Posted On 17 oct 2013y : Guy Millière
J’ai passé huit jours sans écrire un seul article. Délibérément. J’avais besoin de prendre de la distance.
J’avais, surtout, besoin de prendre de la distance avec la France telle qu’elle est aujourd’hui. Et je le dis avec tristesse, ce pays où je suis né est devenu pathogène pour moi, comme il l’est pour des millions de gens.
Si je n’avais à m’occuper de mon père, très vieux et malade, je serais sans doute déjà parti. Avec un aller simple.
Vue de loin, la France est un pays qui ressemble de plus en plus à un asile d’aliénés. Tout ou presque y semble fait pour rendre la vie quotidienne plus triste, plus épuisante, plus stérile. Alors qu’un gouvernement dans une société libre devrait oeuvrer pour faciliter l’existence de la population, le gouvernement français semble oeuvrer sans cesse pour harceler, amoindrir, asservir, fermer l’horizon. Le gouvernement français est issu d’élections démocratiques et semble être celui d’une société libre, mais les élections ne cessent d’amener au pouvoir des gouvernements qui asphyxient la liberté, puis l’asphyxient davantage encore.
Lus de loin, les journaux et magazines français incarnent un vide intellectuel lui-même pathétique et grotesque. Pour la plupart, je ne les lis plus que pour voir à quel point l’information y est remplacée par la désinformation et à quel degré les débats y sont ineptes, débiles, débilitants. Seuls Valeurs actuelles, le blog d’Ivan Rioufol dans le Figaro, une page ou deux ailleurs, sauvent l’honneur. C’est très peu. Infiniment peu.
Observée de loin, la société française semble tellement détraquée que le mal dont elle est atteinte paraît irrémédiable. Des gens dont l’usine ferme pensent que c’est en allant trépigner dans les rues de Paris en soufflant dans des cornes de brume qu’ils vont préserver leur emploi. Ailleurs, des juges font fermer des magasins qui ouvrent le dimanche ou tard le soir pour accroître les chiffres du chômage. Les coulées de béton qui asphyxient la circulation ne cessent pas et le pays devient, dans toutes les zones urbanisées, d’une laideur monolithique repoussante et lugubre. Les criminels sont aisément relâchés et les automobilistes qui ont pour seul défaut d’utiliser leur automobile sont traités comme des criminels en puissance.
Pas un seul dirigeant politique, et quasiment pas un seul journaliste ne semble capable d’expliquer ce que nous devons au capitalisme, que nous sommes dans une ère post-industrielle, qu’une société qui ne veut pas sombrer doit abaisser les coûts de transaction, libérer l’initiative individuelle, favoriser la créativité, considérer que le capital intellectuel est essentiel.
Je ne peux que plaindre ceux qui n’ont pas de points de comparaison ou qui, ne lisant pas l’anglais, qui est la langue mondiale du présent, ne disposent d’aucun repère.
En pensant à eux, en songeant à la tristesse qui imprègne tant de visages en France, je songe à une affiche qui couvrait les murs de Paris il y a trois décennies. C’était peu après l’élection de François Mitterrand à la présidence du pays. On y voyait un petit garçon demander à son père, « dis papa, qu’est ce que c’est, être libre? ». La légende de l’affiche était « il n’a connu que le socialisme ». A l’époque, l’affiche annonçait un futur très sombre et chargé de servitude. Nous sommes dans ce futur. Il reste des Français qui ont connu autre chose que le socialisme, mais leur nombre s’amoindrit sans cesse. Bientôt, nul ne demandera plus ce que c’est, être libre. Les Français penseront qu’être libre, c’est vivre dans l’asile d’aliénés, et se taper la tête contre les murs.
Vue depuis les Etats Unis, la France est un pays totalitaire. Porteur d’un totalitarisme soft, cotonneux, aux senteurs émétiques de chloroforme.
