Un vaste territoire difficile à contrôler, une tendance à l'isolationnisme, un manque d'innovation et des relations tendues avec ses voisins ont toujours empêché l'Empire du Milieu d'asseoir son hégémonie.
Atlantico : La Chine s'apprête à devenir prochainement la première puissance mondiale. Pourtant, certains historiens pointent du doigt sa difficulté, au cours de ses 5 000 ans d'histoire, à imposer sur le long terme sa prééminence à l'échelle de la planète. Quels sont, selon vous, les facteurs principaux qui expliquent cette difficulté ?
Jean-Vincent Brisset : Cela fait des années que l'on annonce que la Chine sera très bientôt la première puissance mondiale. Toutefois, cette place de premier se limiterait au domaine économique, en fonction de subtils calculs sur une variable peu réaliste : la "parité de pouvoir d'achat". Il faudrait, simplement pour cela, qu'elle réussisse à maintenir un rythme de croissance très fort. Dans les faits, on constate que celui-ci est en train de s'effriter et que l'économie chinoise peine à trouver des relais pour poursuivre une expansion beaucoup trop basée sur les exportations de produits manufacturés relativement simples.
L'histoire de la Chine, qui ne quitte le domaine des légendes pour rentrer dans celui de l'histoire qu'à partir de la dynastie des Shang (XVI° siècle avant JC), ne connaît qu'une seule période de "prééminence à l'échelle de la planète", sous l'empereur Qianlong (1736-1795). Mais Qianlong n'est pas un Chinois. Il appartient à la dynastie des Qing, des Mandchous qui ont conquis l'Empire du Milieu en 1644. La seule autre période où l'emprise de la Chine impériale a dépassé ses frontières actuelles est celle d'une autre dynastie de colonisateurs, les mongols Yuan (1271-
1368).
Les dirigeants actuels tiennent un discours selon lequel la Chine, même si elle acquiert un jour les moyens d'être la première puissance mondiale, ne veut pas accaparer ce rôle. Depuis des années, ils prônent le multilatéralisme. Derrière le discours, il y a cependant un vrai appétit de puissance. Le désir de devenir la puissance régionale, exerçant une prééminence incontestée dans ses pourtours, est incontestable. Par contre, la Chine ne semble pas encore se voir en maîtresse du monde et il n'est pas certain que ce soit son désir profond. La quasi-totalité des conquêtes ne sont pas le fait de batailles gagnées, mais d'un "envahissement", par des paysans plus que par des soldats, des territoires voisins occupés par d'autres ethnies. Son histoire, contrairement à celle des autres grands Empires, ne comprend pas de projections lointaines.
Dans leur ouvrage In Line Behind a Billion People: How Scarcity Will Define China's Ascent In The Next Decade, Damien Ma et William Adams insistent, parmi les faiblesses de la Chine, sur l'hétérogénéité du territoire chinois : dichotomies ruraux/urbains, riches/pauvres, littoral/intérieur...). Cela avait déjà été mis en évidence par Montesquieu. Comment expliquer que la Chine n'ait pas su apprivoiser cette hétérogénéité ?
La notion de "territoire chinois" est complexe et ne correspond pas du tout à ce que recouvre actuellement le territoire de la République populaire de Chine. Si l'on veut parler ce qui est vraiment chinois, il faut se limiter au bassin de peuplement han. Celui-ci ne recouvre que moins de la moitié du territoire national, alors que les Han représentent 92% de la population du pays. La Chine han, dans son écrasante majorité, a très longtemps été rurale et la civilisation des villes et celle des campagnes se ressemblaient beaucoup. Les différences entre littoral et intérieur étaient aussi très peu marquées. La tradition maritime chinoise, en dehors des expéditions - surmédiatisées de nos jours - de Zheng He, est très principalement côtière et tournée vers l'intérieur. Quant à la différence entre les groupes sociaux, elle est davantage basée sur le prestige que sur la richesse. La prédominance du clan et de la famille sur l'individu gomment aussi les démonstrations de richesse. Dans la Chine traditionnelle, les riches ne vivent pas "à l'abri" des pauvres et la cohabitation est la règle.
Les choses changent. La mobilité est devenue la norme, la solidarité s'efface devant la montée des individualismes. Les plus riches s'isolent dans des quartiers fermés, dans leurs voitures, dans leurs stations de vacances. Et les "soutiers du miracle", les mingong, ces dizaines de millions de paysans venus travailler sur les chantiers et dans les usines des villes et des zones industrielles, s'enferment dans des ghettos bidonvilles où ils tentent de recréer leurs villages.
L'histoire chinoise révèle à plusieurs reprises l'incapacité du pouvoir à contrôler l'ensemble de son territoire, comme en témoignent les diverses rébellions internes (An Lushan, Taiping, Ouïgour...). Cela est également le cas de la Russie. Les grandes puissances territoriales sont-elles fatalement contraintes à cette incapacité ?
Le contrôle du territoire chinois ne s'exprime pas du tout de la même manière selon les raisons des rébellions. Très schématiquement, la rébellion menée par An Lushan est une révolte de palais. Les mouvements des minorités musulmanes de l'Ouest, souvent réduites aux seuls Ouïgours, sont plutôt des réactions indépendantistes. Ces modalités de contestation n'ont rien de spécifiquement chinois, ce qui explique qu'on peut les retrouver partout dans le monde.
La révolte des Taiping est une jacquerie, et ce problème des révoltes paysannes est plus intéressant, parce qu'il est consubstantiel à la civilisation han. L'Empereur est titulaire d'un Mandat du Ciel, qui lui donne la légitimité et justifie le fait que l'individu se fonde dans une masse dont le Fils du Ciel est le sommet et l'expression. En échange, il se doit de faire en sorte que sa population soit nourrie, logée et vêtue. Il est aussi garant de la solidarité entre ses sujets. Quand il manque à son devoir, le peuple s'appauvrit, des catastrophes naturelles surviennent, la corruption des fonctionnaires se développe. Alors l'empereur perd sa légitimité et doit être renversé. Les paysans, s'assemblent et se révoltent, souvent sous la direction d'un leader messianique et derrière des slogans sectaires. La conjonction de la montée de la corruption, des catastrophes naturelles et de la montée de sectes violentes est, pour tous, l'annonce de la prochaine chute de la dynastie. Ceci explique la peur panique de tous les régimes chinois face à l'instabilité sociale et la dureté de la réaction du pouvoir actuel contre le Falun Gong.
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