vendredi 15 août 2014

Le Droit, la Force, la Raison et le Calcul…

Ecrit le 15 août 2014 à 0:27 par Christian Vanneste dans Poing de vue
 
Le vieux débat entre le réalisme et l’idéalisme est au coeur de l’actualité. « Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force » écrivait Pascal avec le cynisme janséniste à l’égard des choses du monde. Rousseau pensait au contraire que le droit était indépendant de la force, qu’il était moral et non physique. L’idéologie qui a animé la pensée exprimée par l’Occident, la création de l’ONU, la construction européenne ont donné raison à Rousseau et à son admirateur, kant, qui croyait possible de bâtir un projet de Paix Perpétuelle sur la raison universelle capable de transcender « la méchanceté de la nature humaine ». Cet idéal était celui proclamé par le Monde Libre face à l’Empire du Mal, ce qui n’empêchait pas le premier de s’appuyer avec réalisme sur les dictatures et les coups d’Etat pour vaincre le second. Sa morale en avait pris un coup lors de la guerre du Vietnam. Sa victoire théoriquement fondée sur la libération et le passage à la démocratie de l’Afghanistan, conformes au projet kantien, a été obtenue paradoxalement grâce à des groupes très éloignés de ces nobles principes et soutenus par des pays qui ne se contentent pas de les ignorer, mais les combattent partout où ils le peuvent.
Faisant fi de ces contingences, libéré de l’obstacle soviétique, l’Occident vainqueur a voulu transformer l’essai. Pendant les années 90, une idée forte s’est imposée, le Droit d’ingérence. Désormais, l’Etat souverain, maître de la force devait rendre des comptes, se soumettre au droit. Et
s’il n’obtempérait pas, la force juste pouvait l’y contraindre. Avec ou sans l’accord préalable de l’Onu, des nations démocratiques pouvaient intervenir sur le territoire d’un Etat portant atteinte aux droits fondamentaux de sa population jusqu’à se livrer au génocide. Comme le reconnaît Kofi Annan dans ses Mémoires, la plupart du temps, l’ONU, ralentie par les divisions de ses membres, son fonctionnement administratif, parsemé de réunions et de rapports, s’est contentée de suivre. Néanmoins, les défaites des Serbes en Bosnie et au Kosovo, et la traduction de leurs chefs devant le Tribunal Pénal International ont illustré ce processus. Auparavant, l’ONU n’intervenait que pour mettre fin à l’agression d’un Etat contre un autre, comme dans la première guerre du golfe ou pour séparer avec leur accord les combattants d’une guerre civile. Elle pouvait maintenant soutenir des séditions contre un Etat oppresseur. Elle devait même s’accuser de ne pas l’avoir fait à temps au Rwanda, où c’est la victoire rebelle qui a fait cesser l’évident génocide. C’est ce principe nouveau, cette « nouvelle norme » qui privilégie la défense des individus par rapport à la souveraineté des Etats qui a justifié l’intervention aérienne franco-britannique contre Kadhafi.
Au bout d’un quart de siècle, l’idéal de Paix perpétuelle s’étiole, la colombe a du plomb dans l’aile. Il y a d’abord des Etats souverains dont la force se situe au-delà du droit, la Chine dont personne ne remettra en cause la souveraineté sur le Tibet et sa manière de l’imposer. Ensuite, le monde est redevenu multipolaire. La Russie et les Etats-Unis en sont revenus à la confrontation, et le Conseil de Sécurité est donc condamné au blocage. Les deux blocs musulmans, sunnite et chiite, ont une conception du droit sans rapport avec le kantisme. Le droit naturel est bien celui du plus fort, lequel ne peut être que celui que le Dieu puissant et miséricordieux aura rendu tel. De plus, le renversement insidieux qui a consisté à mettre le juste du côté de la rébellion contre l’Etat reconnu internationalement a produit logiquement de l’anarchie, comme on le voit en Libye et en Syrie. Enfin, échaudés par les pertes humaines subies sur le terrain, de la Somalie à l’Irak, et leur bonne conscience ébranlée par les mensonges qui ont servi de prétexte à l’aventure irakienne, les Américains répugnent aux interventions directes. On en arrive donc à une situation totalement contraire à la fin espérée. Désormais, on n’ose même plus intervenir contre une rébellion fanatique qui, à coup sûr, pratique le génocide à l’encontre des minorités religieuses, et alors même que l’Etat souverain le demande. Les bombardements actuels n’ont pas l’intensité de ceux pratiqués contre les Serbes en 1999 ou contre l’armée de Kadhafi ! Obama étudie les options pour secourir les Yézidis, en les aidant à s’échapper. Fabius est tout fier d’annoncer que la France va donner des armes sophistiquées aux Kurdes afin de rétablir l’équilibre avec les terroristes de l’EIIL. On ne peut mieux avouer que le but est le statu quo, contenir « l’Etat islamique » autoproclamé, non le détruire.
A la chute de l’Empire soviétique, on pouvait entrevoir un monde unipolaire, un marché mondial des échanges soumis au Droit. C’était le triomphe de la raison humaine sur la folie de la violence et du totalitarisme. Cette grande illusion s’est dissipée. Les raisonnements à court terme, les petits calculs déterminent à nouveau la politique. Ménager les puissances sunnites, la Turquie, les monarchies pétrolières, ne pas favoriser le groupe Syrie-Iran-Russie, songer aux répercussions intérieures notamment sur le plan électoral, telles sont sans doute les mauvaises raisons de ne pas écraser une puissance qui ne détient aucune légitimité, s’oppose radicalement aux droits des gens et ne possède même pas une capacité militaire respectable. Le réalisme est de retour, mais il ne revient pas grandi.

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