Par Jean-Marc Vittori | 29/10 | 06:00 | 62commentaires
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Une
majorité éclatée, une popularité laminée, une économie plombée :
le président n'a plus les moyens d'agir en profondeur. Cela tient aux
erreurs de l'homme mais aussi au jeu politique qui raccourcit la légitimité des
élus.
Bien sûr, il a été élu pour cinq ans. Mais
moins d'un an et demi après son élection, François Hollande a déjà achevé son
action de président. Il ne sera désormais plus qu'une image de chef de l'Etat.
Symboliquement, c'est une jeune fille de quinze ans qui a clos la séquence
active du quinquennat. Il y a dix jours, Leonarda rejetait dans la seconde son
jugement de Salomon baroque faisant penser à « Tintin au Congo »
découpant un chapeau en deux pour contenter deux larrons : la fille en
France, la famille au Kosovo. Plus profondément, l'élu du 6 mai 2012 est
tétanisé par une majorité éclatée, une popularité laminée, une économie
plombée. En témoignent ses revirements sur la fiscalité qui constitue pourtant,
si l'on ose dire, son péché mignon : baisse de l'impôt sur les sociétés
devenue une hausse, annulation de la diminution du taux réduit de TVA,
maintien d'une fiscalité favorisant le diesel, suppression de la taxation des
plans d'épargne en actions (PEA)
au taux normal de CSG…
Bien sûr, il est tentant d'incriminer
l'homme, et ce n'est pas forcément injustifié. Enarque rompu aux brillantes
joutes verbales plus qu'à l'action de terrain, forgeron dix ans durant de
subtiles motions de synthèse au PS, élu comme Jacques Chirac d'une Corrèze
longtemps dominée par le « petit père Queuille » pour qui « il
n'est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout », François Hollande n'est pas précisément réputé pour sa capacité
à décider. Mais le problème va bien au-delà. Hollande est le nom d'une
paralysie politique que l'on retrouve ailleurs, dans le temps et l'espace.
Cette paralysie a trois grandes racines : le jeu politique lui-même qui
accorde la légitimité aux gouvernants pour peu de temps, des institutions qui
encouragent les bâtons dans les roues et une gauche qui n'aime pas gouverner.
Le jeu politique d'abord. Rien de neuf sous
le soleil : les présidents de la Ve République ont
toujours accompli l'essentiel de leurs réformes en début de mandat. Le général
de Gaulle bien sûr, avec la Constitution et le nouveau franc. Valéry Giscard
d'Estaing, avec la dépénalisation de l'avortement et le divorce par consentement
mutuel. François Mitterrand, avec l'abolition de la peine de mort, la retraite
à 60 ans et les nationalisations. Jacques Chirac évidemment, dont l'ardeur
disparaît dans le naufrage de la réforme des régimes spéciaux de retraite, sept
mois à peine après son élection. Nicolas Sarkozy, avec la représentativité
syndicale et la refonte des cartes judiciaire et militaire. La réforme des
retraites, trois ans après l'arrivée à l'Elysée, constitue une exception due à
la très forte dégradation des finances publiques et la pression venant de
Bruxelles et des agences de notation. François Hollande, lui, a fait passer le
mariage pour tous, un contrat de travail assoupli pour les entreprises en
difficulté et une nouvelle réforme des retraites. Cette étroite fenêtre
réformatrice se retrouve partout. Dans son rapport « Doing business »
de 2007, le cousin de celui qui sort aujourd'hui, les experts de la Banque mondiale relevaient que, dans les pays
qui réforment beaucoup, « près de 85 % des
réformes ont lieu dans les quinze mois d'un nouveau gouvernement ».
Les institutions ensuite. Est ici en cause
le jeu compliqué entre un président doté de pouvoirs substantiels et d'une
légitimité issue du suffrage universel et un Parlement seul habilité à
légiférer. Si le président est protégé par une irresponsabilité juridique
devant l'Assemblée nationale, cette Assemblée nationale est symétriquement
tentée par l'irresponsabilité politique - contrairement à ce qui se passe dans
les vrais régimes parlementaires. Dès lors, il devient très difficile de
réformer durablement en profondeur. Les présidents autoritaires, comme le
général de Gaulle ou Nicolas Sarkozy, avaient contourné cet obstacle en
transformant la Chambre basse en placard à godillots, au moins en début de
mandat. François Hollande n'a pas ce tempérament. Ce jeu ambigu n'est toutefois
pas une spécificité française. La seule autre grande démocratie élisant son
président au suffrage universel est aussi paralysée dans ses réformes de fond
par un Parlement irresponsable : il s'agit des Etats-Unis.
La gauche française, enfin, aggrave encore
la situation. A la fin des années 1970, après deux décennies de droite
au pouvoir, un dictionnaire avait fini par la définir comme « le
parti de l'opposition ». Cette définition révoltante reflète hélas la
réalité d'aujourd'hui. A l'inverse de l'UMP, le PS est infiniment plus à l'aise
quand il n'est pas au pouvoir. Et ce n'est guère étonnant. Car depuis le
Programme commun de 1972, il n'a jamais travaillé à définir ce que pourrait
être une politique de gauche dans le monde actuel. Un premier secrétaire
habile, comme le furent en leur temps Lionel Jospin ou… François Hollande, sait
limiter les embardées quand la gauche gouverne. Ce n'est visiblement pas le cas
aujourd'hui. Dans ces conditions, seul un miracle pourrait ramener François
Hollande sur la voie de l'action.
Jean-Marc Vittori
Jean-Marc
Vittori est éditorialiste aux « Echos ».
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