samedi 16 novembre 2013

La vertu qui venait du Nord… (ou pas) : les critères au nom desquels Bruxelles contrôle nos budgets nationaux sont-ils toxiques Read more at http://www.atlantico.fr/decryptage/vertu-qui-venait-nord%E2%80%A6-ou-pas-criteres-au-nom-desquels-bruxelles-controle-nos-budgets-nationaux-ont-ete-valides-realite-20-derni-900148.html#LCAq2OR6fkeIrc1o.99

Atlantico: Depuis le traité de Maastricht, l'Union européenne a adopté tout une série de règles économiques (maintenir le déficit en dessous de 3% du PIB et la dette sous la barre des 60% du PIB, limiter la balance commerciale courante à 6% d'excédents, ne pas dépasser 2% d'inflation). Quelles sont les vertus de ces règles et leurs éventuels effets pervers ?

Nicolas Goetzmann : Il n’est pas absurde de poser des règles de vie commune dans une union, cela est évident, encore faudrait-il qu’elles aient un sens. La règle des 3% de déficit date de 1981, et a été imaginée sur un coin de table alors que la France était confrontée à une situation économique exactement opposée à celle que nous vivons. C’est-à-dire une période de forte inflation alors que c’est la déflation qui menace aujourd’hui. Passons.

Sur la base de cette règle des 3%, d’autres critères ont été imaginés sur des suppositions qui prêtent à sourire. Voici l’idée qui a été retenue: si un pays peut creuser ses déficits à hauteur de 3%, il est possible de stabiliser son endettement à 60% du PIB puisque l’on peut prévoir une croissance nominale de 5%. Ils prévoyaient une croissance nominale de 5%...C’est ce raisonnement qui est venu valider la règle de 60% d’endettement. En effet, si la croissance est stable à ce niveau, tout fonctionne parfaitement. 3% de déficit correspondent bien à 60% d’une croissance à 5%, c’est merveilleux.

Ce qui est saisissant aujourd'hui est que ces critères sont devenus des dogmes, alors même que les hypothèses
retenues lors de leurs conceptions sont totalement invalidées. Je veux parler de la croissance nominale de 5% qui était sensée se partager en une croissance de 3% et une inflation de 2%.

J'insiste sur un dernier point: vous pouvez constater que toutes les statistiques sont sous contrôle, sauf une, le taux de chômage. Un déficit de 5% est un scandale, par contre 30% de chômage est considéré comme acceptable.
Alain Fabre: Pour saisir la portée de ces règles, il faut partir de l’idée que l’euro n’est pas seulement un taux de change fixe mais une monnaie unique. Comme le dit souvent Jean-Claude Trichet, les Européens ne doivent pas seulement partager la même monnaie nominale mais également la même monnaie réelle. En d’autres termes, l’euro n’est pas la monnaie de la France, de l’Italie ou de l’Espagne, c’est la monnaie de tous les Européens – je parle des citoyens de l’Union - considérés comme entité collective.
On retrouve d’ailleurs une vieille idée de Nicolas Oresme au XIVème siècle, selon laquelle la monnaie n’est pas la chose du Prince – on dirait aujourd’hui de l’Etat – mais celle de la communauté. C’est la raison pour laquelle faute d’un échelon politique et budgétaire commun à tous les États de la zone euro, il faut recréer cette dimension par une intégration des politiques budgétaires et non pas une coordination comme on l’entend souvent, selon un système dans lequel les uns relancent, les autres réduisent leurs déficits. C’est un peu comme si nous avions une politique budgétaire unifiée. De ce point de vue, l’Europe c’est comme l’aviron. Si l’un des rameurs ne rame pas comme les autres, tout le monde tombe à l’eau !

Depuis la ratification du traité budgétaire européen en 2012, la plupart de ces règles sont sacralisées sans pour autant être respectées par les États membres. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Alain Fabre: Pour que la zone euro fonctionne, il faut des règles communes, ce qui est incompatible avec des politiques budgétaires qui resteraient autonomes. Ceux qui veulent cette autonomie ne peuvent demeurer dans une Union monétaire. On a cru un peu légèrement avec le Pacte de stabilité de 1997 que chacun serait sage tout seul. C’est une conception allemande qui suppose une éthique personnelle exigeante. Non seulement l’Allemagne elle-même engluée dans ses problèmes du début des années 2000, avait des difficultés à respecter la règle, mais voyez ce qui s’est passé avec la Grèce. De 2000 à 2010, le salaire des fonctionnaires grecs a progressé de 110% contre presque rien en Allemagne et 20% en France. En fait ce système revenait à ce que sans règle véritable, sans contrôle, le Parlement grec puisse lever des impôts sur les contribuables des autres États. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit avec les plans de sauvetage.
D’un point de vue démocratique comme d’un point de vue budgétaire, il faut donc que ceux qui sont éventuellement appelés à payer puissent avoir des moyens de contrôle. C’est le sens des règles fixées depuis la crise des dettes européennes. La force des mécanismes européens – je dis ça au double sens du mot de logique et d’efficacité – c’est d’avoir lier la maîtrise des déficits à des réformes de structure, notamment celles du marché du travail ou de la protection sociale – retraites dans de nombreux cas. Prenez le cas de l’Espagne qui a obtenue des délais pour ramener son déficit dans la zone des 3%: elle a combiné l’adaptation de son marché du travail à celui de son système bancaire avec l’aide de l’Europe, et à la maîtrise des déficits. L’Espagne compte des entreprises parmi les plus profitables d’Europe. Ses exportations progressent au même rythme que celles de l’Allemagne et le chômage tend à s’améliorer progressivement. C’est pourquoi on ne peut pas apprécier la politique budgétaire de l’Espagne qui fait de véritables efforts pour réduire ses déficits, avec celle de la France qui ne fait rien pour faire des réformes de structure et réduire ses dépenses. La manière et l’esprit dont un État « joue » la règle, sont aussi importants que l’observation littérale des critères fixés. 

Nicolas Goetzmann : Je crois que cela relève d’une vision morale de l’économie. La règle d’or des 3% de déficit, sans aucune considération du niveau de croissance, n’a véritablement aucun sens économique, mais elle a un sens politique. En inscrivant ce type de contrainte dans un programme, vous attirez la sympathie des bons pères de famille, des adeptes d’une gestion rigoureuse et responsable.

Ce qui est plus inquiétant est que cette règle est devenue acceptable, non pour sa signification, mais parce qu’elle s’est installée dans la durée.

Le fin du fin est d’écouter un ministre des Finances qui tente de s’expliquer sur la taille du déficit de son pays devant la Commission européenne alors que l'Etat qu’il représente est en récession. Il ferait mieux de se révolter face à une Banque centrale qui ne tient pas ses promesses d’une croissance nominale de 5% plutôt que de se préoccuper du déficit.

Contrairement à une idée reçue, les déficits ne créent pas la récession, ce sont les récessions qui aggravent les déficits.

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