Les mutations rapides de nos sociétés ont conduit à une recomposition de la sociologie politique traditionnelle qui voyait s’affronter une gauche social-démocrate liée aux syndicats et une droite libérale liée aux milieux d’affaires, les extrêmes demeurant marginalisés. Les quatre courants décrits ci-dessous se définissent plus par des sensibilités sociétales bien caractérisées que par des options politiques ouvertement affirmées. Deux d’entre eux affectent la classe moyenne radicalisée alors que deux autres se déploient parmi les élites installées.
La gauche bobo (bourgeois-bohème) : ce concept a été créé par l’essayiste américain David Brooks dans un livre paru en 2000, Bobos au Paradis. Philippe Muray parlait d’Homo festivus: « Festivus festivus existe, je l’ai rencontré, vous aussi. On les a appelés élites urbaines. Ou bourgeois-bohèmes ». (Festivus festivus, 2005). David Ley parle de new middle class (The new middle class and the remaking of the central city, 1996).
Le bobo se caractérise par une aisance matérielle très relative et une forte dose d’individualisme,
mais aussi par un souci éthique. Il exerce dans les professions sociales et enseignantes, ou dans des métiers créatifs (chercheurs, artistes). Les bobos constituent une partie de la population pour qui le capital culturel à plus d’importance que le capital économique. Le premier est souvent très élevé, tandis que le second est plutôt médiocre. La principale force des bobos est d’être en phase avec la société telle qu’elle évolue spontanément, avec la « nouvelle économie » fondée sur l’information. Ils défendent des valeurs écologiques et sont plutôt proches des Verts, de la gauche de la gauche, ou de plus en plus souvent de la « dissidence » rouge-brune. Ils sont paradoxalement à la fois hédoniste et altruiste. Les bobos, qu’ils soient d’anciens « bohèmes » devenus petits bourgeois ou des petits bourgeois adoptant les modes « bohèmes », recyclent les mots d’ordre contestataires des années soixante en les vidant de leur sens. La société de consommation n’est pas remise en cause, seul le décor a changé. La critique de l’autorité est facilitée par le fait que les entreprises de l’information ou des nouvelles technologies, emploient essentiellement des cadres de même niveau social.
La gauche bobo est une fervente adepte de l’école publique, de l’audiovisuel public, des transports publics, des hôpitaux publics, du théâtre public. A Paris, elle va au cinéma voir les films français. Dans les transports en commun, elle lit des romans à Prix Goncourt écrits par des écrivains pleins de compassion pour ceux qui souffrent, ou l’autofiction d’une femme libérée qui détaille sans complexe ses expériences sexuelles. Elle est très concernée par les menaces de la mondialisation, le réchauffement climatique global, la brevetabilité du vivant, ou les dangers des OGM. Elle signe des pétitions contre les mauvais traitements infligées aux femmes en Afghanistan et contre les interventions américaines où qu’elles soient. Elle habite un appartement exigu à Paris ou en proche banlieue. Elle aime les journées sans voiture, la fête de la musique et la Gay-Pride. Elle voudrait vivre dans un monde plus festif où l’individu est mieux pris en charge par la collectivité.
La gauche caviar : C’est Jacques Soustelle qui invente l’expression en 1960 pour les intellectuels favorables au FLN. Laurent Joffrin avance dans son essai Histoire de la gauche caviar (2006) que la pensée libérale serait devenue majoritaire dans le socialisme français. Il écrit notamment que « dans gauche caviar, le caviar l’a emporté ». Elle est appelée en Allemagne : fraction toscane, en Grande-Bretagne: gauche champagne, aux Etats-Unis : libéraux de la Ve Avenue.
La gauche caviar est ainsi accusée par la gauche de la gauche, d’être, comme le décrit Laurent Joffrin, « une fausse gauche qui dit ce qu’il faut faire et ne fait pas ce qu’elle dit, une tribu tartuffe et désinvolte, qui aime le peuple et qui se garde bien de partager son sort. » Dès lors que la gauche a exercé le pouvoir, elle a produit tout naturellement ses propres élites et sa propre noblesse. Le gang des Renault 25 ministérielles sous Mitterrand est emblématique de ce qu’on appelle « la gauche caviar », de même qu’un ancien ministre adepte des comptes en banque suisses et un ancien secrétaire d’Etat ayant une phobie administrative. Elle est très à l’aise dans la mondialisation ou à l’échelle locale (agir local et penser mondial), comprend moins bien l’échelon national envers lequel elle a une méfiance politique. Hautement diplômée, cette nouvelle élite exerce les postes clés de la société informationnelle, dans les médias, la publicité et l’industrie culturelle en général, détenant de ce fait un pouvoir idéologique indéniable. Elle est concurrente de l’élite industrielle et financière traditionnelle, et elle conteste son pouvoir politique et économique en se parant de l’éthique contestataire.
