Le dernier livre de l’économiste Nicolas Baverez n’est pas un essai, mais une fable politique d’anticipation. Entre plans d’ajustement structurel et prolifération des bidonvilles autour de Paris, il peint le tableau terrifiant d’un pays qui se meurt faute de s’être réformé à temps
Clin d’œil à Montesquieu, le dernier ouvrage de l’économiste Nicolas Baverez, Lettres béninoises*, teste ce genre littéraire: le conte épistolaire d’anticipation à dimension satirique. L’intrigue se déroule en 2040. A la tête d’une mission d’évaluation, le directeur béninois du FMI se rend à Paris avant de décider d’un nouveau plan d’ajustement. Alors que l’Afrique est entrée dans ses «Trente Glorieuses», plus personne, tant au Sud qu’au Nord, ne croit en la parole des dirigeants français. Dans ses lettres à son épouse, à ses enfants, à son bras droit à Washington, le dirigeant du Fonds décrit un pays au bord de la faillite, qui sombre dans l’agonie politique et le sous-développement économique. La France est sortie de l’euro, les bidonvilles prolifèrent en périphérie de Paris, la violence est partout, tandis que les élites politiques continuent de vanter les qualités de leur «grande nation».
Le Temps: Dans votre livre, la France est en pleine décomposition. Ne forcez-vous pas trop le trait?
Nicolas Baverez: Ce n’est pas une caricature, je n’invente rien. La désintégration de l’appareil de production, du corps social et de la nation résulte logiquement de l’immobilisme et de la démagogie
qui dominent la classe politique française. Ce qui est frappant, c’est que le mal français est parfaitement documenté, le diagnostic est clair, les remèdes ont été donnés par la Cour des comptes, la Banque de France, le FMI ou l’Union européenne. Tout est connu, mais rien n’est fait. C’est pour cela que j’ai voulu recourir à la fiction et écrire un livre moins technique que les précédents, accessible à tous les publics. Je n’exagère pas: ce que je décris se réalisera si la France ne se réforme pas. En même temps, ce conte comporte une morale: il n’y a pas de fatalité au déclin.
– Vous reprenez l’idée d’une classe politique dans le déni…
– Ce n’est pas une idée, c’est un fait. Il faut un électrochoc pour casser ce mur du déni et j’espère y contribuer. La glissade de la France a commencé il y a trois décennies, avec l’incapacité à s’adapter à la nouvelle donne provoquée par les chocs pétroliers. Le pays n’a plus cessé depuis de diverger avec les évolutions de l’économie et du monde: en 1981, une relance à contre-courant du monde développé; en 1989, l’opposition vaine à l’éclatement de l’Union soviétique et à la réunification de l’Allemagne. Le passage à l’euro a supprimé les deux variables d’ajustement traditionnelles de l’économie française, la dévaluation et l’inflation, mais aucune conséquence n’en a été tirée. D’un côté, l’Allemagne s’est réunifiée, a débattu pendant dix ans de son déclin, avant de faire l’Agenda 2010 qui lui a permis de se repositionner dans la mondialisation en intégrant les contraintes de la monnaie unique. De l’autre, la France a choisi les 35 heures: en dix ans, l’effet de ciseau entre les coûts salariaux des deux pays s’est creusé de 30%; les divergences se sont affirmées entre les dirigeants français et allemands.
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