Ivan Rioufol est éditorialiste au Figaro. Retrouvez ses chroniques sur son blog.
Le vrai clivage? Ce n'est plus la droite contre la gauche ; cette opposition-là ne produit que de vaines disputes. Ce pourrait être les libéraux contre les dirigistes ; cependant, ce serait considérer l'économie comme la clef de voûte des crises. Or l'inquiétude identitaire, née du rouleau compresseur de la mondialisation, est celle qui, partout, réveille les peuples. Les Écossais, par exemple, semblent attacher de plus en plus de poids à leur libre destin, en dépit des surenchères de Londres pour tenter de faire échec au prochain vote sur l'indépendance. En France, un même désir de retour à la nation originelle fédère de nombreux citoyens, par-delà les partis. Mais c'est l'islam qui, en l'occurrence, sert de révélateur à la fracture politique. Celle-ci oppose ceux qui défendent la pérennité de l'unité nationale
aux partisans de sa dissolution dans la «diversité», au prétexte d'une culpabilisation occidentale enfouie.
Un choix est à faire entre la nation laïque et le communautarisme islamisé. La présidentielle se jouera prioritairement sur ce terrain existentiel, dont dépendent les enjeux européens. L'alternative est cautionnée majoritairement par les classes moyennes, qui trouvent un écho auprès du Front national. Pour autant, ce nouveau clivage n'est pas celui que les dirigeants osent pour l'instant reconnaître. À droite comme à gauche, les élites ont avalisé un multiculturalisme de fait, en renonçant à maîtriser l'immigration de masse et à l'intégrer dans la société d'accueil. Toutefois, l'irrésistible ascension de Marine Le Pen les oblige à ouvrir les yeux et à prendre position. Lui laisser le thème de la nation et de sa protection serait lui offrir la victoire en 2017. Déjà, les derniers sondages la mettent largement en tête au premier tour.
Sous couvert d'un discours républicain présentable, le PS a choisi le camp du différentialisme, théorisé par son think-tank Terra Nova. Le parti héberge les procureurs en «islamophobie», ce concept imposé par l'islam radical pour réfuter toute critique. Si Manuel Valls sait dénoncer l'idéologie islamiste, le premier ministre ne manque jamais une occasion de saluer l'Islam, en étalant ainsi une préférence politique. Défendre les chrétiens d'Irak, martyrisés par le Califat, peut être présenté à gauche comme la manifestation d'une droite «dure» et «raciste». La promesse récurrente d'un droit de vote aux immigrés pour les élections locales est une autre manière de vouloir flatter un électorat conscient du dynamisme de sa démographie. François Hollande lui doit en grande partie son élection.
C'est donc à la droite qu'il revient d'investir ce débat essentiel, pour lequel Bruno Le Maire, Laurent Wauquiez ou Hervé Mariton ont déjà apporté leur soutien. Nicolas Sarkozy, qui fait annoncer son retour, ne pourra se contenter d'un positionnement accommodant s'il veut être un obstacle au FN. Pour avoir choisi cette voie molle et centriste, il est peu probable qu'Alain Juppé conserve les bons sondages qui ont accueilli sa candidature à l'Élysée (voir mon blog). La priorité qu'il met à disqualifier le vote lepéniste et à valoriser la religion musulmane lui fait expressément rejeter l'«assimilation», qui est pourtant l'ADN de la nation. En 2002, celui qui était alors président de l'UMP se disait prêt à suivre l'air du temps qui était à l'altermondialisme, mouvement aujourd'hui disparu. Le multiculturalisme qu'il caresse aujourd'hui avec une semblable légèreté lui réservera la même déconvenue.
Refuser la soumission
La déférence que porte Juppé à l'islam, à l'instar d'une grande partie de la gauche, lui fait dire que «l'islamophobie est un point de clivage» pour l'UMP. Or, il est contradictoire de se réclamer de la laïcité, comme il le fait, et de n'avoir d'intérêt que pour une religion, au prétexte qu'elle est nouvelle et mal comprise. D'autant que la «christianophobie» et la «judéophobie» mériteraient alors, ô combien! les mêmes inquiétudes. Les Français musulmans n'ont pas droit à plus d'égard que les catholiques, protestants ou juifs. C'est pourtant ce que soutient l'ancien premier ministre lorsqu'il dit espérer «inventer une identité heureuse» dans «le respect des différences», comme si la France millénaire était devenue un laboratoire pour l'Homme nouveau. D'autant que Juppé reconnaît: «Jamais, tout au long de mon parcours scolaire et universitaire, on ne m'a proposé d'ouvrir le Coran, dont j'ignore à peu près tout.» Une lecture de Claude Lévi-Strauss (Tristes tropiques) lui ferait peut-être prendre conscience de ce que l'anthropologue appelait «l'intolérance musulmane», qui «adopte une forme inconsciente chez ceux qui s'en rendent coupables».
Cette religion n'est pas un problème, quand elle est contenue dans la sphère privée. La difficulté tient à la démission de responsables politiques qui, comme Juppé et ses néogaullistes, croient pouvoir acheter la paix civile en tenant un discours sur «l'apaisement». Cette crainte du conflit revient à admettre une inaptitude de cette «diversité» à se fondre chez l'autochtone, prié de s'effacer. Or la démarche, approuvée par les sermons sur la non-discrimination, est une soumission à l'islam politique qui exige sa «visibilité» et ne supporte pas la contrariété. Refuser ces intimidations n'est pas s'opposer aux musulmans, comme le soutiennent les «antiracistes» qui hurlent au retour des années 1930. La plupart ne réclament rien. Comparer leur sort à celui des Juifs est une outrance qui n'effraie pourtant pas ceux qui ont choisi d'accélérer la balkanisation de la nation affaiblie.
L'«Appel de Paris»
C'est au nom de ce même islam politique que le Califat commet actuellement d'indicibles cruautés contre les minorités en Irak et en Syrie. Il menace aussi l'Occident qui enfin se mobilise derrière les États-Unis, avec le soutien de certains pays arabes. Ces derniers signes de solidarité s'imposent aussi en France, d'où partent des centaines de jeunes djihadistes pour rejoindre l'État islamique. Mardi, des associations musulmanes ont, sous l'égide de la Mosquée de Paris, pris la défense des chrétiens d'Orient. Certes, leur «Appel de Paris» se garde de voir l'islamisme dans ces barbaries «qui ne peuvent se prévaloir de l'islam». Si le texte critique les «appels inconsidérés au djihad», il ne rejette pas le djihad lui-même. Reste la démarche de bonne volonté, répondant à une société inquiète. Sa vigilance reste le meilleur rempart devant la démission des désabusés.
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