La gauche caviar habite les quartiers huppés de Paris, rive gauche de préférence, mais le Marais fait l’affaire. Le spécimen de la gauche caviar est impeccablement vêtu (style « vogue »). Il hante les milieux de l’édition, ou les professions libérales, l’Université ou la haute fonction publique. Pour ses vacances, il affectionne les superbes bastides en pierre du Lubéron. Il est bien entendu affilié au Parti socialiste ou adhérent chez les Verts, mais il n’est pas pour autant dupe, et garde un détachement souverain face au discours politique. Il méprise la droite popo, et trouve la mixité ethnique formidââble, car elle permet de dissoudre le peuple dans un espace global pluriel beaucoup plus attrayant. Mais c’est un peu en touriste qu’il prône la mixité ethnique, puisqu’il se garde bien de la vivre au quotidien. Ses enfants sont obligatoirement scolarisés dans les meilleurs établissements (le plus souvent privés) des métropoles, où l’on pratique au moyen de combines et tuyaux appropriés, la préférence nationale, voire la préférence de classe, tout en étant en paroles contre la sélection scolaire et pour l’école publique. La gauche caviar est foncièrement social-libertaire, et affectionne le paradoxe et les idées provocatrices progressistes. Elle est contre les prisons, pour les théories du « genre », ouverte à toutes les expériences pourvu qu’elles ne remettent pas en cause son confort. Le bobo, a priori hostile aux frontières, en érige par ses propres moyens : il peut habiter dans un loft avec plusieurs codes d’entrée, tout en continuant à vivre dans un quartier multiculturel et tenir un discours en faveur des bienfaits de l’immigration.
La droite œufs de lump : On doit à Pierre Desproges cette caractérisation d’une fraction de la droite qui fait de grands progrès depuis deux décennies parmi les élites hexagonales : « Si la gauche caviar est exécrable, la droite oeufs de lump est franchement dégueulasse. » En fait d’autres pays connaissent ce phénomène très porteur politiquement et parlent de « droite boudin » en Belgique, de « droite cervelas » en Suisse, de droite « baloney » au Québec. Tout cela désigne des hommes politiques de droite et appartenant à l’élite économique ou liés à elle, qui se travestissent socialement pour « faire pôple » et rallier un électorat traditionnellement hostile ou méfiant.
Le concept de droite œufs de lump exprime en une notion symétrique de la gauche caviar la mue culturelle d’une certaine droite démagogue, issue de la grande ou moyenne bourgeoisie, laissant à la gauche le monopole de la culture des élites et récupérant la culture populaire. On laisse l’imparfait du subjonctif à la vieille garde gaulliste. La droite oeufs de lump, c’est le triomphe de l’oral sur l’écrit, de l’esbroufe sur le sérieux, du « bling bling » sur la tenue de bon aloi. Un ancien Président manifestant son goût de la tête de veau, de la bière et du salon de l’agriculture, mais dans le privé fin amateur de grands crus, de cuisine nouvelle, de ballets et bon connaisseur des cultures asiatiques et océaniennes, a été accusé d’en faire partie. De même qu’une politicienne héritière, assujettie à l’impôt sur les fortunes, accro à la cause du peuple.
La droite oeufs de lump vote plutôt gaulliste ou lepeniste. Elle méprise les bobos, car considérés comme naïfs et décidément peu friqués. Elle s’approprie un thème abandonné par la gauche, celui de la colère des « masses » contre l’élite. Alors qu’elle est foncièrement cosmopolite, comme la vieille aristocratie, elle remplace la lutte des classes par la « lutte des identités », reprenant sans le savoir le mot de Lénine : « faites de la cause du prolétariat la cause de la nation, et la cause de la nation deviendra la cause du prolétariat ». Cette droite œufs de lump a le snobisme de la canaille, comme la gauche caviar a le snobisme des élites. Sont privilégiés l’intervention de l’Etat, les contrôles de toutes sortes, couplés avec un culte de l’argent échevelé. Car cette droite est moins entrepreneuriale que spéculatrice. Le mot de Guizot: « enrichissez-vous » lui apparaît mièvre. Le slogan tendance est désormais : « faire du fric à tout va ! ».