On y pratique le pluralisme : à condition que le choix soit entre des socialistes et d’autres socialistes. On y respecte la liberté de pensée : à condition que ceux qui ne sont pas socialistes sachent garder leurs idées pour eux-mêmes, acceptent d’être ostracisés, marginalisés, ou, à la rigueur, de participer à des débats qui ressemblent au célèbre pâté d’alouette, composé d’un cheval et d’une alouette, un cheval de cent minutes pour les idées socialistes, une alouette d’une minute pour des idées non socialistes.
L’avantage effroyable du totalitarisme hard est que les blessures qu’il infligeait étaient visibles et douloureuses. Le totalitarisme soft inflige des blessures invisibles, reprogramme les cerveaux en douceur, et conduit ceux qu’il broie vers une lente agonie et une existence agonisante. Sans qu’ils réagissent.
J’écris ces mots dans un avion, en sachant trop bien ce que je vais trouver à l’atterrissage, et en attendant déjà avec impatience le moment où je vais repartir.
J’aimerais encore aimer ce pays, mais je ne le peux guère. Ou plus exactement, je ne peux aimer ce que ce pays est devenu.
J’ai cessé de penser qu’un sursaut serait possible. Sinon, peut être, dans le moyen terme. Et j’insiste sur les mots « peut-être » et « moyen terme ».
J’hésite fortement à écrire encore des livres. Nous sommes dans l’ère de la « connaissance inutile » dénoncée voici des années par Jean-François Revel. Qui lit encore des livres ? « La femme parfaite est une connasse » semble être proche de la tête des ventes, suivi de « Cinquante nuances de Grey ». Alain Finkielkraut tire son épingle du jeu, mais je dois dire que ses circonlocutions sur l’identité française me semblent tourner en rond, ce qui rend le livre très acceptable pour des journalistes qui tournent eux aussi en rond (je reviendrai, peut-être sur le livre de Finkielkraut). Je ne sais pas tourner en rond. Je ne sais pas non plus enfiler des perles ou faire un collier de nouilles.
J’écris des articles pour ceux qui sont déjà partis, et qui me lisent depuis le lointain, tels ces amis rencontrés à Glendale, Californie, dimanche dernier. J’écris pour ceux qui ne sont pas encore partis ou qui ne peuvent pas partir et qui, comme moi, ne supportent plus d’être à l’intérieur de l’asile d’aliénés (j’ai l’immense avantage, je le sais, de pouvoir partir souvent). J’écris pour ceux qui ne supportent plus le totalitarisme soft qui structure l’asile d’aliénés.
Les autres ne me lisent pas. Ou leurs neurones sont tellement détériorés qu’ils ne comprennent de toute façon pas ce que j’écris. Cela n’a aucune importance.
Mes valeurs sont celles défendues et illustrées par des hommes tels que John Locke, Friedrich Hayek, Leo Strauss. Mais dans l’époque où nous vivons en France, John Locke est un inconnu, Friedrich Hayek est confondu avec le créateur des montres Swatch, et Leo Strauss est vu par les gens qui s’imaginent cultivés comme le penseur juif dont l’ombre rode derrière les idées néo-conservatrices, donc presque un nazi, ce qui est logique pour un penseur juif qui a fui l’Allemagne lors de l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler, non?
Un journaliste de Marianne a récemment qualifié dreuz de site fasciste d’extrême droite parce que dreuz défend des idées proches de celles de John Locke, Friedrich Hayek, Leo Strauss. Pour lui, le néo-conservatisme né des idées d’un penseur juif ayant fui le nazisme et l’antisémitisme est fasciste, donc quasiment nazi. Les idées libérales qui ont fondé les démocratie et les états de Droit du monde qui parle anglais sont des idées d’extrême droite, ce qui veut dire sans doute que pour lui, il n’y a aucune différence entre Thomas Jefferson, Winston Churchill, Adolf Hitler et Benito Mussolini. J’attends un article dans Marianne expliquant que les cercles sont carrés, que la guerre c’est la paix et que la vérité c’est le mensonge. Cet article viendra, j ’en suis sûr.
Pauvre pays. Vraiment. Pauvre pays.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Guy Millière pour Dreuz.info.
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