En ce
moment commence la négociation sociale entre patronat et syndicats notamment sur la question délicate des seuils sociaux. Le chiffrage de la Fondation iFRAP qui montre que les seuils sociaux empêchent la création de 70.000 à 140.000 emplois a été largement repris et commenté dans tous les débats sur le sujet. Notamment par le patron de FO dans la matinale d’Europe 1 qui a mis en doute le fait que l’assouplissement des seuils permette des créations d’emplois. Il est facile, pour celui qui refuse toute réforme, de dire que les chiffres de création d’emplois sont faux. Si on ne réforme jamais les seuils, on ne saura jamais combien d’emplois auraient pu être créés. Si les syndicats se battent pour l’emploi, ils devraient être les premiers à soutenir toute initiative pouvant créer des emplois et la réforme des seuils sociaux est une de ces réformes qui permettraient de libérer la création d’emplois.
Dans une note de 2011, l’INSEE reconnait que, si on assouplissait les conditions des seuils sociaux, plus de 22.500
entreprises passeraient d’une classe d’effectifs à l’autre. C’est en nous fondant sur cette étude que nous avons évalué que réformer les seuils en profondeur permettrait de créer entre 70.000 et 140.000 emplois.
Bien entendu, il s’agit d’une estimation mais on peut déjà remarquer, rien qu’en consultant les statistiques par taille d’entreprises, que les seuils bloquent bel et bien le passage d’une classe à l’autre. Par exemple, on compte environ 35.000 entreprises de 9 salariés pour moins de 20.000 entreprises de 10 salariés et 1.600 entreprises de 49 salariés contre 600 de 50 : ces chiffres illustrent bien le frein généré par le passage d’un seuil à l’autre.
Ce sont avant tout les obligations sociales qui empêchent les employeurs de recruter. L’embauche de son 50ème salarié impose à l’entreprise la nomination d’un délégué syndical non élu par un organisme extérieur, à tenir des élections pour le comité d’entreprise, qui se réunira tous les mois, à organiser un comité d’hygiène et de sécurité des travailleurs, à mettre en place un plan d’action sur l’égalité homme/femme dans l’entreprise, un autre sur la prévoyance contre les maladies, un autre pour les travailleurs handicapés, et à prévoir un plan de sauvegarde de l’emploi en cas de licenciement de plus de 10 salariés en une fois. Cette liste est loin d’être exhaustive (voir encadré en bas de page), mais montre bien les lourdes conséquences de l’embauche d’un seul salarié. Le coût de fonctionnement interne de cet emploi sera donc énorme, et ne sera nullement couvert par l’augmentation de la productivité permise par ce nouveau poste dans l’entreprise.
Un moratoire de plusieurs années sur le passage des seuils sociaux pourrait être une solution envisageable dans le cadre de la bataille pour l’emploi. En agissant seulement sur le flux des entreprises franchissant les seuils, cela permettrait aussi de constater sur le terrain combien les entreprises embauchent de salariés grâce à ce moratoire. Il est dommage de constater que certains syndicats (pas tous, heureusement) préfèrent maintenir à tout prix leurs représentants, leurs comités d’entreprise et autres instances plutôt que de se mobiliser pour l’emploi. Or, nos 3,3 millions de chômeurs se fichent d’avoir un CE dans l’entreprise qui pourraient les embaucher, ils préfèrent avoir un emploi.
On voit bien ici le paradoxe : élus pour représenter et défendre les intérêts des travailleurs, les syndicats sont aussi beaucoup occupés à maintenir leur pouvoir. Ce fait peut expliquer aussi le désintérêt que leur portent les salariés puisque moins de 5% des salariés du privé sont syndiqués. De même, l’abstention record des élections prud’hommales est éloquente : 74,5% en 2008. Les représentants syndicaux se battent-ils vraiment pour l’emploi ? Se dévouent-ils à cette cause ? Si FO avait la preuve qu’assouplir les seuils sociaux entraîne une forte création d’emplois, ses leaders accepteraient-ils cette mesure ou continueraient-ils leur lutte pour protéger leur influence dans l’entreprise ?
La proposition du ministre du Travail, François Rebsamen, d’un gel des seuils sociaux pendant trois ans (hors, élection des délégués du personnel à l’embauche du 10ème salarié et création d’un comité d’entreprise à l’embauche du 50ème salarié) va dans le bon sens, mais manque cruellement d’ambition. Une entreprise n’embauche un salarié que sur le long-terme. Pourquoi irait-elle créer un poste si elle est toujours obligée, trois ans plus tard, de créer le comité d’hygiène et de sécurité et de sacrifier aux quelque 27 obligations nouvelles ? Il vaudrait mieux faire un moratoire sur les seuils et, en parallèle, les remonter de manière importante. La proposition de la Fondation iFRAP est de remonter toutes les obligations de seuil de 10 salariés à 20 et toutes celles de 50 à 250. Cela aurait du sens et ne serait pas juste une mesure type « reculer pour mieux sauter ».