La droite popo (populo-popote): c’est une expression de mon cru (populo s’opposant à bourgeois et popote à bohème). Elle est composée de ceux que l’on dénomme depuis peu « les petits Blancs », qui prennent conscience de leur identité dans un contexte de cohabitation. Il y a une génération en arrière, ils ne se posaient pas la question de leur appartenance ethnique car ils habitaient dans des quartiers où ils étaient seuls ou très majoritaires. Cabu avait créé il y a plusieurs décennies le personnage du « beauf » (beau-frère).
Sur le plan politique, Aymeric Patricot note que « les petits blancs intéressent moyennement la gauche parce qu’ils sont blancs et moyennement la droite parce qu’ils sont pauvres. » (Les petits blancs : Un voyage dans la France d’en bas, 2013). Beaucoup votent à l’extrême droite, certains ponctuellement à l’extrême gauche, d’autant qu’il est de plus en plus difficile de faire le partage entre les deux. Mais ce qui définit les popos politiquement, c’est souvent l’abstention. La plupart d’entre eux ne se sentent plus appartenir au « système » et expriment parfois de la rancœur à l’égard des minorités ethniques. Contrairement aux immigrés, on ne leur reconnaît pas d’excuse pour leurs échecs. Ils habitent refoulés en péri-urbain. Dans les quartiers qui s’ethnicisent fortement, les blancs qui sentent devenir minoritaires partent. Aux Etats-Unis, on appelle ça le « white flag ». D’un point de vue économique, le popo n’est pas libéral, car il craint de perdre son travail à cause de la concurrence mondialisée et jalouse la réussite entrepreneuriale. Il est pour l’interventionnisme de l’Etat, en faveur des Français de souche.
Sur le plan sociétal, il est indifférent aux tendances libertaires dans les moeurs, car ne se sentant pas concernés et ayant depuis plusieurs générations coupé le cordon ombilical avec la religion. Le comportement popo, c’est aussi tout ce qu’on réprime en nous, un défoulement. Le langage popo cru et parfois insultant est né en réaction contre le bon goût, le politiquement correct et les euphémismes. Les popos sont souvent dépeints comme pauvres, avec un bas niveau d’éducation, de mauvaises manières et un manque général d’intérêt pour les questions de société et la culture. Le popo est souvent un paumé, un déraciné hors-sol, pur produit de la disparition de la transmission culturelle et familiale. Il soutient à peu près n’importe quoi et n’importe qui, pourvu que ce soit « contre ». Sa haine du « système » le mène à être là où il peut se déchaîner contre le « système ». Ce qui peut l’amener à s’identifier aux pires ennemis de sa civilisation et à tenir des discours totalement contradictoires. S’il est un tant soit peu politisé, il adore Faurrisson et le revenu de base, déteste les entrepreneurs, ne croit pas au 11 septembre, soutient Dieudonné, litLe Monde Diplomatique, consulte le site Agoravox, milite pour la démocratie « directe », tout en matant des vidéos d’Etienne Chouard.
Sur le plan sociétal, il est indifférent aux tendances libertaires dans les moeurs, car ne se sentant pas concernés et ayant depuis plusieurs générations coupé le cordon ombilical avec la religion. Le comportement popo, c’est aussi tout ce qu’on réprime en nous, un défoulement. Le langage popo cru et parfois insultant est né en réaction contre le bon goût, le politiquement correct et les euphémismes. Les popos sont souvent dépeints comme pauvres, avec un bas niveau d’éducation, de mauvaises manières et un manque général d’intérêt pour les questions de société et la culture. Le popo est souvent un paumé, un déraciné hors-sol, pur produit de la disparition de la transmission culturelle et familiale. Il soutient à peu près n’importe quoi et n’importe qui, pourvu que ce soit « contre ». Sa haine du « système » le mène à être là où il peut se déchaîner contre le « système ». Ce qui peut l’amener à s’identifier aux pires ennemis de sa civilisation et à tenir des discours totalement contradictoires. S’il est un tant soit peu politisé, il adore Faurrisson et le revenu de base, déteste les entrepreneurs, ne croit pas au 11 septembre, soutient Dieudonné, litLe Monde Diplomatique, consulte le site Agoravox, milite pour la démocratie « directe », tout en matant des vidéos d’Etienne Chouard.
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