mercredi 9 avril 2014

Ce que disent les gestes de Manuel Valls

FIGAROVOX/ANALYSE - Le synergologue, Stephen Bunard, décrypte le langage corporel de Manuel Valls lors de son discours de politique générale. Les geste du Premier ministre disent-ils tout haut ce qu'il pense tout bas.
Stephen Bunard est coach pour dirigeants, synergologue (analyste du langage corporel) et conférencier. Il enseigne à l'ENA, à l'Université Paris-Dauphine et à l'INSEP.
Que nous révèlent le langage corporel de Manuel Valls durant sa
déclaration de politique générale?


La gestuelle de Valls dans ce discours de politique générale m'est apparue naturelle et en mode séduction. Beaucoup plus de présence de la main gauche, celle de la spontanéité, alors qu'il utilise d'ordinaire souvent la droite, préférentiellement, pour argumenter, défendre, convaincre, expliquer, comme François Hollande d'ailleurs. La main gauche apparaît sur la République, le système de santé, le fait d'embaucher, autant de thèmes auxquels il semble attachés. La main droite revient logiquement pour dénombrer (chiffres), faire des anaphores (on récite: «gouverner, c'est...») et curieusement pour parler des jeunes et de la jeunesse, desquels Hollande semble plus proche les évoquant souvent par la main gauche. Je note aussi la présence de codes inconscients de séduction avec le regard, typiquement par le resserrement à de nombreuses reprises des paupières, il ne peut avoir aucune action consciente dessus. Ce sera le cas à l'évocation du «dialogue social» ou d'une «nouvelle étape du quinquennat», deux sujets sur lesquels il a visiblement envie de convaincre plus que tout. Enfin, la langue sort souvent vers l'avant, pour se délecter, avec fierté, du propos tenu: «notre attractivité» (en France), le pacte de croissance etc...
Ce marqueur gestuel indique les sujets sur lesquels le premier ministre se sent davantage concerné.
Au total, dans la perception à grande échelle qu'en a l'opinion, on a un Manuel Valls contre toute attente plus expressif que d'ordinaire.
De manière générale, quels sont les gestes les plus fréquents de Manuel Vall? Que disent-ils de sa personnalité?
Manuel Valls ne sourit guère habituellement et sa bouche alors produit un sourire inversé. C'est la marque, comme chez Aubry, d'une certaine dureté dans ses principes. La main droite est omniprésente, le discours hâché, l'homme se veut nuancé dans le propos et réfléchi dans le choix des mots, chaque action semble vouloir être pesée. Son impatience parfois l'amène à rejeter l'autre ou ses propos par un mouvement de tête rapide vers la droite. Je suis surtout attentif depuis la victoire des socialistes en 2012 à la paupière de droite de Valls qui nous renseigne sur son stress. Lorsqu'il fut choisi comme ministre de l'Intérieur, ses deux paupières clignaient symétriquement. Courant 2012, confronté à un certain nombre de soucis dans les banlieues parisiennes et à Marseille, on pouvait observer une paupière droite plus basse, c'est le signe d'un stress de performance (être à la hauteur sur des enjeux professionnels ou relationnels).
Début 2013, les photos montrent un retour à la normale, et il semblerait fin 2013 avec l'affaire des Roms et l'exposition du ministre, grand favori des sondages d'opinions, que sa paupière droite s'affaisse un peu à nouveau. Le stress, rappelons-le, produit un impact sur la neurotonicité du muscle releveur des paupières. On observe cela dans le monde professionnel quand les gens sont confrontés à des stress longue durée dans des problèmes relationnelsou face à une surcharge de travail qu'on veut absorber. Les semaines à venir nous diront, à l'observation de cette paupière, baromètre du stress, et le meilleur des communicants ne pourrait rien y faire, si le nouveau premier ministre résiste bien à la pression.


Durant son allocution Manuel Valls a-t-il été trahi par un ou des gestes précis? Son corps a-t-il dit tout haut ce que le nouveau Premier ministre pensait tout bas?
Manuel Valls évoque la «politique énergétique» avec vigueur et retrouve ses codes gestuels habituels: main droite, gestes de martèlement, sourcils froncés, comme si'l évoquait plutôt l'énergie de sa politique que la politique énergétique.
Ce qui est intéressant, c'est qua malgré tout, les mains sont dirigées vers les parlementaires, avec détermination, mais idée de les associer réellement, que la main est configurée en bourse (tous les doigts sont joints), ce qui amène sincérité et douceur dans le propos, alors que les politiques sont souvent mains en pince (précision, index et pouce se joignent, affichant une certaine autorité). Valls semble être non consciemment par ses gestes main de fer et gant de velours.
Son index et majeur de main droite qui s'agitent souvent pendant son discours en disent long aussi sur son désir d'action et son impatience à agir.
Enfin, Valls est conscient de son «coup vache» avec les 10 milliards d'euros demandés aux collectivités locales, sa langue sort vers la droite, avec dureté, il aurait bien des choses à dire sur ce sujet et il sait le pavé dans la mare qu'il lance à cette occasion.
Son style global est en rupture avec beaucoup de politiques car il semble s'être affranchi de de deux idées reçues pernicieuses qui sont trop communément répandues dans ce milieu: les gestes se travaillent et la gestuelle se maîtrise. C'est une bonne voie mais insuffisante. Car évidemment, reste un autre aspect, la lecture non consciente que fait l'opinion de ses gestes lui échappe ainsi qu'à son entourage.


Quelle image forte retenez vous de ce discours de politique générale?
Une image forte, c'est quand la langue de Manuel Valls sort vers la gauche au moment où il dit: «tel sera mon propos». La langue sort ainsi quand on veut dire des choses qu'on aura du mal à retenir et qui peuvent être polémiques. Cela veut dire que Valls en tout cas, c'est son engagement ici et maintenant, reste à voir s'il sera tenu, souhaite tout dire même si cela peut embarrasser et être politiquement incorrect. La langue sort aussi de la même façon sur «le dialogue de terrain avec les Français» et la «crise civique». Il ne compte pas se cacher derrière les mots. C'est cohérent avec la phrase de Mendès-France sur la vérité, avec le «parler vrai» de son mentor Rocard, et c'est vrai que Valls semble avoir l'obsession du «paraître vrai». Avec cette langue, c'est un peu une image symbolique de ce que veut être la «méthode Valls». Tout dire quel qu'en soit le prix. Est-ce tenable, l'avenir le dira et son corps nous le révélera. Car c'est le tribut à payer à sa grande cohérence gestuelle, c'est que tout incohérence sauterait plus facilement aux yeux.

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