Il y a une prise de conscience et il faut le saluer. Toutefois, nous sommes encore loin du « stimulus package de croissance » préconisé par la Fondation iFRAP. Envoyer des « signaux aux entrepreneurs » ne suffit pas. Il est d’autant plus essentiel d’agir sur les seuils sociaux que cette réforme ne coûte rien budgétairement.Pourquoi refuser ces mesures de bon sens alors que nous devons absolument favoriser la création de postes dans le secteur privé en parallèle des baisses de dépenses publiques et de la réforme de l’Etat ? Stimuler la croissance en libérant les freins à l’emploi en jouant sur les seuils sociaux mais aussi (car les réformer les seuils ne résoudra pas tout) le temps de travail, l’ouverture des magasins le dimanche et la fiscalité est une urgence pour notre économie.
Si le gouvernement est prêt pour de vraies réformes qui libèrent les énergies entrepreneuriales, alors il ne doit plus fonctionner avec des tabous comme sur les 35 heures. Lorsqu’Emmanuel Macron se positionne pour réformer les 35 heures, Matignon temporise immédiatement ses propos. Le débat sur ces sujets ne devrait pas faire peur car le retour de la croissance passera par une flexibilisation du marché du travail, de la durée du travail, par une vraie réforme des seuils sociaux et de leurs multiples obligations, par l’autorisation de laisser les magasins ouvrir le dimanche et en nocturne, et par une réflexion sur le SMIC, par exemple en instaurant, à l’image d’autres pays d’Europe, un SMIC jeune et encourager la création d’emplois. Cela passera aussi par une fiscalité qui incite tous ceux qui ont un peu de moyens à créer des entreprises en France sans se dire que, à la sortie, tout ce qui aura été gagné passera en impôts. Déverrouiller le marché du travail et motiver les créateurs d’emplois ne coûte pas cher mais demande du courage politique.
Exemple : nous savons grâce à l’INSEE que 13.337 sociétés passent de la classe de taille 0-9 à 10-19 en cas d’absence de seuils sociaux. Or, le nombre de salariés moyens du quartile supérieur de la classe 0-9 est de 6,7 et le nombre de salariés moyens du quartile inférieur de la classe 10-19 est de 10,5. Ainsi, chacune des 13.337 sociétés changeant de classe de taille crée en moyenne 3,8 salariés supplémentaires, soit 50.718 salariés au total.
Liste (non exhaustive) des obligations sociales à mettre en place entre l’embauche du 10ème et du 250ème salarié :
A l’embauche du 10ème salarié :
- Participation à la cotisation pour la formation professionnelle continue qui passe de 0,55% à 1,05%
A l’embauche du 11ème salarié :
- Organisation d’élection de délégués du personnel : forfait de 10 heures par mois (sur les heures de travail) pour les délégués du personne , 15 heures par mois pour les conseillers du salariés exerçant des fonction d’assistance ou de représentation au Prud’hommes.
A l’embauche du 20ème salarié :
- Augmentation du taux de la cotisation à la formation professionnelle continue qui passe à 1,60%, puis en fonction de la masse salariale
- Participation des employeurs à l’effort de construction : taux à 0,45% du montant des rémunérations
- Embauche dans le proportion de 6% de son effectif total, de salariés handicapés
- Établissement d’un règlement intérieur dans les 6 mois suivant l’embauche du 20ème salarié (3 mois pour les entreprises nouvellement créées)
A l’embauche du 25ème salarié :
- Installation d’un réfectoire au sein de l’entreprise (à la demande des salariés)
A l’embauche du 50ème salarié :
- Élection du comité d’entreprise et désignation d’un représentant syndical siégeant au CE
- Désignation d’un délégué syndical pour les organisations représentatives et désignation d’un représentant de la section syndicale (pour les syndicats non représentatifs)
- Le forfait d’heures des délégués du personnel passe de 10 à 15 heures par mois
- Déclaration mensuelle des mouvements de personnel de l’entreprise à la Dares
- Organisation de négociation annuelle obligatoire, dans les entreprises ayant au minium un délégué syndical, sur les salaires, le temps de travail et les conditions de travail…
- En cas de dividendes en hausse (par rapport aux deux années précédentes), versement d’une prime de partage des profits obligatoires
- Obligation de conclure un accord sur la participation aux résultats de l’entreprise
- Organisation d’un plan de sauvegarde de l’emploi en cas de projet de licenciement économique collectif
- Négociation sur la prévention de la pénibilité
- Négociation obligatoire tout les 3 ans d’un contrat de génération
A l’embauche du 51ème salarié :
- Affichage obligatoire des consignes d’incendie
- Mise à jour annuelle de l’adhésion au service de santé interentreprises
A l’embauche du 150ème salarié :
- Réunion du comité d’entreprise, une fois par mois
A l’embauche du 200ème salarié :
- Création d’une commission de la formation professionnelle et d’une commission de l’égalité professionnelle au sein du comité d’entreprise
A l’embauche du 201ème salarié :
- Installation d’un local syndical pour toutes les sections syndicales
- Interdiction de mettre en place une délégation du personnel unique
A l’embauche du 250ème salarié :
- Obligation de compter 4% de salariés en alternance
La liste continue ainsi jusqu’à l’embauche du 2.200ème salarié…
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