vendredi 8 novembre 2013

AFITF-Ecotaxe - L’autre scandale à 900 millions !

par Lucas Léger


L’Agence qui dépense des recettes non collectées

AFITF-Ecotaxe - L'autre scandale à 900 millions !
L’État va devoir trouver 900 millions d’euros pour garantir les engagements pris par l’AFITF - Agence de financement des infrastructures de transport de France.
Encore un scandale fiscal pour le gouvernement ?

Ces derniers jours, l’éco-redevance pour les poids lourds, ou écotaxe, cristallise à elle seule un sentiment général, celui d’une overdose fiscale. Relique du Grenelle de l’environnement, ce nouvel impôt, devait s’appliquer dès 2014 sur les poids lourds de plus de 3,5 tonnes empruntant les réseaux routiers non concédés et se répercuter sur les prix à la consommation. Les recettes de cette nouvelle taxe étaient destinées à la modernisation de nos infrastructures. On notera au passage la logique écologique de ce nouveau prélèvement : taxer les poids lourds polluants pour subventionner essentiellement l’infrastructure ferroviaire, car le train, lui, est propre.
L’affaire a tourné à la débâcle politique, mais pour autant les séquelles financières sont toujours là. Voilà une face cachée de l’écotaxe peu connue, et que nous nous proposons de rappeler.

Les dépenses non financées par l’écotaxe

Fin 2003, un comité ministériel décide de la création d’une Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Opérationnelle en 2005, celle-ci a pour but de coordonner le financement des projets d’infrastructures sur le territoire. C’est son seul objectif car elle n’a pas vocation à intervenir dans la maîtrise d’ouvrage. Ses dépenses de fonctionnement n’ont donc rien d’ostentatoire ; l’Agence occupe quelques 112 mètres carrés au sein du ministère des Transports dans l’Arche de la Défense à Nanterre et compte 3 ETP (équivalent temps plein) pour effectif. Jusque là, rien d’anormal ! Au contraire, on pourrait croire que cette agence gère avec grande rigueur son personnel et rationalise ses coûts de fonctionnement. En réalité, le problème vient de son mode opératoire et de son financement.
Comme nous l’avons remarqué plus haut, l’AFITF est chargée d’affecter les ressources qui lui sont attribuées à la construction de routes, de voies ferrées ou encore de voies fluviales. Et les budgets sont loin d’être négligeables. Le tableau ci-dessous indique les emplois et les ressources de l’Agence.
Tableau Charges – Produits, Exercice 2012, AFITF
ChargesBPDM2CFProduitsBPDM2CF
Personnel17217297Subvention de l’Etat1030365939065900000
Fonctionnement242425692493Ressources fiscales ou affectées91800010247191005543
Intervention211783221901871856125Ressources propres et autres15321533
Total des charges212042721929271858715Total des produits194836519653171907076
Résultat48361-172062-227610
en milliers d’euros
La première colonne représente le budget primitif (BP), la seconde les décisions modificatives (DM), liées aux lois de finance rectificatives. Enfin, la troisième colonne, celle qui nous intéresse, nous renvoie au budget effectivement exécuté (CF).
Source : Rapport annuel 2012, AFITF
Les crédits de paiements (4ème colonne, 3ème ligne), c’est-à-dire les dépenses engagées au cours de l’année 2012, sont évalués à près de 1,9 Md€. Comment de telles dépenses sont-elles financées ? Intéressons-nous à la colonne des produits. Nous avons surligné en bleu la première ligne, qui correspond à une subvention directement reçue de l’État. De quoi s’agit-il ? Tout simplement, d’une subvention qui couvre un manque à gagner subi par l’AFITF, première bénéficiaire de l’écotaxe. Autrement dit, l’Agence dépense les recettes d’une taxe encore non collectée. Et ce depuis quatre ans ! Une somme conséquente : plus de 4 Md€ et près de 50 % des recettes annuelles assurées par une subvention de l’État. L’Agence est donc sous perfusion depuis 2009, laquelle est due au retard de mise mise en place de l’écotaxe.
Évolution de la subvention budgétaire de l’État (2009 – 2010)
Année2009201020112012TOTAL
Subvention budgétaire1 228 539 634914 653 495974 365 429900 000 0004 079 558 558
Part de la subvention[1]47.7043.1142.6047.1945.88
Source : Rapport annuel 2012, AFITF

Une « période transitoire » durable

Si l’on récapitule, nous avons une subvention directe de l’État qui sert à financer des dépenses d’infrastructures validées par une administration publique dépendant du ministère des Transports et dont l’équilibre comptable doit être assuré par un impôt encore inexistant. Avec le nouveau recul sur la mise en place de cette taxe par le gouvernement Ayrault, ce sont 900 millions d’euros que l’État va devoir trouver pour assurer la pérennité des engagements pris par l’AFITF. Pour résumer, c’est près d’un sixième des nouveaux impôts prévus par la loi de finance 2014, soit 900 millions d’euros, qui est absorbé par le déficit chronique de cette administration.
Déjà en 2009, ce mode de financement n’avait pas échappé à la Cour des Comptes, qui définissait l’AFITF comme « un outil administratif qui voit circuler des crédits qui partent du budget général avant d’y retourner ». Les Sages de la rue Cambon préconisaient déjà son démantèlement car l’Agence constituait, selon elle, « par son existence-même, un manquement au principe de l’universalité budgétaire. Ce manquement, qui n’est certes pas le premier dans le domaine des infrastructures de transport, est d’autant moins justifié que l’état des finances publiques impose de choisir avec rigueur les investissements publics. » (Un autre reproche longuement développé par la Cour).
Dans leur réponse à la Cour, les ministères concernés évoquent, en 2009, la situation transitoire de l’inadéquation entre recettes et dépenses : « Ce n’est donc qu’à titre transitoire et dans l’intervalle entre la fin de l’utilisation de la dotation initiale et la mise en œuvre de cette nouvelle ressource pérenne (éco-redevance pour les poids lourds) qu’une subvention du budget général (1 200 millions d’euros en 2009) sera nécessaire pour couvrir les dépenses de l’AFITF. Ces modalités de financement assurent l’équilibre des recettes et des dépenses de l’Agence qui ne se trouve donc pas dans une situation d’impasse budgétaire. »
Or aujourd’hui, la moitié des recettes anticipées de l’Agence sont remises en cause par le gouvernement. Si cette décision soulage les transporteurs, elle pose un risque pour le contribuable, qui, d’une manière ou d’une autre, devra financer une agence publique à l’utilité douteuse. Encore une fois, les projets d’envergure tels que ceux du Grenelle de l’environnement ont été lancés sans que le financement ait été prévu, de sorte que l’on est obligé de demander au contribuable un effort supplémentaire. L’Etat dépense en 2013 un argent qu’il espère encaisser en 2014.

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