en y mettant toute la joie française que vous n’aurez hélas pas trouvée en vous-mêmes. Je vous en supplie, chers encore élus, faites ce boulot qui, après tout, est le vôtre. Laissez-nous mener nos vies de simples citoyens. Entrez en révolte, cessez calmement de coopérer avec les institutions, changez non de discours mais de conduite. On ne croira que vos actes. La France mérite votre courage. Comme Charles jadis, visez haut et tenez-vous droit. Vous n’avez plus rien à perdre : sauf dans les communes, plus personne ne vote pour vous avec foi.
Et par pitié, ne nous servez plus le discours lénifiant sur le respect scrupuleux des institutions. La piété républicaine et l’amour supérieur de la France exigent parfois de ne plus jouer le jeu. Paisiblement mais fermement, avec civisme. Soyez lucides, quittez tout déni : les circonstances ne permettent plus de se conduire classiquement. Ne laissez plus le FN être l’unique chemin de la révolte.
Alexandre Jardin vient de publier Mes trois zèbres, chez Grasset.
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